1 CENT ANS DE NÉOPLATONISME EN FRANCE UNE BRÈVE HISTOIRE PHILOSOPHIQUE PAR Wayn

1 CENT ANS DE NÉOPLATONISME EN FRANCE UNE BRÈVE HISTOIRE PHILOSOPHIQUE PAR Wayne Hankey Traduit de lȂanglais Par Martin Achard et Jean-Marc Narbonne REMERCIEMENTS Le présent essai trouve son origine dans le désir qui fut le mien, il y quelque vingt-cinq ans, de comprendre pourquoi la « philosophie aristotélico- thomiste » avait progressivement cédé le pas, au sein de lȂÉglise catholique, à une forme platonicienne de philosophie, de théologie et de spiritualité à lȂintérieur de laquelle lȂ“quinate pouvait être replacé. JȂai été assisté, tout au long de cette lente gestation, par nombre de personnes entre-temps disparues pour une récompense, on peut lȂespérer, bien meilleure que celle dont mes paroles peuvent les gratifier. Leur mémoire est empreinte pour moi de joie et de gratitude. Parmi ceux qui restent, le Père Louis Bataillon, o. p., doit être remercié le premier, qui mȂorienta avec bonheur vers le Père Henry-Dominique Saffrey,o.p., sans lequel je nȂaurais rien pu accomplir correctement et dont la générosité a toujours répondu à toutes mes demandes dȂaide. Le Père Ghislain Lafont,o.s.b., de concert avec mon Doktorvater de Oxford, le Révérend Professeur Ian Macquarrie, mȂont sensibilisé les premiers au lien existant entre le retour du néoplatonisme et la pensée de Heidegger. Trois personnes, de mes jours de jadis à Oxford, et plus récemment une personne, à Cambridge, mȂont prodigué de nombreux encouragements dans la poursuite de mes recherches : le Père Anthony Meredith,s.j., le Révérend Professeur Sir Henry Chadwick, le Père Andrew Louth, et Douglas Hedley. Paris a été lȂheureux site de la plupart de mes travaux sur le projet quȂon va lire, où les sine qua non ont été lȂhospitalité sans faille, lȂamitié et la science de 2 ”runo Neveu. Le savoir et lȂamitié dȂOlivier ”oulnois, de Vincent Carraud, Jean- Louis Dumas, Philippe Hoffmann, Alain De Libera, Marc Fumaroli, Christian Trottmann, Rudi Imbach, Zbigniew Janowski, et du chanoine Édouard Jeauneau, mȂont été offerts avec une abondance qui est digne dȂêtre mentionnée. Des remerciements spéciaux sont dus à Jean-Luc Marion dont lȂappui généreux ne sȂest jamais démenti, à travers même parfois des désaccords : sa charité intellectuelle est demeurée surabondante. Les bibliothécaires de lȂancienne ”ibliothèque nationale, des Études augustiniennes, du Saulchoir, de lȂInstitut catholique de Paris ont allié expertise et patience et compensé ainsi pour les déficiences de mes méthodes de recherche. Salvatore Lilla, Cristina dȂ“ncona-Costa, Giovanni Catapano et Père Robert Dodaro, o.s.a., ont maintenu lȂItalie comme une cornucopia pour mon travail. Au sein des universités américaines, Lewis Ayers à Emory, les Révérends Pères professeurs Denis Bradley et Paul Rorem à Georgetown et Princeton respectivement, John Inglis à Dayton, et Eileen Sweeney à Boston College mȂont fourni des occasions dȂéchanges profitables, même lorsquȂils devenaient parfois brûlants. Christopher Elson, Ian Stewart, Eli Diamond et Stephen Blackwood ont fait dȂHalifax un lieu accueillant pour ceux dont le lien avec la vie intellectuelle française est une nécessité. Ils se joindraient volontiers à moi pour remercier cordialement Louis-André Dorion, Georges Leroux, et Jean-Marc Narbonne pour leur générosité et leur accueil constant, grâce auxquels le Québec est devenu pour nous un nouveau chez-soi. Je ne puis imaginer un meilleur collaborateur que Jean-Marc Dz je lui dois ainsi quȂà Martin “chard non seulement la traduction de cet essai, mais lȂimpulsion pour le compléter et le rendre plus clair que je ne lȂaurais fait moi-même. Je demeure évidemment le seul responsable des carences quȂil pourrait encore receler. 3 INTRODUCTION 4 Le retour du néoplatonisme dans la philosophie, la théologie et la vie spirituelle françaises du XXe siècle demeure largement méconnu, en dépit de sa forte présence et de son importance, dues au fait sans doute quȂil sȂagit dȂun mouvement philosophique qui recherche lȂunion avec le ”ien, divin et simple, Bien pour lequel aucun langage ni aucune pensée ne sont adéquats, mais qui nȂen demeure pas moins une cause plus présente dans le monde que toute causalité plus manifeste. Dans ce mouvement, les philosophes et théologiens français ont bien entendu subi lȂinfluence et établi des liens avec des penseurs extérieurs au domaine français ǻlȂon songe à Hegel, Schelling, E.R. Dodds, Heidegger et W. Beierwaltes), mais certains traits caractéristiques de la vie intellectuelle et religieuse française ont fait ici leur œuvre : nous nȂavons quȂà penser aux efforts de dépassement de la Modernité et de la métaphysique qui lui serait associée, ou aux tentatives de renversement du néo-thomisme, qui sȂopposait lui-même à la Modernité1. Une exception notable à cette omission généralisée du rôle joué par le néoplatonisme dans la philosophie contemporaine est offerte par A.Ph. Segonds dans le « Liminaire » dȂun ouvrage collectif célébrant lȂachèvement dȂune nouvelle édition majeure, avec traduction et notes, de la Théologie Platonicienne de Proclus, réalisée de concert par un savant français, H.D. Saffrey, et un savant hollandais oeuvrant aux États-Unis, L.G. Westerink. Ce liminaire présente une remarquable esquisse de lȂhistoire de la transmission des écrits néoplatoniciens, et met en relief les points dȂintérêt philosophique qui préservèrent les auteurs néoplatoniciens dȂêtre relégués au rang de « simples curiosités », dignes dȂêtre versées au « musée des horreurs de la pensée humaine »2. Segonds note dans son exposé quȂen France, à la différence de ce 1 Pour un examen antérieur des motifs à lȂœuvre dans le néoplatonisme français contemporain, on consultera mes articles : « The Postmodern Retrieval of Neoplatonism in Jean-Luc Marion and John Milbank and the Origins of Western Subjectivity in Augustine and Eriugena », Hermathena 165 (1998), p. 9-70, et plus spécialement p. 9-33 ; « Le Rôle du néoplatonisme dans les tentatives postmodernes dȂéchapper à lȂonto-théologie », in L. Langlois et J.-M. Narbonne (éds.), Actes du XXVIIe Congrès de l’ “ssociation des Sociétés de Philosophie de Langue Française. La métaphysique: son histoire, sa critique, ses enjeux, Paris/Québec, Vrin/Presses de lȂUniversité Laval, ŘŖŖŖ, p. řŜ-43 ; « Neoplatonism and Contemporary Constructions and Deconstructions of Modern Subjectivity », in D.G. Peddle et N.G. Robertson (éds.), Philosophy and Freedom : The Legacy of James Doull, Toronto, University of Toronto Press, 2003, p. 250-278 ; « Why HeideggerȂs ȃHistoryȄ of Metaphysics is Dead », American Catholic Philosophical Quarterly (sous presse). 2 A.Ph. Segonds, « Liminaire », in A.Ph. Segonds et C. Steel (éds.), Proclus et la Théologie Platonicienne. Actes du Colloque International de Louvain (13-ŗŜ mai ŗşşŞ) en l’honneur de H.D. Saffrey et L.G. Westerink, Ancient and Medieval Philosophy, De Wulf-Mansion Centre Series I, XXVI (Leuven and Paris: Leuven University Press and Les Belles Lettres, 2000), p. xi. 5 quȂon observe en Allemagne, « la philologie a les plus grandes peines à se constituer en discipline scientifique »3. Il demeure que la France a, au XXe siècle, apporté une contribution sans pareille à lȂédition et à la traduction des œuvres des néoplatoniciens, de même quȂà la réactivation de leurs idées et de leur projet spirituel. Concernant ce dernier point, Segonds écrit : Il faut surtout relever lȂinfluence de H. ”ergson, qui, dans de célèbres cours au Collège de France, révèle Plotin au public, et marque de son empreinte pour longtemps lȂinterprétation française de cet auteur, très attachée à lȂidée dȂexpérience personnelle4. LȂune des figures de proue du retour au néoplatonisme, Pierre Hadot, notant « lȂimportance que le mouvement néoplatonicien revêt dans la formation de la pensée moderne », cite pour sa part les noms de Hegel et Schelling, et souligne le « rôle quȂa joué Plotin dans la formation de la philosophie de Bergson »5. Il convient assurément de mentionner aussi Hegel et Schelling, mais, sȂagissant de la réactualisation du néoplatonisme au XXe siècle en France, il convient de sȂattacher en premier lieu à Bergson. Comme nous le verrons en effet, le courant de pensée qui sȂest développé en France au cours des cent dernières années a deux caractéristiques majeures : il sȂoppose à une certaine tradition métaphysique occidentale, tenue pour constitutive de la Modernité, et il est aussi généralement anti-idéaliste, puisquȂil cherche à lier le sensible et le corporel immédiatement avec le Principe. Cette dernière caractéristique place son entreprise de réactualisation en opposition avec celle quȂavait connue le XIXe siècle, et même plus largement avec le néoplatonisme antique et médiéval. La figure de Hegel est centrale dans le renouveau dȂintérêt philosophique pour le néoplatonisme au début du XIXe siècle, mais cet intérêt sȂest émoussé avec le retour subséquent à Kant6. Le fait que Bergson soit en rapport de continuité et de rupture avec les deux courants, cȂest-à-dire avec la tradition métaphysique et lȂappropriation du platonisme par lȂidéalisme allemand, nȂest pas sans emporter des conséquences. Sa philosophie est au fondement de plusieurs traits de lȂanti- intellectualisme et du néoplatonisme anti-hégélien qui prévaudront dans le néoplatonisme français du XXe siècle. 3 Ibid., p. xiii. 4 Ibid., p. xiv. 5 Pierre Hadot, « Introduction », in Le Néoplatonisme (Royaumont 9-13 juin 1969), Colloques internationaux du Centre National de la Recherche Scientifique, Sciences humaines, Paris, CNRS, 1971, p. 2. 6 Voir Segonds, « Liminaire », p. xi. 6 HENRI BERGSON : LA FIN EST DANS LE COMMENCEMENT Bergson (1859-1941) accorda plus dȂattention à Plotin quȂà tout autre philosophe antérieur. Se rappelant ses cours au Collège de France, Émile Bréhier uploads/Philosophie/ cent-ans-de-neoplatonisme-en-france-wayne-j-hankey.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager