27 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Troisième séance du Cours
27 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Troisième séance du Cours (mercredi 28 novembre 2001) III La disjonction de la pratique et de la théorie dont j’ai parlé la dernière fois, cela s’éprouve aujourd’hui chez les analystes. Et comment en serait-il autrement, à vrai dire, quand d’un côté la pratique s’étend et prolifère, tandis que de l’autre côté la théorie se fragmente et se privatise ? Le fait majeur est que la pratique jouit de crédibilité sociale, alors que la théorie est au contraire suspecte, elle nourrit les incrédules. Ce que j’appelle ici la pratique, dans un sens étendu, la pratique de l’écoute considérée dans une acception générale, cette pratique de l’écoute, dans les formes diverses qu’elle revêt, est crédible. On constate que l’opinion lui fait confiance. On admet très généralement que parler et être écouté en privé, voire en public, fait du bien. C’est de partout que l’on encourage le thérapeute à s’isoler avec le patient, pour que celui-ci parle aussi librement que possible et dise ce qu’il ne pourrait pas dire dans son travail, dans sa famille, et l’on est persuadé qu’il en sortira du bien. Quelle est la théorie de cette pratique ? Là on ne sait plus, là rivalisent les prétendants, là on doute, on combine, on emprunte des modèles, on est éclectique, voire on se passe tout simplement de théorie. Il en est encore certains pour se souvenir que cette pratique, cette façon de faire, a été inaugurée par Freud, qu’elle n’avait pas cours avant lui. Mais il semble que ce soit un souvenir. J’exagère. J’exagère pour faire comprendre dans quelle direction va la tendance, et il me semble que la tendance va dans cette direction-là. Il me semble que c’est cette tendance que Lacan a anticipée dans son dernier enseignement, quand il s’est avancé jusqu’à mettre en question les concepts fondamentaux de Freud et qu’il a laissé entrevoir par quelle voie ces concepts pourraient être récusés. Simplifions. Ils pourraient être récusés au nom du réel comme inadéquats à ce qu’il y a, à ce qu’il y aurait de réel dans l’expérience analytique. Au regard du réel, l’édifice conceptuel freudien et ce qui s’en est suivi de surgeon, voire même, le doute porte jusque-là, sur les constructions mêmes de Lacan, un bon nombre pourraient se voir invalidées au regard du réel de l’expérience. Quelle étrange catégorie, à vrai dire, que ce réel, puisque c’est une catégorie qui se récuse elle-même. Lacan n’hésite pas à dire, au moins une fois, que ce serait encore trop dire qu’il y a du réel, parce que le dire c’est faire sens. Nous avons, autrement dit, avec le réel comme une catégorie qui s’auto- invalide quand on l’amène et qui a cet effet d’invalidation sur toutes les constructions conceptuelles. C’est son usage, son usage de Lacan. Elle est justement faite pour récuser et même pour instituer une dimension qui récuse tout ce que l’on peut en dire. Ce que cela a d’invraisemblable s’approche mieux maintenant que s’éprouve la disjonction de la pratique et de la théorie. C’est cette disjonction qui est saisie par Lacan, sans doute plus profondément, comme la disjonction du vrai et du réel. Cette disjonction, elle, elle ne s’éprouve pas, mais ce qui s’éprouve, c’est la disjonction de la théorie et de la pratique, l’indépendance relative des constructions théoriques par rapport à la pratique. Et il se pourrait que cela s’éclaire de la disjonction, que Lacan a introduite dans son dernier enseignement, du vrai et du réel. Ce qui la ferait en effet d’actualité. Cette disjonction est ce qu’exprime la thèse “ Il n’y a pas de vérité sur le réel ”, que j’emprunte au Séminaire de J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°3 28/11/2001 - 28 Lacan. C’est une thèse limite. A quoi peut-elle bien introduire, sinon au silence ? Dans cette voie, il n’y a plus rien à dire sinon que toute théorie sera insuffisante, inadéquate, manquera ce dont il s’agit, ne permettra pas l’accès au réel, ne sera qu’une élucubration personnelle sur un réel qui lui échappe. C’est bien dans ce registre que l’on peut inscrire les propos d’un analyste que je citais, qui se veut épistémologue, M. Wallerstein, quand il réduit ce qu’il appelle nos métaphores explicatives à grande échelle à n’être en substance, dit-il, que des métaphores ou des symbolismes. Il considère qu’elles sont en tant que telles au-delà du domaine empirique et du processus scientifique, qu’elles diffèrent comme telles des données qui sont recueillies dans l’expérience effective. C’est aussi