19/12/2022 16:52 Chapitre 3. Mondes de significations et dialectique du comport

19/12/2022 16:52 Chapitre 3. Mondes de significations et dialectique du comportement | Cairn.info https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/liberte-et-inquietude-de-la-vie-animale--9782841743810-page-221.htm 1/20 Chapitre 3. Mondes de significations et dialectique du comportement Florence Burgat Dans Liberté et inquiétude de la vie animale (2006), pages 221 à 242 Chapitre C’est la signification qui est le fil directeur sur lequel la biologie doit se guider, et non la misérable règle de causalité qui ne peut voir plus loin qu’un pas en avant ou un pas en arrière, et reste aveugle aux grandes relations structurelles. — Jacob von Uexküll L’organisme animal et humain ne fait pas que vivre, il existe, c’est-à-dire qu’il crée une relation avec l’entourage. L’entourage n’est pas seulement la condition nécessaire au processus vivant intra-organique, mais il existe avec l’animal ou l’homme, pour eux et à travers eux en tant que structure significative. — Frederik J.-J. Buytendijk a décision de Jacob von Uexküll d’étudier le monde spécifique de l’animal s’inscrit dans une perspective critique de la biologie d’inspiration mécaniste (dont la physiologie de Jacques Loeb constitue un parfait exemple), qui voit dans les êtres vivants des machines et assimile l’organisme à un complexe d’outils. Ce zoologiste, qui s’est spécialisé dans la physiologie musculaire, attachera son nom à l’étude du monde propre à chaque espèce animale. La difficulté inhérente à l’étude des mondes animaux, prévient Uexküll en avant-propos de ses analyses [1], tient non seulement au fait que ces mondes (ou milieux) nous sont d’une part inconnus, d’autre part invisibles, mais encore au fait que leur existence même est contestée par la plupart des zoologistes, et plus encore par les physiologistes. Tout biologiste digne 1 L 19/12/2022 16:52 Chapitre 3. Mondes de significations et dialectique du comportement | Cairn.info https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/liberte-et-inquietude-de-la-vie-animale--9782841743810-page-221.htm 2/20 de ce nom et soucieux de se démarquer du physiologiste doit, selon Uexküll, adosser ses recherches au principe selon lequel l’être vivant est un « sujet qui vit dans son monde propre dont il forme le centre » [2], et non l’objet qu’y voit le physiologiste. D’entrée de jeu, la notion de sujet est introduite pour caractériser l’animal dans son monde, un animal qui ne saurait se penser sans son monde propre. Il nous faut, comme pour le concept de liberté chez Jonas ou de conscience chez Bergson, prendre des distances avec l’acception classique du concept de sujet — du sujet cartésien notamment, qui pense parce qu’il se sait penser. Il convient d’envisager ici un sujet sans conscience. Est en effet pour Uexküll un sujet tout individu qui agit et perçoit, et pour lequel s’ouvrent donc un monde de la perception et un monde de l’action. La plante, qui ne fait qu’agir, n’accède donc point au titre de sujet. Privée d’organes sensoriels et de nerfs, qui seuls rendent possible la perception, elle est tout entière immergée dans un monde d’action au sein duquel se découpent pour elle des facteurs de signification (dont le sens s’éclairera plus loin), et non des porteurs de signification que Uexküll réserve aux animaux. Buytendijk doit notamment à la lecture de Uexküll l’utilisation du concept de sujet pour parler des animaux. Le sujet est une notion pour lui plus large que celle de conscience. Est pour lui un sujet celui dont le « mode d’existence [qui] s’affirme comme le fondement d’une réceptivité aux significations intelligibles et en même temps d’une activité qui crée ces significations et y répond intelligemment » [3]. On voit toute l’importance qu’il accorde, à la suite de Uexküll, à la signification dans le monde vivant capable de comportements. Car, pour Buytendijk, tout organisme n’est pas un sujet (même si tout organisme — plante ou cellule — constitue une unité de signification) et tous les mouvements ne sont pas des comportements ; seuls le sont les mouvements spontanés, en tant qu’ils révèlent une situation. Le sujet existe, et ne fait pas que vivre. L’existence n’est en effet pas entendue par Buytendijk au sens, qu’il juge étroit, que lui confèrent tant la perspective anthropologique que les ontologies existentialistes. L’existence désigne chez lui « une situation manifestée par un comportement » [4]. L’identité de structuration qu’il repère chez l’homme et chez l’animal — c’est-à-dire le fait que tous deux se constituent dans le comportement que, du même coup, ils façonnent — forme ce qu’il appelle la subjectivité. 