Peut-on vivre sans une certaine aspiration vers le bonheur? Mais ce mot recouvr

Peut-on vivre sans une certaine aspiration vers le bonheur? Mais ce mot recouvre-t-il quelque réalité alors qu'il se dérobe à toute définition? Pour répondre à ces questions, Jean Cazeneuve, professeur de sociologie à la Sorbonne, examine d'abord la notion de paradis, qui constitue une sorte de passage à la limite, et il en décèle à la fois les contradictions et l'utilité. Puis il montre comment les diverses civilisations, la nôtre en particulier, nous suggèrent plusieurs façons d'être heureux. C'est une sorte d'histoire naturelle du bonheur, qui nous fait voir que tout n'est pas subjectif dans cet élan vers une vie meilleure ici-bas ou dans un autre monde. L'homme de demain conformera-t-il ses rêves à ses techniques, et la civilisation du confort, avec ses nouveaux mythes, le rendra-t- elle plus heureux? C'est un problème qui nous concerne directement et qui est abordé dans ce livre. Les philosophes sont les premiers à « penser » le bonheur. Dans l’Antiquité grecque, différentes approches du bonheur sont développées. De la rationalité d’Aristote prônant le bonheur comme modèle de vertu à l’hédonisme d’Epicure, les conceptions théoriques « opposées » du bonheur révèlent la difficulté d’élaboration d’un objet clairement défini. Le sacre du bonheur en France s’inscrit dès le début des années 60 et se retrouve alors dans toutes les sphères sociales sous la forme d’une injonction à « être heureux », connaître le bonheur devient alors un devoir collectif comme individuel (Pawin, 2013). Dans le domaine cinématographique, le nouveau genre constitué par les films intimistes, qui apparaissent post mai 68 indique également un changement de perception du bonheur (Pawin, 2013). Focalisés sur la question de la vie heureuse, ils témoignent d’une modification de l’économie de valeurs. Ainsi, Un homme et une femme (1966) de Claude Lelouch, Les choses de la vie (1970) de Claude Sautet, ou encore Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) de Maurice Pialat, « proclament un droit au bonheur et à l’expression des sentiments intimes, à la réflexion et au retour sur soi » (Pawin, 2013, p.175). Dans ces œuvres, c’est un bonheur de l’individu qui est mis en scène, puisque dans les films d’action comme dans les films intimistes, les héros sont heureux de leur propre succès, ce qui s’inscrit dans la montée de l’individualisme. Parallèlement, les regards scientifiques portés sur le bonheur ont été de l’ordre de la définition et de l’évaluation : qu’est-ce que le bonheur ? Qui sont les individus les plus heureux ? Très vite le bonheur va se traduire par le mot « bien-être » et donner lieu à une première mesure du bien-être subjectif en 1946, à l’initiative de Jean Stoetzel, fondateur de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) (Pawin, 2013). C’est à la même période que le champ de la psychologie positive se développe en France et appuie cette relation entre bonheur et bien-être de l’individu (Seligman, 2011 ; 2013). Dès 1966, le sociologue Jean Cazeneuve tente d’établir une typologie du bonheur avec d’un côté « le dionysiaque » ou bonheur de l’existence, et de l’autre, « l’apollinien » ou bonheur de l’être.[1] Pour ce chercheur, la civilisation technicienne encourage ce dernier type, un bonheur de l’être, fonctionnant de pair avec une société de consommation d’objets représentés comme source de bien-être (Ansart, 1967). De ces premières théories, transparait l’influence économiste associant les revenus au bonheur. En 1974, une première rupture se crée avec le paradoxe de Richard Easterlin, expliquant que les taux de bonheur dans les pays développés n'évoluent pas proportionnellement à la hausse des revenus disponibles des ménages (Langlois, 2014). Fort de ces théories, les sociologues s’essayeront à cet objet du bonheur en cherchant à mettre en lumière d’autres indicateurs tels que le travail (Baudelot, Gollac, 2003), le sentiment de sécurité, les relations sociales (Langlois, 2014), etc. D’autres chercheurs à l’instar des ethnologues, ont travaillé sur la question du bonheur et ont fait ressortir que celui-ci était associé à des représentations spécifiques telles que les vacances (Perier, 2009), ou encore la ruralité, qui s’oppose à la croyance