Linx L'enseignement de la pensée critique aux Etats-Unis J Hoaglund, Christian

Linx L'enseignement de la pensée critique aux Etats-Unis J Hoaglund, Christian Plantin Citer ce document / Cite this document : Hoaglund J, Plantin Christian. L'enseignement de la pensée critique aux Etats-Unis. In: Linx, n°22, 1990. pp. 81-103; doi : https://doi.org/10.3406/linx.1990.1147 https://www.persee.fr/doc/linx_0246-8743_1990_num_22_1_1147 Fichier pdf généré le 04/04/2018 John HOAGLUND Christopher Newport College RENSEIGNEMENT DE LA PENSÉE CRITIQUE AUX ÉTATS-UNIS L'enseignement de la pensée critique en Amérique du Nord se donne actuellement sous des formes très diverses, et je ne suis pas forcément au courant de tout ce qui se fait dans ce domaine. C'est pourquoi je limiterai d'abord mon exposé à l'enseignement de la pensée critique au niveau des "colleges", sous la forme d'une séquence de six heures, formant un cours autonome destiné aux étudiants abordant des études universitaires. Mais nous devrons également nous demander pourquoi l'on accorde actuellement une telle importance à l'enseignement de la pensée critique, ce que l'on fait dans les écoles, et comment on évalue les progressions. Mon exposé sera plus descriptif et explicatif qu'argumentatif, mais je n'hésiterai pas à défendre certaines positions sur cet enseignement de la pensée critique. J'aborderai successivement les points suivants. 1 - Conceptions et définition de la pensée critique, du point de vue de l'enseignement. 2 - Pourquoi l'intérêt actuel pour l'enseignement de la pensée critique. 3 - Le développement des cours de pensée critique. 4 - Le cours de pensée critique tel qu'on le donne actuellement. 5 - Problèmes et perspectives de cet enseignement. 6 - Evaluation des cours. 7 - La pensée critique à l'école. Une remarque préliminaire : ce que nous appelons "pensée critique" ou quelquefois "logique non formelle" est très proche de ce qu'on appelle "argumentation" en Europe ou en Amérique latine, tout ceci étant parfois lié à la pragmatique. Ainsi, comme van Eemeren & al.1, nous nous 81 John Hoaglund intéressons aux problèmes généraux de la schématisation de l'argumentation et du débat en langue naturelle. L'entreprise américaine se caractérise toutefois par ses motivations pédagogiques, et son orientation vers la mise au point de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux pour l'enseignement. Ainsi, la plupart des enseignants acceptent les prémisses suivantes. 1 - Un grand nombre d'étudiants bouclent leurs études secondaires (12 ans) et même pour certains, leurs années de "college" (16 ans) sans avoir acquis une pensée critique. 2 - La pensée critique peut s'enseigner. 3 - La pensée critique doit s'enseigner. A partir de ces constatations, un nombre croissant de cours on été mis en place en niveau des "colleges" aussi bien au Canada qu'aux Etats-Unis. Ce développement étant encore récent, nous ne disposons pas de données chiffrées, et il n'est pas possible de dire exactement combien de ces cours fonctionnent actuellement ; mais leur nombre s'élève certainement à plusieurs centaines, avec peut-être une centaine pour le seul Etat de Californie2. 1. Les différentes conceptions de la pensée critique dans l'enseignement Une définition sommaire de ce que l'on entend par "pensée critique" dans ces différents cours pourra nous guider dans notre démarche. La pensée est une activité mentale orientée, qui se manifeste par exemple lorsqu'on se demande pourquoi la lampe ne s'allume pas (elle n'est pas branchée, l'ampoule est grillée, etc.) ; elle s'oppose au rêve éveillé, où l'adolescent se voit en héros, par exemple. La pensée est dite critique lorsqu'elle est informée des règles positives du raisonnement correct, qui veulent par exemple qu'un témoignage soit soigneusement analysé, et lorsqu'elle accepte de se laisser guider par de telles normes, par exemple lorsqu'il s'agit de décider s'il convient d'acheter une nouvelle voiture maintenant ou s'il vaut mieux attendre, dans l'espoir d'une baisse des taux d'intérêt qui rendrait l'achat moins onéreux. La mise au point d'un cours de pensée critique exige bien sûr une définition plus substantielle et mieux articulée. Nous allons tenter d'exposer brièvement les deux définitions les plus répandues. Le psychologue de l'éducation Benjamin Bloom3 propose de hiérarchiser les capacités cognitives selon six niveaux : 1 - Connaissances : savoir ce qu'est telle ou telle chose ; 2 - Compréhension : comprendre quelque chose suffisamment bien pour pouvoir le décrire en des termes originaux et pouvoir l'interpréter ; 3 - Application : être capable de se servir de quelque chose, ou bien de résoudre un problème ; 4 - Analyse : décomposer l'objet selon ses parties constituantes ; 82 L 'enseignement de la pensée critique aux Etats-Unis 5 - Synthèse : à partir d'éléments, composer de façon novatrice un tout qui n'était pas clairement donné auparavant ; 6 - Evaluation : mettre en œuvre des critères ou des normes pour évaluer des objets. Dans un exposé remarquable qui a exercé une