Catégorisation et sous-catégorisation en lexicographie ou le rôle de la prédica

Catégorisation et sous-catégorisation en lexicographie ou le rôle de la prédication 49 Les dictionnaires de langue fournissent généralement un ensemble discontinu d’informations et d’explications qui se présentent comme des réponses à toutes les questions - ou du moins à leur majorité - que les usagers pourraient poser ou se poser. On y trouve ainsi des indications concernant la catégorie et les sous-catégories, la conjugaison, la prononciation, l’étymologie, une définition le plus souvent accompagnée d’exemples. On y trouve également des précisions sur les registres langagiers, sur les contextes d’usage, sur les relations lexicales, etc. Mais devant le caractère souvent inflationniste de ces informations surgissent quelques questions : que cherche-t-on réellement dans un dictionnaire de langue ? A-t-on toujours besoin des différentes informations qui y figurent ? A quoi peut-on réduire les informations que l’on y trouve ? Comment pallier les difficultés d’un article - de dictionnaire - inflationniste ? Bref, comment tenter de théoriser la lexicographie ? Jusqu’au début des années soixante du siècle passé, les investigations lexicographiques ont conservé un aspect principalement empirique. Aucune analyse théorique, aucun ouvrage pratique n’avaient abordé cette problématique. Hormis quelques philosophes du dix-huitième siècle qui avaient essayé, mais en vain, de systématiser certains procédés, l’indifférence vis-à-vis de toute théorie était très sensible au cours des premières actions lexicographiques. Les concepteurs se Categorisation et sous-catégorisation en lexicographie ou le rôle de la prédication Rachid El Hadari Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ben M’sik Basamat 50 contentaient d’enregistrer et d’expliquer les langues sans chercher à établir des lois ou règles, ou à se fonder sur des principes quelconques. Mais ils possédaient une grande connaissance des problèmes linguistiques que , peut-être, les linguistes eux-mêmes ne sauront concevoir et théoriser que beaucoup plus tard. Dans cette recherche qui se veut une modeste contribution à la théorisation de la lexicographie, je partirai des notions de catégorisation et de sous-catégorisation auxquelles je réduirai l’ensemble des informations figurant dans un article de dictionnaire de langue spécial, sélectif ; puis en adoptant la théorie de la structure prédicative, je proposerai quelques éléments de réponse aux questions que j’ai soulevées ci-dessus. 1. Théories linguistiques et organisation du lexique On dénombre dans l’abondante littérature consacrée au contenu et à l’organisation du lexique six conceptions principales. Ces conceptions qui traduisent le caractère à la fois complexe, indocile et imposant de l’entité lexicale répondent à des besoins théoriques, méthodologiques et heuristiques différents. Elles peuvent se résumer dans les points suivants : a. Le lexique se compose d’une liste de morphèmes qui contiennent les divers types de radicaux (verbaux, nominaux et adjectivaux) et les affixes dérivationnels. Ces morphèmes apparaissent en tant que séquences de segments phonétiques, et sont spécifiés au moyen d’un ensemble d’informations grammaticales (M. Halle 1973, A. Martinet 1965) . b. Le lexique comprend tous les mots attestés dans une langue naturelle. Ces mots se présentent sous forme d’entrées indépendantes et entièrement spécifiées. Quant aux mots appartenant à une même famille lexicale, ils sont reliés les uns aux autres au moyen d’un outillage conceptuel dit règles de redondance lexicales (R. Jackendoff 1975). c. Le lexique est l’ensemble des entrées lexicales d’une langue. Mais ces entrées comprennent aussi bien les mots que les radicaux et les affixes. Autrement dit, le lexique dans ce type d’organisation rassemble et les morphèmes analysables et les morphèmes non analysables (R. Lieber 1980, E. Selkirk 1982). d. Dans une optique de sémantique linguistique, le lexique se laisse définir au moyen d’un ensemble d’éléments auxquels sont associées des valeurs (traits / marqueurs / sémèmes et différenciateurs / sèmes) dégagées en comparant les unes aux autres, et regroupées en axes qui subsument des valeurs incompatibles. Autrement dit, dans cette perspective due aux anthropologues qui cherchaient à décrire et à comparer Catégorisation et sous-catégorisation en lexicographie ou le rôle de la prédication 51 dans certaines langues le vocabulaire de la parenté ( e.g. ‘descendant’, ‘ascendant’ ...), le lexique est perçu comme une ensemble indéterminé, mais fini d’éléments(15). Ces éléments qui se ramènent à des traits sémantiques se regroupent en champs lexicaux de telle manière qu’aucun élément n’appartienne à plus d’un seul champ ( J.J. Katz & J.A. Fodor 1963, H. Bendix 1966, J. Lyons 1978, G. Leech 1981, etc.) . e. Le lexique est une liste organisée de mots définis chacun au moyen d’un ensemble de traits représentant ses propriétés linguistiques idiosyncrasiques (forme phonologique, catégorie syntaxique, propriétés sémantiques et thématiques). Cette définition du lexique accorde un intérêt considérable aux propriétés sémantiques