1 ART ET TECHNOLOGIE1 Une approche philosophique avec Gilbert Simondon (Introdu
1 ART ET TECHNOLOGIE1 Une approche philosophique avec Gilbert Simondon (Introduction à la techno-esthétique 2) Préambule : la triple signification du titre et les enjeux du séminaire « Art et technologie : une approche philosophique avec Gilbert Simondon ». Tel est le titre que j’ai choisi de donner à ce séminaire. Ce titre signifie essentiellement trois choses : 1) Il s’agit d’examiner ensemble la relation de l’art et de la technologie, c’est-à-dire de s’intéresser à autre chose qu’un rapport purement théorique entre deux réalités sans communication dans les pratiques. Si la relation entre art et technologie mérite une attention particulière en effet, c’est que la réalité artistique semble aujourd’hui indissociable de la technologie, comme support, comme instrument et comme discours. Ce sont non seulement les pratiques artistiques qui sont concernées mais aussi les pratiques esthétiques, c’est-à-dire que la technologie affecte autant la manière de faire de l’art que la manière de le recevoir et de le transmettre. La relation entre l’art et la technologie doit donc d’emblée être comprise des deux côtés de la relation esthétique: et du côté de l’artiste et du côté de l’amateur, sans quoi on risque de réduire le problème technologique de l’art à un domaine limité, comme celui de l’art numérique, alors que c’est l’ensemble de l’expérience sensible du monde qui est en question. Poser le problème de la relation entre l’art et la technologie signifie donc chercher à comprendre en profondeur et selon tous ses aspects, le tournant technologique de la sensibilité que nous vivons et qui change notre relation au monde et à nous-mêmes. Disons-le tout de suite, cette compréhension n’est en aucune manière une tentative de réduire l’art à la technologie ou de poser dogmatiquement que notre relation au monde et à nous-mêmes est exclusivement et de manière permanente une relation technologique. Mais refuser de penser ce tournant technologique de la sensibilité reviendrait à nous tenir loin du monde et de nous-mêmes ; car ainsi réfugiés dans le ressentiment et l’ignorance, nous serions incapables d’envisager que l’art peut encore s’opposer à la domination que la technologie peut aussi engendrer. 1 Cet article est le texte intégral d’un séminaire donné à l’ISELP (Institut Supérieur d’Étude du Langage Plastique) à Bruxelles en mai 2011 avec pour titre : Art et technologie. Une approche philosophique avec Gilbert Simondon. Il s’agissait donc de poser le problème de l’art et de la technologie à travers une introduction à la philosophie de Simondon, et cela, pour un public composé en majorité de non philosophes. Certaines difficultés de la pensée de Simondon ont donc été volontairement mises de côté et certaines précisions développées oralement à la suite des questions du public. De nombreuses images et schémas accompagnaient chaque séance. 2 2) Ce titre signifie ensuite qu’il s’agit de proposer une « approche philosophique » de la relation entre art et technologie. Il faut entendre par là que je ne donnerai pas la priorité à une analyse historique détaillée de l’« art technologique », même s’il faudrait situer quand et comment on passe d’un art « technique », ce qu’est l’art depuis toujours comme on le verra, à un art « technologique ». Si une histoire est nécessaire, et si cette histoire ne peut faire l’économie des œuvres et des pratiques, ce n’est pas l’« art technologique » comme genre artistique dont il sera question, mais bien de la signification de ce passage d’un art technique à un art technologique entre les années 1960 et 1990, au moment où la révolution numérique a lieu2. Plus précisément, c’est moins une approche historique que développera ce séminaire qu’une approche génétique. L’art, en passant d’un régime technique à un régime technologique, change de « phase » à l’intérieur d’un processus général d’évolution du rapport de l’homme au monde, c’est-à-dire de l’évolution biologique et technique de l’esprit humain. 3) Ce titre signifie enfin que cette approche philosophique se fera « avec » Gilbert Simondon, au moins en deux sens : premièrement, en élaborant une philosophie de la genèse des individus physiques, biologiques, psychosociaux et techniques, ce philosophe français (né en 1924 et mort en 1989) nous permet d’approcher, plus qu’aucun autre, la relation entre l’art et la technologie, parce qu’il nous invite à penser sans préjugés métaphysiques ce qu’est la genèse d’un être, et à réhabiliter la technique comme réalité intermédiaire entre le monde naturel et le monde humain, hors de l’alternative entre un technicisme intempérant et un humanisme technophobe qui ruine toute prétention à penser la technique depuis le XVIIIe siècle et jusqu’à nous (c’est-à-dire de De la Mettrie à Heidegger). Ce séminaire sera