CHAPITRE 12 BERNARD PALISSY 1. Introduction Nous avons jusqu'à présent examiné

CHAPITRE 12 BERNARD PALISSY 1. Introduction Nous avons jusqu'à présent examiné la situation et les caractéristiques du concept de semence dans les trois courants philosophiques majeurs du sei- zième siècle: le ficinien, l'aristotélicien et le paracelsien. D'après les études de nos précurseurs, il y a des protagonistes du concept qui ne se placent pas faci- lement dans ces trois écoles. Si nous lisons soigneusement leurs textes, nous pouvons constater une graduelle pénétration des idées paracelsiennes et séve- riniennes qui s'amalgameront au fil du temps avec celles de l'alchimie tradi- tionnelle. Ainsi nous intitulons la quatrième partie de la présente étude " speculum chymicum " où la philosophie chymique joue un rôle considérable pour l'évolution du concept de semence. Nous allons observer avec ce "miroir chymique " les reflets de la fortuna du concept dans les sciences minérales au seuil de la Révolution scientifique. Le premier personnage chronologiquement remarquable parmi ces protago- nistes est sans doute Bernard Palissy (v. 1510-1590), maître potier français1. Ce huguenot, converti vers 1546, nous a laissé deux ouvrages importants dont le premier est intitulé Recepte veritable (La Rochelle, 1563) et l'autre Discours admirables (Paris, 1580). Ils sont écrits sous forme de dialogue entre deux personnages : Demande et Réponse dans le premier et Théorique et Practique dans le deuxième. Réponse et Practique expriment dans chaque ouvrage la pensée de Palissy. Nous allons examiner ce qu'il a vraiment enseigné concer- nant les semences des choses naturelles. 1. Sur sa vie et son œuvre, voir DSB, 10 (1974), 280-281 ; E. et E. Haag, La France protestante, t. 8, Paris, 1858 (réimpr. Genève, 1966), 69-97 ; L. Audiat, Bernard Palissy .' étude sur sa vie et ses travaux, Paris, 1868; E. Dupuy, Bernard Palissy .' l'homme, l'artiste, le savant, l'écrivain, Paris, 1894. Plus récemment, voir F. Lestringant (éd.), Bernard Palissy, 1510-1590 .' l'écrivain, le réformé, le céramiste, Mont-de-Marsan, 1992, qui contient une bibliographie précieuse sur les étu- des palisséennes. 328 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 329 Palissy est né près d'Agen. Selon ce qu'il déclare dans ses écrits, il n'a pas su lire le latin parce qu'il n'a pas reçu une éducation formelle. Mais il a peut- être largement lu des livres et des brochures destinées aux praticiens artisans, écrits en français. Suivant la coutume des apprentis de son temps, il a beaucoup voyagé en France. Depuis 1566 ou 1567, il s'est trouvé à Paris au service de Catherine de Médicis (1519-1589), reine mère. Il nous semble qu'il a acquis dans la capitale une notoriété en y organisant des cours privés sur 1'histoire naturelle en 1575. C'est probablement à travers ces cours qu'il a rencontré des savants parisiens, entre autres, Ambroise Paré (1517-1590). Il a survécu au massacre de la saint Barthélemy (1572) bien qu'il soit toujours resté fidèle à sa foi réformée. Il a été emprisonné à la Bastille de 1588 et ce jusqu'à sa mort. Au dix-neuvième siècle, les spécialistes de Palissy dont P.-A. Cap, l'un des premiers éditeurs de son œuvre complète, ont considéré que son influence avait été assez limitée. Mais depuis le début du dernier siècle, quelques historiens ont évoqué l'impact de sa pensée sur la philosophie empirique de Francis Bacon (1561-1626)2. Quant à P. Duhem, il a cru trouver chez le potier français la réminiscence des idées de Léonard de Vinci (1452-1519), transmises via la traduction française (1557) du De subtilitate de Cardan3. Dès lors, les histo- riens se sont efforcés d'évaluer la signification historique de Palissy dans les sciences de la Renaissancé. Aujourd'hui, il se place relativement bien dans l'histoire des sciences de la Terre où sa pensée géologique ne cesse pas d'être étudiée5. L'histoire de la chimie lui accorde aussi un espace non négligeable, probablement en raison de son empirisme précoce6. En ce qui concerne l'his- toire du concept de semence, seul D.R. Oldroyd a traité de Palissy mais sans 2. Cf. A.B. Hanschmann, Bernard Palissy und Francis Bacon: Bernard Palissy der Künstler, NatUiforscher und Schriftsteller ais Vata der induktiven Wissenschaftmethode des Bacon von Vaulam, Leipzig, 1903; T.C. A11butt, "Palissy, Bacon, and the R~vival of Natural Science", Proceedings ofthe British Academy, 6 (1913-1914), 233-247 ; B. Farnngton, Franczs Bacon, New York, 1949, 13-15 ; P. Rossi, Francis Bacon, trad. angl. (éd. orig. 1957), London, 1968,8 et n. 30. 3. P. Duhem, Études sur Léonard de Vinci, l. 1, Paris, 1906,245-253. 4. Voir L. Thomdike, A History of Magic and Experimental Science, l. 5, New York, 1941, 441-442 et 596-599; G. Sarton, Six Wings: Men of Science in the Renaissance, Bloomington, 1957, 164-171. 5. Cf. P. Brunet, "Les premiers linéaments de la science géologique: Agricola, Palissy, George Owen ", Revue d' histoire des sciences, 3 (1950), 67-79; H.R. Thompson, "The Geo- graphical and Geological Observations of Bernard Palissy the Potter", Annals of SCIence, 10 (1954), 149-165; M.-M. Michel, Bernard Palissy, hydrologue et géologue, thèse de doctorat, Univ. de Bordeaux, 1951 ; A. La Rocque, "Bernard Palissy", in C.J. Schneer (éd.), Toward a Hzs- tory of Geology, Cambridge (MA), 1969, 226-241 ; A.K. Biswas, History of Hydrology, Amster- dam, 1970, 149-155; R. Halleux, "La littérature géologique française de 1500 à 1650 dans s?n contexte européen", Revue d'histoire des sciences, 35 (1982), 111-130; G. Gohau, L!nehlstozre de la géologie, 2° éd. (éd. orig. 1987), Paris, 1990,41-43 et 70-71 ; F. Ellenberger, Hzstozre de la géologie, t. 1, Paris, 1988, 131-148. 6. Voir J.R. Partington, A History ofChemistly, l. 2, London, 1961,69-77; R.P. Multhauf, The Origins of Chemistry, London, 1966,259-261. en analyser les sources possibles dans le contexte historique7. Dès lors, c'est ce que nous nous proposons de réaliser dans le présent chapitre. 2. Le concept de sel générateur et le paracelsisme Palissy parle de la théorie traditionnelle des alchimistes plutôt favorable- ment et sans grande méfiance dans sa Recepte veritable8• Pour la formation des métaux, il est d'accord avec les alchimistes traditionnels sur leur principe dou- ble, soufre et argent vif. Cependant comme les Paracelsiens, il sent la nécessité d'y ajouter quelque espèce de sel. Il dit: " C'est une regle bien accordee entre les Philosophes, que les metaux sont engendrez de souphre et d'argent vif, ce que je leur accorde: ce néantmoins, il y a quelque espece de sel, qui aide à la congelation ,,9. Selon Palissy, ce troisième principe est un agent supérieur au soufre et à l'argent vif. Le sel existe partout dans le monde et sa variété est infinie. Il réside dans tous les corps naturels. Ce principe suprême est responsable de la congélation, la conservation, la solidification et la génération. Le sel relie les parties de matières et réalise leur cohésion. Il cause la végétation, la perfection et la maturation. C'est vraiment l'agent clé pour presque tous les éhangements dans la Nature. Bien sûr, le sel existe à l'intérieur du corps des métaux et des minéraux. Chez Palissy, ces corps souterrains sont formés par l'action du sel qui fait le "principal" de la congélationlO• Nous remarquons que ces proprié- tés caractéristiques du sel palisséen semblent en partie très proches de celles de la quintessence ou de l'élixir de la théorie traditionnelle de l'alchimie médiévale tardive. Cependant pour le moment, nous soulignons simplement ce point et nous y reviendrons plus tard. Face à cette théorie du sel générateur, principe spécial, nous devons d'abord discuter de l'influence possible du paracelsisme sur elle. Bien que Palissy n'ait pas mentionné le nom de Paracelse dans la Recepte veritable, il est possible qu'il ait connu quelques aspects de ses doctrines. Mais le problème des sources et du degré de ses connaissances paracelsiennes lors de ce premier ouvrage est encore aujourd'hui une question tout à fait ouverte. Par exemple, suivant A. France qui n'était pas un historien, P. Rossi a considéré sans fondement solide que Palissy avait lu des brochures sur les idées paracelsiennesl1. Quant 7. D.R.Oldroyd, "Some Neo-Platonic and Stoic Influences on Mineralogy in the Sixteenth and Seventeenth Centuries ", Ambix, 21 (1974), 128-156, ici 136-137. 8. Voir comme texte l'édition critique de M.-M. Fragonard et al. (éds), Bernard Palissy, Œuvres complètes, Mont-de-Marsan, 1996 (2 vols) ; A. France (éd.), Bernard Palissy, Œuvres, Paris, 1880 (réimpr. Genève, 1969). 9. Recepte veritable (Fragonard, l. 1, 118-119 = France, 71). 10. Recepte veritable (Fragonard, l. 1, 97 = France, 53). 11. P. Rossi, Francis Bacon, op. cit., 8. Cf. W. Kirsop, "The Legend of Bernard Palisssy ", Ambix, 9 (1961), 136-154, ici 147-149. 330 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 331 à A.G. Debus, spécialiste du paracelsisme, il est allé beaucoup plus loin en cherchant les aspects similaires des doctrines de Paracelse et du potier français. Et il a qualifié ce dernier de "Paracelsien ,,12. Or, il est vrai que la publication de la Recepte veritable a coïncidé avec le commencement de la diffusion du paracelsisme en France. Comme nous l'avons dit dans les chapitres sur Séverin et Du Chesne, après le " renouveau paracelsien " activé aux alentours de 1560, la philosophie chymique de Paracelse a considérablement attiré l'attention non seulement uploads/Philosophie/ bernard-palissy-the-concept-of-seeds-an.pdf

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