Déviance et société Au-delà du silence : les productions féministes sur le « cr
Déviance et société Au-delà du silence : les productions féministes sur le « criminalité » et criminalisation des femmes Colette Parent Citer ce document / Cite this document : Parent Colette. Au-delà du silence : les productions féministes sur le « criminalité » et criminalisation des femmes. In: Déviance et société. 1992 - Vol. 16 - N°3. pp. 297-328; http://www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1992_num_16_3_1817 Document généré le 06/06/2016 Déviance et Société, 1992, Vol. 16, No 3, pp. 297-328 Actualités bibliographiques AU DELÀ DU SILENCE: LES PRODUCTIONS FÉMINISTES SUR LA «CRIMINALITÉ» ET LA CRIMINALISATION DES FEMMES C. PARENT* Jusque dans les années 1970, la question des femmes en criminologie occupe un statut très marginal; comme au sein d'autres disciplines des sciences sociales d'ailleurs, le silence sur cette question constitue plutôt la norme'. L'introduction des féminismes dans la discipline marque une augmentation du nombre de travaux sur la problématique des femmes dans la justice pénale si bien qu'aujourd'hui, nous comptons sur une production féministe importante sur la «criminalité» et la criminalisation des femmes. Mais l'intérêt de ces travaux ne réside pas tant dans le nombre que dans le cheminement théorique des perspectives féministes et dans leur apport aux questionnements qui prévalent dans la discipline et plus largement dans l'élaboration des connaissances en sciences sociales. Aussi notre propos ici n'est pas de faire œuvre de recension exhaustive des travaux; nous entendons plutôt dégager les textes fondamentaux sur la «criminalité» et la criminalisation des femmes produits dans une perspective féministe2 ces vingt dernières années et en présenter le questionnement théorique3. * Université d'Ottawa, Département de Criminologie. 1 En effet, Heidensohn (1968), Klein (1973), Millman (1975), Rodmell (1981), Smart (1976), pour n'en citer que quelques-unes, dénonceront le silence sur la question des femmes en criminologie. 2 Nous définissons le féminisme occidental contemporain comme un mouvement social qui vise la libération des femmes et comme une tendance intellectuelle qui porte sur l'analyse des rapports sociaux de sexe ou tout au moins sur la subordination, la domination des femmes. 3 Pour une analyse des questions soulevées par les analyses sur la «criminalité» et la criminalisation des femmes, voir aussi l'intéressant travail de Laberge (1991). Parmi les travaux de synthèse sur la production féministe en criminologie, mentionnons également Chesney-Lind (1986), Daly et Chesney-Lind (1988), Gelsthorpe et Morris (1988) et Simpson (1989). 297 I. Les productions féministes sur la «criminalité» des femmes 1. Les critiques des théories traditionnelles sur les comportements de transgression des femmes Les toutes premières contributions féministes à la problématique de la «criminalité» des femmes reposent sur des critiques des stéréotypes sexistes qui polluent les théories criminologiques traditionnelles sur cette question. Au moment même où Taylor, Walton et Young (1973) passaient au crible les théories traditionnelles sur la «criminalité» des hommes, Klein (1973), influencée par le mouvement radical américain, et Smart (1976), participant du mouvement critique anglais, entreprenaient le même travail pour les femmes, avec une lunette féministe. Elles seront suivies par d'autres auteurs dans les années 1970 et 1980 (Bertrand, 1979; Campbell, 1981; Gora, 1982; Heidensohn, 1985; Morris, 1987; Scutt, 1978 etc.) qui feront ressortir à leur tour les présupposés des théories traditionnelles et/ou feront état de leur survivance à travers des explications assaisonnées au goût du jour. Les œuvres pionnières de Klein (1973) et de Smart (1976) initient un volet d'étude d'autant plus important que les théories traditionnelles reposent sur une tradition de pensée dont l'influence apparaît particulièrement étendue et imperméable au temps, du moins en ce qui concerne les femmes. Smart (1976, p. 27) indique que cela peut être imputable à la fois au peu d'écrits produits jusque-là sur les femmes dans la justice pénale et aux fonctions légitimantes de ces analyses face aux contrôles pénaux exercés sur les femmes. Les féministes en prendront aussitôt conscience: il faut dénoncer d'abord la production existante qui repose et influe sur la conception des femmes et leur traitement dans la justice pénale avant d'entreprendre toute autre tâche. D'entrée de jeu, Klein (1973) et Smart (1976) introduisent leurs propos en faisant ressortir les limites du paradigme positiviste. Puis à partir de cette toile de fond, elles abordent la critique des théories traditionnelles sur les comportements de transgression des femmes. Les deux auteures constatent que la criminologie traditionnelle explique la «criminalité» des femmes essentiellement à partir de caractéristiques individuelles qui reposent en dernier ressort sur leur nature, sur leur biologie. Ces caractéristiques, précise Klein (1973, p. 5), sont reliées à la sexualité des femmes4 et permettent d'expliquer leur comportement en général et leur comportement «criminel». C'est à partir de leur nature qu'on rend compte, en effet, de la position sociale et économique des femmes, de leur confinement au foyer dans le rôle de mères et d'épouses. Les relations de sexe et le double standard de moralité selon le sexe qui prévalent à cette époque trouvent donc explication dans la biologie. Cette conception de la nature des femmes et des rôles qui en découlent, ajoute Smart (1976, p. 36), repose sur les représentations sociales dominantes 4 Les auteures vont expliquer le comportement des femmes à partir de l'immobilité de l'ovule ou encore à partir de leur cycle menstruel. 