donc une introduction à la pensée de Simondon à travers le problème de l’art et de la technologie. Mais proposer une approche philosophique avec Gilbert Simondon signifie deuxièmement que je vous propose ici mon interprétation de Simondon, d’abord et avant tout parce que je vous propose un prolongement de sa pensée. Car si l’on trouve des méditations relatives au sensible et à l’art dans son œuvre, il n’existe pas à proprement parler de doctrine esthétique autonome. Par prolongement, il faut alors comprendre non pas une application sans modifications de ses théories de l’individuation et de la technique au domaine de l’art, mais quelque chose comme une insertion dans son œuvre qui permet d’aller plus loin. C’est donc moins à partir de sa pensée que nous allons éclairer la relation entre art et technologie qu’à travers elle. Introduction : le tournant technologique de l’art Comme vous avez pu certainement en faire l’expérience, lors de vos visites dans les institutions artistiques, mais aussi dans les galeries, ou encore dans la rue, l’art semble désormais indissociable de la technologie. L’intrication de l’art et de la technologie est telle, qu’une simple panne peut nous priver de toute expérience esthétique de l’œuvre. Qui, en effet, ne s’est pas déjà 2 La technologie se constitue par le conditionnement réciproque de la science et de la technique. Si la technologie a pu connaître des précédents dans l’Antiquité à Alexandrie, à la Renaissance à Florence, à l’âge Classique à Paris, elle est pleinement effective avec le couplage des machines à information et des réseaux de communication. 3 trouvé dépité devant une « œuvre » ou plutôt un « dispositif » artistique parce qu’il ne fonctionnait pas ou parce que la procédure n’était pas claire pour le faire fonctionner ? N’avons- nous pas tous fait au moins une fois l’expérience de lancer un regard suppliant vers un médiateur pour obtenir quelque explication sur l’attitude et les opérations à effectuer pour que « ça marche », ou pire, n’avons-nous pas fait l’amère expérience un jour d’entendre ce même médiateur nous expliquer que « l’installation ne fonctionne pas » ou qu’il ne sait pas la faire fonctionner et qu’il est donc inutile de vouloir la contempler ? A cause de l’inflation technologique de l’art, il semblerait que nous soyons de plus en plus privés de l’expérience esthétique comme telle, qu’en dehors du fonctionnement il n’y a strictement rien à voir, et qu’il est donc vain d’attendre une quelconque révélation sur le monde, sur soi-même ou sur l’art. Il y a en ce sens une dépendance de notre expérience esthétique au fonctionnement technique, mais bien souvent cette dépendance est une véritable réduction de l’effet esthétique de l’œuvre au fonctionnement technique. En cas de dysfonctionnement ou de panne, l’œuvre est inaccessible voire inexistante : un « bug » informatique survient et au lieu d’avoir une animation numérique réaliste on contemple le monochrome bleu de l’absence de signal vidéo – qui n’est d’ailleurs pas sans qualités esthétiques –, un capteur défaillant et le robot censé accomplir de gracieux mouvements en fonction de notre déplacement est comme le cadavre d’une bête morte ou comme un vieux tas de ferraille abandonné dans une casse – ce qui n’est pas sans qualités esthétiques non plus –, ou votre ordinateur ne possède pas la dernière version du logiciel « Flash » et le site web reste inaccessible. Quand elle fonctionne, on ne sait plus alors s’il faut admirer dans l’œuvre le travail de l’ingénieur qui a conçu le programme, l’utilisation qu’en fait l’artiste ou l’intelligence de l’opérateur qui sait la faire fonctionner correctement – c’est-à-dire nous-mêmes dans le cas des œuvres interactives où l’on éprouve une certaine satisfaction narcissique à avoir réussi à faire fonctionner le dispositif –, avec au cœur même de cette hésitation dans l’assignation de notre admiration, le sentiment qu’à tout moment il peut y avoir un dysfonctionnement qui annule toute tentative de compréhension et d’évaluation de l’œuvre. Au fond, les conditions de fonctionnement et d’accès à l’œuvre, en tant qu’elles sont technologiques, affectent notre rapport à l’œuvre, c’est-à-dire qu’elles conditionnent nos attentes, nos jugements, nos savoirs, notre rapport à l’art en général. Il faut toutefois préciser que cette réduction de l’effet esthétique au fonctionnement technique, bien qu’elle soit commune à toutes les œuvres et pratiques artistiques qui supposent une alimentation électrique, une interface informatique et une procédure de fonctionnement, relève surtout des œuvres les moins abouties, celles qui sont issues d’un rapport infantile uploads/Philosophie/ art-et-technologie-introduction-a-la-te-pdf.pdf
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- Publié le Nov 29, 2021
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