négative selon laquelle « la vie en ville serait un enfer » (Isnard, 2009). En résumé, le bonheur apparaît être un prisme pertinent pour comprendre les rouages de notre société, à la fois macroscopiquement mais également à l’échelle individuelle. Dans cette optique, l’atelier Thésards, formé à l’initiative des doctorants du pôle individualisation et lien social du laboratoire Cerlis, propose une journée d’étude qui se tiendra le 28 mai 2015 pour échanger autour de cet objet. Trois axes ont été envisagés pour optimiser la cohérence de cet événement. Axe 1 : Bonheur, bien-être ? Vivre heureux ? : définir, analyser, comprendre Comment conceptualiser l’expérience individuelle du bonheur ? Axe 2 : Méthodologie : accéder aux discours sur le bonheur Comment appréhender le bonheur sur le terrain ? Dispositifs qualitatifs et quantitatifs, quelles contraintes, quels apports ? Axe 3 : Qui sont les heureux ? Les expériences et les discours du bonheur Est-il vraiment présent dans les imaginaires ? Quelles sont les stratégies individuelles face aux injonctions au bien-être jalonnant l’espace social ? (CSP, générations, genre, territorialités, etc.) Kant : Une anti-philosophie du bonheur Table des Matières 1 Kant : Une anti-philosophie du bonheur 1.1 Le bonheur chez les Grecs 1.2 Bonheur et connaissance 1.3 Bonheur et égoïsme 1.4 Le désir de bonheur 1.5 Bonheur et espérance Le bonheur chez les Grecs La tradition philosophique, depuis Aristote, a associé bonheur et vie contemplative (cf. notre analyse de l’Ethique à Nicomaque). Le bonheur se différencie du divertissement, il constitue une affaire sérieuse, une activité valable en soi. Dès lors, le but de tout homme est de rechercher le bonheur, c’est-à-dire à vivre selon la raison. L’homme atteint sa perfection grâce au regard porté sur les réalités divines et intelligibles. Il y aurait donc un lien entre connaissance et bonheur. Bonheur et connaissance Or, Kant rompt ce lien entre connaissance métaphysique et bonheur. La Critique de la raison pure montre en effet le caractère illusoire d’une telle connaissance : loin de conduire l’homme au bonheur, l’intelligence spéculative lui inflige les tourments de ses paralogismes et de ses antinomies. L’absence d’intuition rend en effet impossible la connaissance des choses en soi (ou noumène, opposé des phénomènes) et Kant souligne “la perte que la raison spéculative doit subir dans ce qu’elle imaginait jusqu’alors être sa possession“. Il faut démettre ” la raison spéculative de sa prétention à des intuitions transcendantes “, autrement dit dénoncer le dogmatisme métaphysique. Bonheur et égoïsme La quête du bonheur, chez Kant, ne peut constituer le mobile d’une conduite morale car elle relève de l’amour de soi, de l’égoïsme du sujet. Néanmoins l’idée de bonheur demeure à l’horizon de sa philosophie pratique. Kant évoque ainsi l’espérance du sujet moral de devenir “digne d’être heureux“. Kant maintient un lien entre vertu et bonheur, en recourant à deux postulats : l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Le désir de bonheur “Le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l’imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques”. La raison ne peut donc pas aider à atteindre le bonheur. Le bonheur vient de la faculté de désirer. Et aucune morale ne peut en faire son but, car il n’existe pas de loi concernant le bonheur, seulement des maximes. Le bonheur est donc séparé de la morale, la doctrine du bonheur doit être distinguée de la doctrine morale. Cependant, elles ne sont pas opposées : le devoir doit primer sur la recherche du bonheur, l’obéissance à la loi morale doit passer au premier plan par rapport au désir de bonheur. Bonheur et espérance Pour conclure, le bonheur n’est pas une fin première de l’homme, mais une fin dérivée de la morale : on n’est pas heureux, on se rend digne de l’être. On agit pas moralement pour être heureux, mais en espérant l’être. Cette espérance, chez Kant, se matérialise dans le concept des règnes des fins, lequel renvoie à la liaison systématique des êtres raisonnables ayant obéit à la loi morale. Le bonheur doit donc être ajourné. L’homme doit postuler que vertu et bonheur seront un jour réunis. uploads/Philosophie/ bonheur 1 .pdf

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