et thématiques : ce sont ces propriétés mêmes qui déterminent les structures argumentale et thématique des entrées lexicales. Dans cette optique, les règles de sous-catégorisation deviennent caduques en raison de la spécification des rôles thématiques. Quant aux catégories lexicales, elles se distinguent les unes des autres grâce à la conjonction des traits [± V ] et [± N ] (N. Chomsky 1981, D. Pesetsky 1987). f. Le lexique se présente comme un ensemble de prédicats et d’arguments ou de termes. Les prédicats sont contenus dans des cadres prédicatifs qui spécifient leurs propriétés sémantiques et syntaxiques. Quant aux arguments, ils sont associés à des rôles thématiques et à des fonctions grammaticales suivant les structures où ils apparaissent (S.C. Dik 1978, J. Bresnan 1982, R. Cann 1994) . Telles sont quelques unes des nombreuses définitions auxquelles le lexique a eu droit dans la littérature. Ces définitions qui témoignent du caractère diversement approchable du lexique s’inscrivent dans quatre optiques : une optique morphologique (cf. a, b, c), une optique sémantique (cf. d), une optique syntaxique (cf. e), et une optique logico-sémantique ou fonctionnelle (cf. f). Dans les trois premiers cas ((a, b, c), (d), et (e)), le lexique, tout en s’identifiant à un stock de traits, est conçu comme un adjoint de la syntaxe. Son rôle se limite à alimenter les structures générées par les règles syntaxiques. Quant aux différentes réflexions morphologiques, elles avaient essentiellement pour but (i) de développer une syntaxe de mots (ou micro-syntaxe), (ii) de démontrer le parallélisme dérivationnel entre les phrases et les mots, et (iii) de bien faire ressortir la régularité du modèle – génératif principalement – et du caractère récursif de ses règles. En d’autres termes, les différentes approches du lexique ont visé par dessus tout à consolider la primauté de la syntaxe. Certes, ceci ne s’applique pas à tous les travaux morphologiques. E. Williams (1981), pour ne citer que lui, a développé une théorie où il a essayé de récupérer certaines réflexions en morphologie pour les exploiter dans l’étude de la structure argumentale. Mais cette théorie, bien que s’inscrivant dans un cadre syntacticiste, Basamat 52 i.e. gouvernement et liage, fait partie d’une tendance où le lexique avait déjà réussi à se défaire de son rôle accessoire pour s’adjuger l’un des principaux rôles, sinon le principal : celui d’être une source de représentation et de construction des phrases. Dans le quatrième cas (cf. (f)), i.e. approche logico-sémantique ou fonctionnelle, le lexique occupe une place plus importante par suite de l’évolution interne des modèles adoptant cette approche, et « du traitement des faits sémantiques en tant qu’objectif à part entière, et souvent essentiel » (cf. B. Fradin, 1990, p.149) dans les approches de linguistique computationnelle (grammaire syntagmatique généralisée, théorie lexicale fonctionnelle, grammaire fonctionnelle...). Dans ces modèles dits lexicalistes, la prééminence de la syntaxe se trouve contestée par la primauté accordée au mot au détriment de la phrase, par l’apparition d’une catégorie logico- sémantique, mais lexicale dominante, i.e. le prédicat, et par l’émergence d’une structure représentationnelle des phrases : la structure prédicative. Le lexique dans cette optique devient tout simplement un élément déterminant dans la représentation et la dérivation des phrases, les structures prédicatives étant désormais construites sur la base des informations associées au lexique. 2. Définition : la structure prédicative La notion de structure prédicative a eu droit à de nombreuses définitions, mais dont le contenu reste en général le même. Dans les théories linguistiques qui adoptent la conception hiérarchique de la structure prédicative, la terminologie est variable. Les lexicalistes fonctionnalistes utilisent les notions de prédicat et d’argument, ceux- ci étant définis en termes grammaticaux. Les fonctionnalistes (cf. S.C. Dik) optent pour la même terminologie, mais avec cette différence que les arguments sont définis sémantiquement. L. Tesnière emploie les notions de nœud et d’actant, Ch.Fillmore celles de prédicat et de cas, O. Jespersen celle de nexus, B. Pottier celle de necléus, etc. Chez les uns, ces notions sont plus ou moins bien définies, ce qui minimise les risques de confusion. Chez les autres, elles ne le sont que partiellement, ce qui permet d’envisager tous les risques, y compris celui des interférences, en particulier avec la notion de prédicat souvent utilisée indifféremment pour désigner une fonction ou une catégorie. A l’instar des constituants qui la composent, la structure prédicative n’est pas définie d’une manière unifiée. Ce qui n’écarte pas là aussi les risques de confusion. Examinons quelques-unes de ces définitions. En grammaire fonctionnelle, S.C. Dik (1978, p.15) définit la structure prédicative comme étant l’application d’un prédicat à un nombre approprié de termes fonctionnant comme arguments de ce prédicat. Dans ce cadre, uploads/Philosophie/ categorisation-sous-et-categorisation.pdf

  • 38
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager