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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Paolo C. Biondi Laval théologique et philosophique, vol. 57, n° 3, 2001, p. 495-511. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/401378ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 9 juin 2010 01:34 « "De l’expérience…". Un examen de quelques propos d’Aristote sur l’εμπειρία » Laval théologique et philosophique, 57, 3 (octobre 2001) : 495-511 « DE L'EXPERIENCE... » UN EXAMEN DE QUELQUES PROPOS D'ARISTOTE SUR L'EMIIEIPIA Paolo C. Biondi Département de philosophie Université de Sudbury RÉSUMÉ : Dans toute tentative de comprendre l'expérience (èpneipia) telle qu 'elle est présentée dans le corpus aristotélicien, un passage des Seconds analytiques : 77, 19, 100 a 6-8, a toujours été une pierre d'achoppement pour les philosophes. Ce passage semble contredire ce qu'Aris- tote affirme ailleurs quant à l'expérience. Par un examen des diverses traductions ainsi que des commentaires faits du passage à travers l'histoire du commentaire aristotélicien, l'auteur offre une interprétation du texte permettant une compréhension plus élargie de la nature de l'expérience humaine qu 'une lecture « empirique » en donnerait. ABSTRACT : In any attempt at coming to an understanding of experience (èpneipia) as it is presented in Aristotle's writings, Posterior Analytics 77, 19, 100 a 6-8, has always been a stum- bling block for philosophers. This passage seems to contradict what Aristotle says elsewhere about experience. The author examines different translations and comments made of this pas- sage throughout the history of Aristotelian commentary, offering an interpretation of the pas- sage which will permit a wider understanding of the nature of human experience than an "em- pirical" reading of it would. INTRODUCTION D ans l'introduction de Y Éthique à Nicomaque1, Aristote exige que le lecteur dudit traité ne soit pas une personne sans expérience (cfrceipoç) dans l'agir humain, c'est-à-dire manquant de vécu « pragmatique ». L'expérience (éuTieipia) qui donne aux personnes ayant cette expérience « une vue exercée permettant de voir correctement les choses2 » devient donc la mesure de ce qui est dit sur le sujet3. De même, on peut penser que ce qui est valable dans le cas de la science politique, une science pratique selon Aristote, l'est également pour les sciences théoriques. En effet, l'importance de l'expérience pour toute connaissance intellectuelle ne doit jamais être 1. Voir Éthique à Nicomaque, I, 3. 2. Éth. Nie, VI, 11, 1143 b 13 ; trad. J. Tricot (troisième édition, Paris, Vrin, 1972) légèrement modifiée. 3. Même si cette expérience est affaire de temps quant à l'acquisition, une personne jeune pourra, par la ma- turité que permet l'observation, posséder l'expérience. Voir Éth. Nie, I, 3, 1095 a 2-10 et VI, 8, 1142 a 12- 19. 495 PAOLO C. BIONDI sous-estimée puisque c'est grâce à l'expérience que l'homme accède à l'art et à la science4. Permettant l'acquisition des principes de l'art et de la science5, elle guide ainsi l'intelligence dans sa quête de la vérité pratique ou théorique. Vu l'importance de l'expérience dans la construction des savoirs humains, on devrait pouvoir trouver, quelque part dans le corpus aristotélicien, un examen de sa nature et de la connaissance qu'elle nous fournit. Or, mises à part quelques indi- cations que l'on trouve ici et là, Aristote n'en parle nulle part de manière soutenue et détaillée. Contrairement à la connaissance intellectuelle examinée dans les traités lo- giques, et à la connaissance sensible examinée dans plusieurs traités naturels (ainsi que les capacités cognitives respectives), le Stagirite nous laisse sur notre faim lors- qu'il s'agit de développer sa pensée à l'égard de la connaissance propre à l'expé- rience. Les commentateurs contemporains touchant rarement à l'expérience, font de même, semble-t-il6. Saisir la nature de l'expérience et de la connaissance qu'elle livre est difficile. On trouve l'esquisse d'un développement de la pensée d'Aristote à ce sujet dans deux passages complémentaires, soit la Métaphysique, I, 1 et les Seconds analytiques, II, 197 ; mais ces passages posent plusieurs problèmes. Dans les deux textes, il s'agit d'indiquer les différents niveaux de connaissance humaine : l'un, les Seconds ana- lytiques, cherche à montrer de quelle manière les principes de la science sont acquis, tandis que l'autre, la Métaphysique, présente les connaissances humaines selon un ordre hiérarchique, ayant au sommet la sagesse, la