ÉRIC BLONDEL NIETZSCHE Crépuscule des idoles ANALYSE, EXPLICATION, COMMENTAIRE

ÉRIC BLONDEL NIETZSCHE Crépuscule des idoles ANALYSE, EXPLICATION, COMMENTAIRE PRÉFACE - CHAPITRE II § 1 ET 2 : LE PROBLÈME DE SOCRATE NIETZSCHE – CREPUSCULE DES IDOLES - COMMENTAIRE Philopsis éditions numériques http://www.philopsis.fr Les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. © Éric Blondel - Philopsis 2007 NIETZSCHE – CREPUSCULE DES IDOLES - COMMENTAIRE INTRODUCTION I. GÉNÉRALITÉS [extraits de l’Introduction à Nietzsche, Crépuscule des idoles, trad. Éric Blondel, Paris, Hatier 2001, qui peut servir d’introduction à la lecture de Nietzsche]. Nietzsche se présente comme un penseur qui veut rompre avec les idéaux anciens, philosophiques et religieux. Cependant, ses références sont essentiellement issues de la Bible et de Schopenhauer. Ses attaques contre la religion (christianisme) sont à la fois pertinentes et injustes. Il les conduit avec la véhémence des prophètes combattant les idoles, les faux dieux. Il met en cause le moralisme, comme Jésus l’a fait. Schopenhauer considère que la réalité véritable de l’homme, c’est la volonté et non pas l’esprit, la raison. La volonté est une force aveugle qui pousse tous les êtres vers des buts, des désirs dont ils ne perçoivent pas le sens. Une fois atteints, d’autres les remplacent et ainsi indéfiniment. Vivre, c’est vouloir, désirer. Cette volonté fait de l’homme un jouet, inconscient de ce qui le meut. Aussi pour éviter de souffrir il faut s’efforcer de renoncer au désir, au monde sensible, de nier la volonté. Le désir-volonté fait vivre et souffrir. Nietzsche, en revanche, prétend que l’homme doit affirmer le désir dans ce qu’il a de terrible et de douloureux. Voici l’affirmation dionysiaque. Kant (que Nietzsche connaît à travers sa lecture de Schopenhauer) avait affirmé auparavant l’illégitimité des prétentions de la philosophie dans ce qui est au-delà de la réalité physique, sensible. Nietzsche reprend le projet kantien en le combinant avec celui de Schopenhauer. Nietzsche révèle quelle volonté, quels désirs, quels affects sont à l’origine de la philosophie, de la morale, de la religion. Toutes ces pensées reposent sur le refus de vivre dans la réalité sensible : on la nie. Le titre, Crépuscule des idoles, est une allusion parodique au Crépuscule des dieux de Wagner, quatrième opéra de la tétralogie de l’Anneau de Nibelung (1869-1874). C’est dans la provocation, le rire qu’il convient de rechercher la pensée de Nietzsche, et la cohérence des images. L’idole (image prédominante de ce texte) est le faux dieu que l’homme a lui-même créé et qu’il adore, oubliant qu’il se soumet ainsi à ses propres désirs, à ses rêves voire à ses défauts. Le crépuscule, c’est la lueur de la tombée du jour. Dans la philosophie classique, la source de toute vérité, Dieu a toujours été présenté comme la lumière intense du soleil au zénith. Le processus de la connaissance, de Platon à Hegel, est de l’ordre de la vision. Pour Nietzsche, © Eric Blondel - Philopsis - www.philopsis.fr Page 3 NIETZSCHE – CREPUSCULE DES IDOLES - COMMENTAIRE cette lumière de la vérité, le Dieu-soleil, pâlit. C’est le déclin, en Occident, du fondement premier de toutes les valeurs. « Dieu est mort ». À l’exemple de Moïse, Nietzsche se présente comme le destructeur des idoles. Quand vient le crépuscule on ne peut plus voir distinctement, il faut donc écouter, ausculter les idoles. Il faut avoir l’ouïe fine, une « seconde paire d’oreilles » pour déceler ce qui est caché. Nietzsche montre alors la maladie intérieure des idoles. Il appelle cette méthode “psychologie”, « sémiotique », « symptomatologie » et d’un terme générique, la « généalogie ». La généalogie permet de remonter d’un symptôme manifeste à son origine corporelle cachée. Ainsi Nietzsche propose-t-il un nouveau type d’analyse philosophique. On ne démontre plus la vérité ou la fausseté, on met en évidence quelle attitude, quelle physiologie exprime l’énoncé des idéaux philosophiques, moraux, religieux, qui ne sont que des symptômes. On rapporte des énoncés abstraits et intellectuels au corps. Les idées n’ont pas de sens en soi. Ce sont des jugements de valeur du corps. Le décadent est celui qui n’a pas assez de force pour affronter la réalité telle qu’elle est. Donc il la décrie, la dénigre. Être faible, c’est ne pas accepter une réalité ambiguë, énigmatique, changeante. Pour Nietzsche, corps et esprit forment un tout. C’est ce tout qui contraint à adopter telle attitude vis-à-vis de la réalité, c’est-à-dire, grâce à la méthode généalogique : « une réévaluation de toutes les valeurs » [Préface, trad. Éric Blondel, éd. Hatier, 2001, p. 6] : « Il y a plus d’idoles que de réalités