ce que reconnaît ces jours-ci un psychanalyste anglais, M. Tuquet ( ?), lorsqu’il formule que les théories du psychanalyste sont des théories privées. L’un et l’autre avouent, chacun à leur façon, que la théorie psychanalytique leur paraît menteuse. Il me semble que la voie de sortie de cette aporie avait été indiquée dès longtemps par Lacan. Elle consiste à abandonner le sur qui figure dans la thèse limite “ pas de vérité sur le réel ” pour lui préférer le dans. L’hypothèse qui fonde en effet l’orientation lacanienne dès son départ, c’est qu’il y a du symbolique dans le réel, et que, s’il y a du symbolique dans le réel, alors on peut opérer sur le réel à partir du symbolique. C’est la boussole de ce qui constitue l’orientation lacanienne. Ce symbolique inclus dans le réel, c’est ce que Lacan appelle tout au long de son enseignement la structure. C’est de la structure qu’il a attendu de surmonter la disjonction de la pratique et de la théorie. C’est cette hypothèse de l’inclusion de la structure dans le réel qui l’autorise à rapporter la psychanalyse à la science et qui permettrait de surmonter le pluralisme des théories privées. C’est précisément là où se distingue, où se détache son dernier enseignement, où au mot de structure se voit en quelque sorte substitué le mot de mensonge. Je le cite, de son dernier enseignement : “ Le symbolique inclus dans le réel a bel et bien un nom. Cela s’appelle le mensonge ”. Par le biais où je vous ai introduit la chose, nous nous trouvons devant cette singulière équation de la structure et du mensonge. Comment pourrions-nous rendre compte du statut de mensonge de la structure ? Nous pourrions en rendre compte par une implication : s’il n’y a pas de vérité sur le réel, alors il y a du mensonge dans le réel. Quel sens pouvons-nous donner à cette thèse ? Je propose ceci : d’abord qu’il y a quelque chose de commun entre vérité et mensonge et qui est le sens ; deuxièmement que ceci implique qu’une exception est à faire dans l’exclusion du sens par le réel ; et troisièmement que pour Lacan c’est précisément ce à quoi la psychanalyse a affaire, à un réel incluant du sens. C’est ce qui définit, dans le dernier enseignement de Lacan, le symptôme, précisément par ceci qu’il est à la fois dans le réel et qu’il a un sens. C’est une hypothèse. C’est l’hypothèse qu’il faut faire pour que la psychanalyse puisse opérer sur le symptôme afin de le dissoudre dans le réel. Imageons-le ainsi - ça m’est arrivé déjà une fois. Dans la dimension du réel, nous incluons du symbolique, et un symbolique qui a à faire avec le sens puisqu’il a à faire avec le mensonge. Ce que tente Lacan pour qualifier l’opération analytique dans son dernier enseignement, c’est ceci que la J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°3 28/11/2001 - 29 psychanalyse opère sur le symbolique inclus dans le réel à partir du symbolique inclus dans l’imaginaire. C’est là la ligne majeure d’intervention proprement analytique. Autrement dit, l’analyste serait en mesure d’opérer sur la structure à condition de forcer le symbolique inclus dans l’imaginaire, la langue, celle qui est d’usage commun. Il pourrait opérer à condition de forcer le symbolique de la langue jusqu’à lui faire délivrer un effet de type poétique, qui est un effet de vérité, et qui est imaginaire. Nous sommes là à déchiffrer des indications, il faut le dire, elliptiques, obscures, que Lacan a laissées. Essayons donc de resserrer la chose pour essayer de l’attraper. Qu’est-ce que cela comporte que l’on opère sur la structure à partir de la vérité, de la vérité menteuse, et non pas à partir du savoir ? Nous avons certainement là un repère sûr pour nous orienter dans ce que Lacan nous a laissé, parce que, à travers toutes ces transformations, c’est bien l’opération de la vérité qui est donnée comme efficace concernant le symptôme. La définition de la structure par Lacan a certes varié. Il l’a d’abord présentée comme un savoir articulé, comme une chaîne signifiante. Il lui a fallu par après y ménager la place où s’inscrit la vérité, la vérité menteuse. Et troisièmement, il lui a fallu encore enrichir cette structure en tenant compte du corps comme condition de la jouissance, et c’est sur cette voie qu’il a été conduit au nœud borroméen. Ça, ce sont souvent des choses que je dis en terminant. Je uploads/Philosophie/ cours-jacques-alain-miller-orientation-lacanienne-1-03.pdf
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- Publié le Fev 10, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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