298 des femmes de classe moyenne en Europe à l'époque des écrits analysés; leur passivité, leur manque d'intelligence, leur statut social inférieur à celui des hommes sont conçus comme le simple reflet de leur biologie. Chacune des auteures analyse ensuite les présupposés sexistes qui alimentent les théories traditionnelles sur la «criminalité» des femmes5. Mais cette critique ne constitue qu'une première étape dans la construction d'un savoir féministe sur les femmes en criminologie. Selon Klein (1973), il sera possible d'initier par la suite un autre type de recherche appuyée sur une nouvelle définition de la «criminalité», des femmes, des individus et de leur rapport à l'Etat. Smart (1976), quant à elle, considère que cette première étape ne permet pas de produire une nouvelle théorie sur le comportement de transgression des femmes et qu'il nous faut réaliser d'autres recherches. En réponse au caractère non seulement partiel mais aussi partial6 de la criminologie, Smart (1976, p. 180) indique qu'il nous faut trouver des voies alternatives pour conceptualiser l'univers social de sorte que les intérêts et préoccupations des femmes soient considérés et inclus plutôt que subsumes ou ignorés1. Tâche qui est loin d'être aisée et qui soumettra les auteures féministes au feu croisé de la critique. Ces critiques surgiront d'ailleurs tant de la droite que de la gauche en criminologie. D'abord, en 1980, Steffensmeier et Clark prennent à partie la thèse selon laquelle les textes criminologiques sont pollués par un préjugé sexiste biologique. Selon ceux-ci, ces textes (ils réfèrent, notons-le, aux ouvrages généraux en criminologie) recèlent un préjugé sociologique ou socio-culturel plutôt que biologique. Les critiques féministes8 qui identifient le péché sexiste partout ont erré, affirment-ils, car elles ont limité leur analyse à quelques œuvres dont elles ont exagéré l'influence ou dont elles ont ignoré certains éléments plus reconnus. Mais à travers leur analyse, Steffensmeier et Clark (1980) n'ont pas su reconnaître les fondements des critiques féministes et leur aveuglement aux rapports sociaux de sexe les a amenées sur une fausse piste. En effet, leur travail témoigne des limites même de la criminologie traditionnelle face à la question des femmes. Par ailleurs, Cousins (1980) et Greenwood (1981), inspirés par les courants critiques en criminologie, manifestent leur inquiétude devant le caractère limité de ces critiques féministes. Ces auteurs déplorent que les critiques féministes n'aient pas mis en cause sans équivoque la notion de crime et craignent que cela n'oriente la recherche féministe vers de fausses pistes. En 1986, Brown fustige à son tour l'apport des critiques féministes. Elle considère que ces analyses résument toute la criminologie féministe et pointe du doigt leur aveuglement à certains éléments intéressants de la criminologie traditionnelle dont devrait partir Klein (1973) présente les théories de Lombroso et Ferrera (1895), Thomas (1907, 1923), Freud (1933), Davis (1961) et Pollak (1950). Smart (1976) analyse les contributions de Lombroso et Ferrera (1895), Thomas (1907, 1923) et Pollak (1950). Nous empruntons l'expression à Juteau-Lee (1981). Notre traduction. Steffensmeier et Clark (1980) présentent des citations de Klein (1973), de Simon (1975) et Smart (1976). 299 le questionnement sur la «criminalité» des femmes. Brown (1986)9 propose alors une relecture de Lombroso sur la femme criminelle dont certains éléments ne sont pas sans intérêt certes mais l'ensemble de sa critique demeure prisonnière des limites de la criminologie traditionnelle. 2. L'impact du mouvement de libération des femmes En parallèle aux critiques féministes, certaines auteures ont porté leur attention sur les liens entre les rôles sexuels et la «criminalité». En 1968, dans une œuvre qu'elle qualifie elle-même plus tard de pré-féministe (Heidensohn, 1985, p. 146), Heidensohn fait appel à une analyse des comportements problématiques des femmes qui prend appui sur les rôles sexuels dans leur rapport avec la structure sociale. A sa suite, quelques auteures et plus particulièrement Bertrand (1969) et Hoffman-Bustamante (1973), comparent les taux de criminalité des femmes et des hommes et se penchent sur la relation entre les rôles sexuels et la nature de la criminalité des femmes. La théorie des uploads/Philosophie/ au-dela-du-silence-les-productions-feministes-sur-le-criminalite.pdf
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- Publié le Jan 07, 2023
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