desígnio 11 101 jul.2013 ARISTOTE : ZOOLOGIE ET ÉTHIQUE René Lefebvre* * Univer
desígnio 11 101 jul.2013 ARISTOTE : ZOOLOGIE ET ÉTHIQUE René Lefebvre* * Université de Rennes1 Rennes France RÉSUMÉ: Authentique zoologue, Aristote fait de l’homme un animal parmi d’autres au sein des êtres naturels. Les tra vaux scientifiques, cependant, malgré des rapprochements, mettent déjà en évidence sa singularité, tandis que l’animal non humain, considéré comme dépourvu de raison malgré des nuances, est exclu du champ de l’éthique dont la bestialité marque la limite. La vertu se conquiert en grande partie contre la part animale de l’homme mais l’animal en est incapable au sens strict. L’animal n’a guère valeur de modèle et la lecture d’Aristote fournit peu d’arguments immédiatement exploitables en faveur de sa protection. MOTS-CLÉS: animal, Aristote, èthos, éthique, zoologie. ABSTRACT: As a true zoologist, Aristotle considers that man is one of the animals among natural beings. In his scien tific research, nonetheless, in spite of resemblances between men and non human animals, he already stresses upon the singularity of man. Then, because of a qualified but sure denial of reason to non human animals, these are left outside of ethics, which has bestiality as its limit. It is against his own animality that man in a large measure earns virtue, but there is no animal ability to virtue proper. It is rarely suggested that man should take animals as his models. Reading Aristotle, animal defenders will find little argument for immediate use. KEY-WORDS: animal, Aristotle, ethos, ethics, zoology. Il y a quelque chose de complexe dans le rapport philosophique d’Aristote aux animaux, selon qu’il traite ceux-ci en objets de science théorétique ou les fait intervenir dans l’exposé de sa doctrine pratique. Entre l’homme et les autres animaux, les passerelles sont évidentes : il arrive à Aristote d’évoquer une « pratique », voire une « pensée » animales, et il n’éprouve aucune répugnance à faire état de « caractères » et de modes de vie animaux, tandis qu’en sens inverse, il attribue aux hommes de posséder des organes et à leur âme ou à leur corps des fonctionnements voisins de ceux qu’on observe ailleurs dans le monde vivant et animal. Pourtant, la mise en relief de différences valant rupture est tout aussi insistante : dans le contexte zoologique déjà, a fortiori dans le contexte éthique. La tendance unificatrice à l’œuvre dans la zoologie, qui n’y règne pas sans partage, ne franchit pas le seuil de l’éthique. Aristote zoologue : continuité et rupture de l’animal à l’homme La singularité et l’intérêt du positionnement aristotélicien tiennent à ce que ce philosophe, dont il n’est pas nécessaire de souligner l’importance de la pensée morale, est en même temps un zoologue, LEFEBVRE, R. (2013). Aristote: zoologie et ethique. Archai, n. 11, jul-dez, p. 101-110. Miolo Archai 11-1.indd 101 18/6/2013 17:30:43 102 remarquable par la puissance de ses théories comme par la quantité et la diversité des faits pris en consi dération. On cite à satiété le mot de Darwin dans une Lettre de 1882 à William Ogle, traducteur des Parties des animaux : « Linné et Cuvier ont été mes deux dieux […] mais ils ne sont que des écoliers (mere schoolboys) par rapport au vieil Aristote ». Aristote considère l’étude des animaux (et des plantes) comme une branche de la physique dans la mesure où les animaux (et les plantes) constituent un sous-ensemble de l’ensemble des êtres naturels, c’est-à-dire des êtres qui ont en eux- mêmes, par opposition aux artefacts, le principe de leur mouvement (au sens très large qu’a ce terme chez Aristote). Ce sous-ensemble est celui des êtres dotés d’une âme, âme dont le début du De anima fait explicitement le « principe » 1 des ζῷα – on ne sait pas toujours s’il faut traduire « animaux » ou « vivants », le grec ζῷον, généralement traduit par « animal », signifiant littéralement « vivant », comme notre mot « animal », d’origine latine, évoque de façon également ambiguë le fait d’avoir une âme 2. Sans préjuger d’autres fonctions, l’âme en question permet tout d’abord la nutrition et la croissance auxquelles s’arrêtent les plantes, puis à un niveau de complexité supérieur, la sensation et la locomotion, et à un niveau supérieur encore, la pensée. Si une certaine notion d’automotricité est déjà présente, en Physique, II, 1, dans la définition générale des êtres simplement naturels 3, tels la terre et le feu, qui ont en eux-mêmes (ἐν ἑαυτοῖς) le principe de leur