connaissance des principes et des causes. En dépit de cette différence de point de vue, l'ordre général dans les deux cas reste le même : partant de la connaissance sensible, la première forme de connaissan- ce, Aristote monte progressivement vers la mémoire, l'expérience, l'art et la science (et la sagesse, dans le cas de la Métaphysique). Quant à l'expérience elle-même, le Stagirite lui attribue, semble-t-il, trois caractéristiques principales, qui se retrouvent dans les deux textes et sont présentées sensiblement dans le même ordre : 1) l'expé- rience est propre à l'homme, à cause de la présence de l'intellect ; 2) l'expérience provient de la mémoire plusieurs fois répétée d'une même chose ; et 3) l'art et la science proviennent de l'expérience, laquelle s'en distingue8. Malgré toutes ces ressem- blances, il reste une certaine confusion quant à la nature de la connaissance acquise par l'expérience. 4. Métaphysique, I, 1, 981 a 1-3. 5. Seconds analytiques, II, 19, 100 a 6-9. Aristote précise que l'expérience fournit surtout les principes pro- pres à une science donnée. Ceux-ci se distinguent des principes qui sont communs à plusieurs ou à toutes les sciences. Voir Premiers analytiques, I, 30, 46 a 18. 6. D'après nos recherches, il n'y a pas de publication récente traitant de l'èurceipia chez Aristote. Il y a, néanmoins, des analyses du sujet dans un cadre plus large, tels que des commentaires de certains traités ou des livres examinant la méthode scientifique aristotélicienne. 7. Pour les propos d'Aristote portant uniquement sur l'expérience, voir Métaph., I, 1, 980 b 24-981 b 13 et Sec. anal,, II, 19, 99 b 39-100 a 9. 8. Les références pour les trois sont : 1) Métaph., 980 b 26-28 ; Sec. anal., 100 a 1-3 ; 2) Métaph., 980 b 28- 29 ; Sec. anal., 100 a 4-6 ; et 3) Métaph., 981 a 1-12 ; Sec. anal., 100 a 6-9. 496 «DE L'EXPERIENCE...» D'après les propos tirés de la Métaphysique, l'expérience exprime une con- naissance des singuliers ; par exemple, savoir que telle plante aura soulagé Socrate atteint de telle maladie, puis soulagé Platon, puis d'autres individus sans que ce fait puisse être défini comme proposition universelle (c'est-à-dire Tout homme atteint de telle maladie sera soulagé par telle espèce de plante) est affaire d'expérience. C'est pourquoi Aristote dit de l'homme d'art, celui-ci ayant une explication rationnelle (Xoyov ëxeiv)> qu'il a une connaissance universelle des incidences et des causalités alors que l'homme d'expérience aura une connaissance plus restrictivement singu- lière et pratique. Bien que l'homme d'expérience soit un exécutant plus efficace, l'homme d'art sera plus apte à transmettre la connaissance. Ainsi l'expérience se révèle-t-elle inférieure à l'art et à la science, mais n'en demeure pas moins essentielle à l'acquisition de la connaissance universelle. La position d'Aristote sur la nature de l'expérience et sur la manière dont elle se différencie de l'art et de la science apparaît plus claire. D'ailleurs, ce passage tiré de la Métaphysique trouve des appuis dans plusieurs autres textes du corpus aristotélicien9, avec une exception capitale : le texte important des Seconds analytiques, II, 19. En effet, lorsqu'on tient compte des propos tirés des Seconds analytiques, la con- fusion gagne notre esprit. Dans ce texte, Aristote semble affirmer non seulement que l'expérience elle-même est une connaissance universelle, mais aussi qu'elle sert de principe universel d'une science donnée. La différence entre l'expérience d'une part, et l'art et la science d'autre part, semble s'effacer. Un tel énoncé surprend non seu- lement lorsqu'on le compare au texte de la Métaphysique, mais même dans son propre contexte. Aristote veut montrer dans le tout dernier chapitre des Analytiques — dont le sujet est le syllogisme et la démonstration — de quelle façon le principe de la science peut être engendré à partir de la connaissance sensible, ayant écarté la possibilité de son acquisition par voie démonstrative10. Or, puisqu'Aristote ne parle jamais dans le traité d'une sorte de connaissance universelle autre que celle des prin- cipes de la science, qu'une expérience dite universelle survienne est pour le moins inattendu et énigmatique. Faut-il choisir entre ces deux descriptions de l'expérience ? S'agit-il d'une véri- table contradiction dans la pensée du Stagirite en ce qui concerne la nature de cette connaissance ? Ou est-ce une contradiction en apparence seulement ? uploads/Philosophie/ biondi-de-l-x27-experience 2 .pdf

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