dans le monde » [ibid.] Elles changent de nom, mais elles sont éternelles. Il ne faut pas être de son temps mais intempestif pour pouvoir s’attaquer aux nouveaux aspects que prennent les idoles. Les postulats soi-disant intouchables ne sont que symptomatiques d’une volonté faible, c’est-à-dire qui refuse la réalité sensible. Une des idoles réside dans la science construite par des opérations de l’esprit. Toute science suit un schéma platonicien. La science considère que le monde sensible n’est qu’erreur et illusion et on en a fait un idéal. Les morales quant à elles reposent sur une confiance absolue en l’esprit, en l’affirmation des valeurs. Être faible, c’est avoir besoin de certitudes (morales, religieuses, scientifiques, politiques, …) Les certitudes sont des idoles creuses qui ont une influence morbide. Elles déclinent vers le crépuscule. La philosophie est un symptôme de ce que l’on refuse. Le surhomme est celui qui a la force d’accepter la réalité. Tout a un rapport avec le psychisme, l’inconscient et les conditions sociales et économiques. Il faut ramener la philosophie au jour et parler de perspectives. © Eric Blondel - Philopsis - www.philopsis.fr Page 4 NIETZSCHE – CREPUSCULE DES IDOLES - COMMENTAIRE II. LE CRÉPUSCULE DES IDOLES : UNE VOIE D’ACCÈS 1 Patrick Wotling a traduit Crépuscule des idoles. Dans l’introduction à cette traduction, Patrick Wotling souligne que le Crépuscule des idoles constitue à la fois une introduction à la recherche entreprise par Nietzsche et un condensé de sa pensée 2. Dans sa lettre du 09/09/1888 à Carl Fuchs, Nietzsche présente Crépuscule des idoles comme « une parfaite introduction d’ensemble à (sa) philosophie ». De même, Nietzsche écrit à Jacques Bourdeau (17/12/1888) que Crépuscule des idoles est une voie d’accès privilégiée à l’ensemble de son œuvre : Ce livre « serait l’introduction la plus rapide et la plus approfondie à ma philosophie. Je ne crois pas qu’il soit possible de donner plus de substance en un espace aussi réduit ». 3 Parmi les œuvres de Nietzsche, Crépuscule des idoles (1888, publié en 1889) a donc pour fonction particulière à la fois d’introduire et de condenser l’ensemble de sa réflexion, de manière à la rendre accessible à tous. Par exemple, Patrick Wotling insiste sur deux images récurrentes : le marteau, les idoles, et sur la psychologie. Crépuscule des idoles, prélude au renversement des valeurs, a pour sous-titre : « (ou comment on philosophe au marteau) ». Nietzsche a hésité entre plusieurs formulations : « Marteau des idoles », « comment un psychologue pose des questions » ou « récréations d’un psychologue », « loisirs d’un psychologue ». III. L’IMAGE DE L’IDOLE Le terme idole montre, par son renvoi à Wagner (comme indiqué ci- dessus), que les dieux sont remplacés par des idoles. Crépuscule des dieux (Wagner), Crépuscule des idoles (Nietzsche), crépuscule toujours. Mais cette fin des idoles indique aussi l’annonce d’une nouvelle aurore, la promesse de la gaîté d’un esprit libéré des idoles. Cette image apparaît chez plusieurs auteurs et en divers lieux. F. Bacon, dans le Novum organum (1620) dénonce les idoles qui font obstacle au savoir. Schopenhauer qualifiait Fichte, Schelling et Hegel de « trois idoles de la philosophie universitaire ». Patrick Wotling, quant à lui, souligne que l’image de l’idole suggère une modalité affective : on s’y attache, on la respecte, on la vénère. Elle a une autorité impérative, elle n’est pas une simple représentation. 1 Extraits de l’Introduction de P. Wotling au Crépuscule des idoles, éd. GF Flammarion, 2005 2 Crépuscule des idoles, éd. GF Flammarion, Paris 2005, p. 94 3 ibid. p. 94 © Eric Blondel - Philopsis - www.philopsis.fr Page 5 NIETZSCHE – CREPUSCULE DES IDOLES - COMMENTAIRE Ainsi l’image des idoles renvoie à la notion de valeur, c’est-à-dire une manière de penser qui paralyse l’esprit critique et qui constitue un trait fondamental de la réalité et du perspectivisme. Il y a « nécessité pour tout vivant d’organiser son existence à partir de préférences premières, infra conscientes, qui définissent ce qui doit être recherché, ce qui doit être fait, et traduisent ces choix sous forme affective, à travers un réseau d’attirances et de répulsions » 4. La spécificité de l’utilisation nietzschéenne de la notion d’idole tient à cette identification du conditionnement de toute sa vie à savoir de l’interprétation de la réalité par une série de valeurs fondamentales. L’homme a besoin d’organiser son existence à partir de références premières, de valeurs électives. Mais certaines valeurs, à la faveur de l’évolution uploads/Philosophie/ crepuscule-des-idoles-nietzsche.pdf

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