chute ou de leur ascension, une telle notion se trouve bien plus encore avancée lorsqu’il s’agit des animaux 4. L’affirmation contenue dans la définition des êtres naturels proposée en Phys., II, 1 revient en effet sous forme de question dans le De motu anima lium : « s’agissant de ceux des êtres dépourvus d’âme qui se meuvent, on pourrait être dans l’embarras sur le point de savoir si tous ont en eux-mêmes (ἐν ἑαυτοῖς) le pouvoir de s’arrêter et de se mouvoir » (De motu, 4, 700a11-13) 5, et elle reçoit alors une réponse largement négative : « tous les êtres ina nimés sont mus par autre chose (ὑπ’ ἄλλου), tout ce qui est mû de la sorte a pour principe les êtres qui se meuvent eux-mêmes (αὑτὰ κινοῦντα)» (De motu, 4, 700a16-17). De même, en Physique, VIII, 4, 255a5-7 la capacité de se mouvoir « de soi-même » est déniée à ce qui n’est pas animal ou vivant : « il est impossible en effet de dire que ces êtres se meuvent d’eux-mêmes (ὑφ’ αὑτῶν), car le faire est propre à ce qui est animal et pourvu d’une âme » 6. L’expression de la simple naturalité du mouvement devient ainsi l’affirmation d’une dépendance vis-à- vis de la nature, dès lors que ce qui est mû φύσει, de fait, est mû ὑπό τινος, « par quelque chose » (Phys., VIII, 4,255a28-30). Le spectacle des animaux, en revanche, accré dite la croyance selon laquelle il pourrait y avoir un commencement du mouvement : la chose est bien plus visible chez les êtres animés ; parfois, alors qu’aucun mouvement ne se produit en nous et que nous sommes au repos, à un moment donné nous nous trouvons pourtant nous mouvoir, et survient quelquefois en nous, à partir de nous-mêmes, un com mencement de mouvement (ἐν ἡμῖν ἐξ ἡμῶν αὐτῶν ἀρχὴ κινήσεως), alors même que rien d’extérieur ne nous a mus. Les êtres inanimés ne nous offrent pas un spectacle semblable, mais c’est toujours quelque chose d’autre et d’extérieur qui les meut ; l’animal, nous disons qu’il se meut lui-même (αὐτὸ ἑαυτὸ κινεῖν) (Phys., VIII, 2, 252b17-23) 7. Il est vrai que l’affirmation de cette auto motricité animale est loin d’être inconditionnelle et d’ailleurs, dans le passage qui vient d’être cité, la croyance selon laquelle du mouvement pourrait commencer est envisagée comme trompeuse. Aris tote peut écrire que « dans l’ensemble, l’animal se meut naturellement lui-même » (Phys., VIII, 4, 254b17-19) 8, il n’en accorde pas moins une validité universelle au principe selon lequel « tout ce qui se meut doit être mû par quelque chose » (Phys., VIII, 4, 256a2-3) 9. Selon lui, même les choses qui se meuvent « par elles-mêmes » (ὑφ’ αὑτῶν) sont mues par quelque chose 10. Dans le cas de l’animal, tout bien pesé, « la cause n’est pas tirée de lui » (οὐ γὰρ ἐξ αὐτοῦ τὸ αἴτιον), car chez lui ont lieu des mouvements que les animaux ne produisent pas « de leur fait » (δι’ αὑτῶν) 11. D’une façon générale, 1. DA, I, 1, 402a6-7. Voir également II, 4, 415b7-8 et Metaph., E, 1, 1025b19-21, puis 1026a5-6. 2, Sur cette difficulté, cf. WOLFF, 1997, p. 157-158. Chez Aristote même, la divinité est ζῷον (Metaph., Λ, 7, 1072b29), et il n’est pas exclu que le ciel et les astres soient également vivants ou animaux. Chez l’auteur du Timée, le monde est un ζῷον. 3. Phys., II, 1, 192b20-23 : « tous les êtres qui sont par nature apparaissent comme ayant en eux- mêmes (ἐν ἑαυτοῖς) un principe de mouvement et d’arrêt». Le principe en question est la φύσις. Beaucoup de passages du corpus physique consonnent avec cette définition. Aristote évoque également des êtres qui se meuvent « par eux-mêmes » (καθ’ αὑτά) comme en De caelo, I, 2, 268b14-16 ; « par soi » s’oppose alors à « par accident » : cf. Phys., VIII, 4, 254b7-12. 4. Cf. DA, II, 1, 412b16-17 : l’âme est la forme d’un corps naturel « ayant en lui-même (ἐν ἑαυτῷ) un principe de mouvement et d’arrêt ». 5. Aristote explore ici l’idée d’une dépendance vis-à-vis d’un principe externe. 6. Aristote note ll. 10-11 que des choses telles que le feu ne sont capables de se mouvoir que dans une seule direction, c’est pourquoi on doit dire qu’elles ne se meuvent pas ὑφ’ αὑτῶν. Il observe ensuite que les êtres simplement naturels ne sont pas dotés de parties qui leur permettraient d’articuler leur mouvement. 7. Cf. VIII, 6, 259b1-6. 8. τὸ μὲν ζῷον ὅλον φύσει αὐτὸ ἑαυτὸ κινεῖ . 9. ἅπαντα ἄν τὰ κινούμενα ὑπὸ τινος κινοῖτο. 10. Phys., uploads/Philosophie/ aristote-zoologie-et-ethique-pdf 1 .pdf
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- Publié le Sep 08, 2022
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