l e s o b s c u r s CRITIQUE DE LA TECHNIQUE: ELLUL ET DEBORD Les «Commentaires
l e s o b s c u r s CRITIQUE DE LA TECHNIQUE: ELLUL ET DEBORD Les «Commentaires sur la Société du Spectacle» de Debord et le «Bluff technologique» d’Ellul ont paru la même année, en 1988. Les deux livres ont quelques points communs; peut-être même une certaine influence s’exerce-t-elle de l’un à l’autre. Chacun, reprenant son analyse antérieure (Debord, sur la société du spectacle, 1967; Ellul sur le système technicien, 1977), soutient qu’elle a été confirmée par l’évolution réelle de la société et s’essaie à prendre la mesure de ce qui a changé. Et, superficiellement, ce changement est analysé de manière comparable: il se situe du côté des consciences, de l’intériorisation. Comme Debord le résume de manière lapidaire, le changement qui a le plus d’importance réside dans la continuité même du spectacle: «Ce4e importance ne tient pas au perfectionnement de son instrumentation médiatique, qui avait déjà auparavant a4eint un stade de développement très avancé: c’est tout simplement que la domination spectaculaire ait pu élever une génération pliée à ses lois». Ellul veut décrire l’idéologie du systême technicien et de la société technicienne, ce qu’il appelle le bluff technologique. Son livre est essentiellement l’analyse du discours dominant sur la technique. En dépit de leurs défauts et de leurs contradictions, le systême technicien et la société technicienne seraient en quelque sorte immunisés contre la critique, précisément par ce bluff technologique. Le progrès technique est un bon exemple: chaque innovation a des effets néfastes inséparables des effets positifs, mais ces effets néfastes vont eux même être traités comme un problême technique recevant CRITIQUE DE LA TECHNIQUE: ELLUL ET DEBORD | l e s o b s c u r s https://lesobscurs.wordpress.com/2014/11/10/critique-de-la-technique-... 1 di 4 19/06/2015 17:11 une solution technicienne. Ellul donne pêle-mêle comme raisons de ce défaut de prise de conscience: l’illusion humaniste de pouvoir maîtriser la technique, la rationalisation de l’absurde, la fascination, la servitude volontaire. Il est en particulier très opposé à l’hypothèse d’une «culture technicienne», considérant que la technique est centralement opposée à la culture. La conclusion de son livre est remarquablement déprimée, et semble-t-il, clairement déprimante pour certains de ses lecteurs: si la possibilité de critiquer le systême technicien est évoquée sur le plan des purs principes, aucune piste pratique, aucune brêche, aucune expérience n’est retenue. Pour soutenir une telle critique, il ne voit qu’une référence – toute théorique d’ailleurs- à l’importance des «qualités de l’individu». Pour Debord, le renouvellement technologique incessant est un des traits principaux qui caractérisent la société modernisée jusqu’au stade du spectaculaire intégré. La sécheresse avec laquelle il énonce ce4e nouveauté a conduit certains commentateurs à soutenir qu’il avait sous estimé la question de la technique et de sa critique. En réalité, dans les Commentaires, la technique, trait majeur du spectaculaire intégré, est le principal moyen employé par la société du spectacle pour produire la personnalité si particulière du spectateur. De ce point de vue, la perte du sens historique et de la mémoire, la dégradation de la logique, les modifications de la personnalité participent du même processus de modification et de contrôle de la psychologie du spectateur. La perte de la logique notamment est à la fois un objectif de la société du spectacle (créer ce nouveau type de personnalité) et un moyen de son avancement. Ce4e approche est dans le droit fil des analyses des méthodes de conditionnement auxquelles l’Internationale Situationniste s’était significativement et depuis le début intéressée: la situation n’est rien d’autre qu’une victoire remportée sur le conditionnement. Et plus précisément, elle correspond à ce4e continuité de la société du spectacle – sa nouveauté en 1988- et aux caractéristiques des générations qui se sont formées au sein de la société du spectacle. C’est en effet la technique, l’association de la technique et de la servitude volontaire, qui permet et accélère la destruction de la logique. La technique favorise la destruction de la logique: elle l’industrialise. La servitude volontaire redouble ce4e destruction, les spectateurs les plus aliénés cherchant à dépasser les rôles médiatiques qu’on leur offre, qu’ils vénèrent et qui excellent dans l’illogisme. La destruction de la logique, même si elle s’inscrit dans la continuité des méthodes traditionnelles de conditionnement psychologique, s’opère de manière profondément différente dans le spectaculaire intégré. A peine désigné, le nouveau maître de Pékin s’était prononcé en faveur du «nouveau rève chinois». Par sa proximité avec le slogan de «l’american dream», ce4e déclaration a pu être interprétée comme un engagement résolu vers la société de consommation, assorti d’un soupçon de libéralisme mandarinal. Dans les jours qui suivaient, Xi Jinping déclarait que la modernisation de l’armée dite populaire était une composante importante de ce rêve chinois. Il fallait seulement comprendre: un cauchemar bruyant. Cet exemple récent est parfaitement significatif de ce qu’autorise aujourd’hui la dissolution de la logique. Mais il pourrait être compris comme un cas traditionnel, orwellien de manipulation de l’opinion. Ce que Debord a voulu souligner, c’est l’origine technique de ce4e destruction. Il n’y a pas de méchanceté particulière des médiatiques. Il y a seulement que le public adapté au spectacle est dépourvu d’a4ention et de mémoire, qu’il manque de vocabulaire et de grammaire, donc CRITIQUE DE LA TECHNIQUE: ELLUL ET DEBORD | l e s o b s c u r s https://lesobscurs.wordpress.com/2014/11/10/critique-de-la-technique-... 2 di 4 19/06/2015 17:11 de logique. Il ne remarque même plus que, dans le même espace ou le même laps de temps, on lui assène une affirmation et son contraire. Il s’imagine menacé par les démonstrations et cède tout à l’incohérence des messages. «La dissolution de la logique a été poursuivie, selon les intérêts fondamentaux du nouveau systême de domination, par différents moyens qui ont opéré en se prêtant toujours un soutien réciproque. Plusieurs de ces moyens tiennent à l’instrumentation technique qu’a expérimentée et popularisée le spectacle; mais quelques uns sont plutôt liés à la psychologie de masse de la soumission.» Donc d’une part, et exigeant un certain désir individuel de servitude, l’a4itude de celui qui veut imiter et dépasser les médiatiques dans leur rôle; de l’autre, les caractéristiques de l’instrumentation technique, et notamment l’image audiovisuelle. «Sur le plan des techniques, quand l’image construite et choisie par quelqu’un d’autre est devenu le principal rapport de l’individu au monde qu’auparavant il regardait par lui même, de chaque endroit où il pouvait aller, on n’ignore évidemment pas que l’image va supporter tout; parcequ’à l’intérieur d’une image on peut juxtaposer sans contradiction n’importe quoi.» Au passage, on remarque l’étendue qui sépare l’analyse du bluff technologique par Ellul, qui tourne toute sur le vocabulaire, le discours, le contenu idéologique du message, et celle de la dissolution de la logique par Debord, centrée sur la technique. La critique politique de la technique est une critique de la technique elle même, de la manière dont elle s’associe à l’homme, et pas seulement une critique des effets que son emploi ne peut manquer de produire. Aussi bien l’inspiration de ce4e critique de la technique par Debord pourrait être comprise plutôt comme artistique. Du moins trouve-t-elle à s’appuyer sur son expérience cinématographique. Et il est certainement significatif qu’il l’ait étendue à l’informatique. Aujourd’hui le numérique tient la place de l’architecture ou de l’urbanisme en d’autres temps. La condition de l’esprit humain est technique. L’audio-visuel et le numérique, en tant que nouvelles techniques de conditionnement, sont des techniques et des technologies de l’esprit. C’est en tant que telles qu’elles doivent être critiquées. Instruments du pouvoir psychologique – ce qu’elles sont évidemment parce que contrôlées par les industries- elles sont aussi la condition de pratiques, pratiques et techniques formant ensemble les nouvelles lignes d’opération de la société du spectacle. Le pouvoir psychologique ne s’étend pas sans rencontrer résistances et conflits. Ou plus précisément il va les chercher. Il faut ici des stratèges, et non des spécialistes. Debord a regardé en stratège les réalités qu’Ellul voulait comprendre en sociologue. L’un voit le théâtre des opérations, des lignes qui se déplacent, des résistances, des alliances; l’autre, un pouvoir qui se renforce en s’étendant, l’idéologie venant saturer complètement la réalité. L’homme n’est pas pure servitude, pure adaptation à la technique. Il sait résister, critiquer, rejeter, détourner, modifier la technique. Il sait refuser ce qui est fabriqué par un autre, c’est-à-dire par les industries de l’audiovisuel et de l’information, et définir ce qui lui est propre. Contrairement à ce que croit Ellul, la critique de la technique est possible. Elle est subjective et objective. C’est une critique subjective, qui ramène du produit industriel au faire et du faire à l’homme, suivant la direction que Marx appelait la critique ad hominem. Mais pour être effective, elle doit être CRITIQUE DE LA TECHNIQUE: ELLUL ET DEBORD | l e s o b s c u r s https://lesobscurs.wordpress.com/2014/11/10/critique-de-la-technique-... 3 di 4 19/06/2015 17:11 menée sur le théâtre des opérations réelles, c’est-à dire stratégiquement contre la société du spectacle, comme le montre l’exemple central des technologies numériques. Collage de Jacques Prévert Posted in Les Obscurs - Numéro 2 on novembre 10, 2014 by lesobscurs. Poster un commentaire CRÉEZ UN SITE WEB OU UN BLOG GRATUITEMENT SUR WORDPRESS.COM. 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- Publié le Jan 26, 2021
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