2 Doit-on voir une sorte de provocation de la part de Uexküll dans le choix qu’il fait d’ouvrir son analyse du monde animal par l’exemple de « la tique et son milieu » ? Notons que cet animal a retenu l’attention de l’Institut zoologique de Rostock, puisque l’on y a maintenu des tiques en vie durant un jeûne de dix-huit ans ! Le choix de la tique comme sujet animal, on va le voir, permet à Uexküll d’établir des distinctions fines au sein des espèces les moins complexes du règne animal. La cellule, déjà, possède ses propres caractères perceptifs ; elle se comporte comme un mécanicien qui perçoit et agit. Et c’est de la collaboration de ces petits mécaniciens cellulaires que résultent la perception et l’action du sujet animal. Comment les signaux perceptifs deviennent-ils les caractères des objets extérieurs ? Comment la sensation de bleu devient-elle le bleu du ciel, et d’un ciel qui est mon ciel ? Pour 3 19/12/2022 16:52 Chapitre 3. Mondes de significations et dialectique du comportement | Cairn.info https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/liberte-et-inquietude-de-la-vie-animale--9782841743810-page-221.htm 3/20 parler de manière imagée, l’objet saillant pour le sujet animal est comme enserré dans les deux branches d’une pince, dit Uexküll, dont l’une correspond à la dimension perceptive de l’objet et l’autre à sa dimension active. L’action de l’animal est conditionnée par le choix d’excitations que laissent passer les récepteurs, comme par l’agencement des muscles qui rend telle action possible et non telle autre. Ceci forme ce que Uexküll nomme le cercle fonctionnel ; ce cercle est ce qui relie le sujet aux objets qui sont ceux de son monde. Ce qu’il s’agit de comprendre, c’est comment et pourquoi, lorsqu’un mammifère passe à portée de la tique, seuls trois effets (l’acide butyrique, le toucher, la chaleur) provenant du corps du mammifère sont pour elle porteurs de caractères perceptifs. Ce n’est pas, selon Uexküll, le biais explicatif mécaniste de l’excitation chimique de l’acide butyrique ni l’effet, mécanique, provoqué par les poils du mammifère, ni celui, thermique, de sa peau, qui peuvent rendre compte de ce qui se passe entre la tique et le mammifère. À s’en tenir au schéma stimulus-réponse, on manque la question du monde, et donc du sujet, c’est-à-dire de sa relation avec certains objets et pas d’autres. « Dans le monde gigantesque qui entoure la tique, trois stimulants brillent comme des signaux lumineux dans les ténèbres et lui servent de poteaux indicateurs qui la conduiront au but sans défaillance » [5]. Cette conversion des stimulants en signaux est possible parce que la tique est pourvue de trois signaux perceptifs qu’elle peut transformer en caractères perceptifs, et son monde propre se réduit aux trois caractères évoqués. Il fallait un exemple simple, que fournit la tique, pour faire apparaître la structure du cercle fonctionnel. Mais il est des animaux, comme l’oursin ou la méduse, dont le cercle fonctionnel se limite à un seul élément. Tel est le cas de la méduse, dont tout l’organisme se borne à n’être qu’une pompe flottante qui absorbe l’eau de mer riche de plancton. Aussi est-ce « toujours le même son de cloche qui résonne dans le milieu de la méduse » [6]. Pour ce qui concerne les animaux dont le monde se ramène à un seul cercle fonctionnel, on peut parler, dit Uexküll, d’« animal-réflexe ». La tique, malgré l’étroitesse de son monde limité à trois cercles fonctionnels, représente un type d’animal supérieur à la méduse ou à l’oursin, car les cercles fonctionnels sont en elle rattachés à un organe de perception commun et non à des arcs réflexes isolés. Cet aspect conduit Uexküll à faire l’hypothèse que pour la tique, le mammifère-proie qu’elle identifie forme une unité. Ceci ne doit cependant pas donner à penser que la tique guette sa proie : elle n’est pas un sujet au sens où ses actions seraient guidées par une intention ; elle ne dispose du reste point des outils psychophysiologiques nécessaires à une telle visée. 4 C’est à ce que Uexküll nomme un « plan de la nature » (notion qui lui vaut probablement d’être parfois classé parmi les néo-vitalistes) que répond la tique. Cette subordination ne lui est pas propre : tous les êtres vivants sont insérés dans le plan de la nature. La symphonie, dont l’harmonie ne doit rien au hasard, est la métaphore choisie par Uexküll pour donner à saisir le sens de ce plan de la nature. Nous reviendrons plus en détail sur cette métaphore avec la « théorie de la composition naturelle », qu’il élabore pour rendre compte de l’essence des relations 5 19/12/2022 16:52 Chapitre 3. Mondes de significations et dialectique du comportement | Cairn.info https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/liberte-et-inquietude-de-la-vie-animale--9782841743810-page-221.htm 4/20 qui unissent le sujet pris dans son milieu aux objets qui s’offrent à lui sous la figure de porteurs de signification. Nulle finalité, donc, uploads/Philosophie/ chapitre-3-mondes-de-significations-et-dialectique-du-comportement 1 .pdf

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