grande influence, Bloom analyse chacune de ces capacités en diverses composantes allant du simple au complexe et propose des questions permettant d'évaluer dans quelle mesure les étudiants la maîtrisent. On estime généralement aux Etats-Unis que les travaux d'un grand nombre d'étudiants ne dépassent pas les deux premiers niveaux, sous leurs formes les plus simples de pure mémorisation et restitution. Dans bien des disciplines, de l'histoire à la biologie, l'enseignement est conçu pour des étudiants qui assistent aux cours et lisent les textes obligatoires dans un but de mémorisation qui sera ensuite contrôlée au moyen de tests à choix multiples. De trop nombreux enseignants considèrent que leur tâche est accomplie et que leurs étudiants maîtrisent leur sujet s'ils sont capables de restituer convenablement de tels fragments de connaissances spécifiques. Il est assez surprenant de constater que les vues de Bloom ne semblent pas avoir abouti à la mise au point de cours visant à améliorer les trois niveaux supérieurs de capacités cognitives. Mais il a attiré l'attention sur la nécessité de dépasser la pure mémorisation pour s'intéresser aux capacités cognitives de haut niveau. C'est dans l'organisation des cours consacrés aux diverses matières que cette exigence a rencontré le plus d'échos4. Les "Objectifs pour un programme d'enseignement de la pensée critique" proposés par Robert H. EnnisS sont sans doute plus proches des cours spécialisés de pensée critique. Il définit la pensée critique comme une activité réfléchie visant l'action ou la croyance raisonnables. Cette activité met en œuvre des dispositions (distinctes des aptitudes cognitives de Bloom) telles que l'ouverture d'esprit, la volonté de prendre en compte toutes les données d'un problème. Ce programme s'articule selon plusieurs capacités : 1 - Clarification élémentaire : comprendre ou formuler une question, analyser une argumentation 2 - Justifications fondamentales : évaluer la crédibilité d'un témoignage (absence de conflits d'intérêts), la fiabilité d'un compte-rendu d'observation (conditions d'observation, possibilité de confirmations) 3 - Inferences déductives (cf. les cours traditionnels de logique) et inductives (généralisation) ; mais aussi inferences explicatives et jugements de valeur. 4 - Clarification poussée, par exemple élaboration et mise à l'épreuve de définitions, traitement des ambiguïtés, identifications des présuppositions. 5 - Usage stratégique ou tactique de la pensée critique : apporter des solutions nouvelles à un problème, interagir avec ses partenaires (détecter et traiter les paralogismes), présenter un point de vue argumenté. 83 John Hoaglund Les "objectifs" présentés par Ennis ne fournissent pas de recettes pour les cours de pensée critique, même si tout bon cours doit en tenir compte. En pratique, les cours qui marchent bien s'organisent autour de principes différents. Son influence reste cependant notable sur l'évaluation des "capacités critiques dans les sciences historiques et sociales" mis au point par P. E. Kneedler pour les étudiants de quatrième ("eighth-grade") de Californie6. Plus que quiconque, Richard Paul insiste pour que l'on aille au-delà des capacités logiques non formelles, telles que l'aptitude à généraliser à partir d'un ensemble de données, pour enseigner la pensée critique "au sens fort", afin que nos étudiants puissent combattre ethnocentrisme et préjugés en eux-mêmes et chez les autres7. Cette idée raisonnable s'harmonise parfaitement avec l'objectif posé par Ennis, selon lequel les étudiants ne doivent pas seulement maîtriser des capacités logiques non formelles, mais aussi acquérir des dispositions à les mettre en pratique. On espère ainsi combattre ethnocentrisme et préjugés en général. Il est cependant douteux que les étudiants puissent devenir des "penseurs critiques" au sens fort proposé par Paul, s'ils ne maîtrisent pas au moins certaines et sans doute la plupart de ces capacités logiques non formelles. Paul met ainsi l'accent sur les produits de la pensée critique au détriment des procès, et on peut demander si les termes de "fort" et de "faible" conviennent bien à un tel déplacement. Il faudrait également se demander jusqu'où on peut aller dans l'assignation des objectifs : on conviendra qu'il faut combattre les préjugés raciaux, mais le rejet de la politique américaine en Amérique Centrale est un sujet controversé, et il serait inacceptable d'exiger que l'on vote Démocrate lors de telle élection ; comme le dit T. Edward Damer, "un créationniste peut-il être un penseur critique ?"8. 2 Pourquoi l'intérêt actuel pour la pensée critique Le mouvement pour le perfectionnement de la pensée critique constitue actuellement la tendance dominante en matière de réforme éducative aux Etats-Unis, et de nombreux enseignants pensent pouvoir améliorer leurs cours à partir des conceptions de Bloom et de Ennis. Cependant, comme nous vivons dans uploads/Philosophie/ renseignement-de-la-pensee-critique-pdf.pdf

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