LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ La collection Le 1 en livre est dirigée par Éric F

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ La collection Le 1 en livre est dirigée par Éric Fottorino L’intégralité de ces textes a été publiée par Le 1. www.le1hebdo.fr © Le 1/ Éditions de l’Aube, 2021 www.editionsdelaube.com ISBN 978-2-8159-4389-5 Cynthia Fleury Mona Ozouf Michelle Perrot Liberté, Égalité, Fraternité éditions de l’aube Avant-propos Même s’il est beaucoup question d’égalité dans cet ouvrage, osons écrire que les pages réunies ici nous offrent une manière de privilège : entendre ces trois voix exceptionnelles que sont les historiennes Mona Ozouf et Michelle Perrot, avec la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury. L’idée de rassembler ces propos de haute pensée s’est imposée à nous après qu’à l’été 2020, sortant à peine d’un premier confinement qui en annonçait déjà d’autres, nous avions consacré trois numéros successifs du 1 à la devise républicaine. Une année s’est encore écoulée, rythmée par la pandémie mortelle qui a continué à faucher des vies tout en restreignant les libertés des vivants. Le virus n’a cessé de mettre à l’épreuve nos existences, les corps physiques, mais aussi le corps social, les liens familiaux et amicaux. Et aussi les institutions comme l’hôpi tal, l’Université ou l’école, sans oublier le monde de l’entreprise. Ont également été remises en question ces notions qui n’ont rien de formel quand on entre dans le concret. La liberté d’aller et de venir, de se réunir, de partager des moments en commun, dans une salle de spectacle ou dans un stade de football, ou simplement avec les siens quand les distances deviennent des obstacles. L’égalité de traitement lorsque l’on est malade, selon l’affection dont on souffre, selon notre âge ou notre lieu de résidence, pour recevoir un vaccin, pour bénéficier d’une opération. La fraternité aussi, malmenée par cette distanciation sociale qui éloigne quand l’on voudrait tant se rapprocher, qui interdit les gestes de réconfort envers celles et ceux qui en auraient tant besoin, jeunes – et moins jeunes – isolés, personnes âgées dans les EHPAD. À force de concentrer l’essentiel de nos existences derrière des écrans, notre humanité technologique aura mesuré les limites du « distanciel », et les vertus du « présentiel ». Lire les entretiens des trois personnalités réunies dans ce recueil procure beaucoup d’apaisement par la profondeur de la réflexion comme par l’humanité des réponses, par la combativité aussi que suppose la défense de chaque terme de la devise républicaine. Voilà pourquoi, nous lecteurs, sommes des privilégiés. Éric Fottorino Directeur de l’hebdomadaire Le 1 La liberté a deux ennemis… : les circonstances extraordinaires et le salut public Mona Ozouf* * Le 1 n° 305, « Liberté », 14 juillet 2020. Pouvez-vous retracer en quelques mots l’histoire de la devise, Liberté, Égalité, Fraternité ? Difficile, parce que l’histoire est longue. Il faut d’abord abandonner l’idée, fort répandue, que la devise surgit tout armée de la Révolution française. Certes, les mots de liberté et d’égalité sont alors partout : sur les lèvres des orateurs, sur le papier des affiches ou sur la faïence des assiettes. Ils sont apparus côte à côte dès la Déclaration des droits, mais ils voisinent avec des abstractions qui les concurrencent – Vérité, Sûreté, Justice. Ils peinent donc à s’agréger en devise, et ne parviennent pas à la dignité institutionnelle. Dès lors, on peut s’attendre à ce que cette triade incertaine ait une histoire contrastée dans un XIXe siècle agité où pas un régime ne dure plus de dix-huit ans. Le Premier Empire garde de ses origines le mot de Liberté, mais tend à l’équilibrer – ou, comme on voudra, à l’assassiner – en lui adjoignant celui d’Ordre public. Les deux monarchies restaurées bannissent à la fois l’égalité et la liberté. La monarchie de Juillet, bien que née d’une révolution – et qui le sait au point d’en adopter le nom et de garder les trois couleurs –, recule pourtant devant la devise. C’est une autre révolution, celle de 1848, et l’avènement d’une république nouvelle, qui l’inscrit enfin dans le texte constitutionnel et – c’est là son apport décisif – lui donne, en lui adjoignant la fraternité, son rythme ternaire. Triomphe éphémère cependant : le coup d’État de 1851 ramène, avec l’Empire, la prédilection pour l’ordre public. Il faut donc attendre encore la défaite de 1870, la difficile installation d’une République troisième du nom pour voir, en 1880, la devise se pérenniser et acquérir l’évidence qu’elle a pour nous aujourd’hui. Encore devra-t-elle subir un dernier outrage, abandonnée au profit de bien plus prosaïque : le Travail, Famille, Patrie d’un vieux maréchal. Quelles ont été les principales sources d’inspiration ? Multiples. On pense d’abord à l’exemple américain, qui avait joué un rôle dans l’élaboration de la Déclaration des droits, mais l’inspiration de la devise venait d’une longue préhistoire. Les Lumières, pour commencer. Au cours du siècle précédent, la lutte contre l’absolutisme avait été menée au nom des libertés, et l’innovation de la Révolution est d’avoir abandonné le pluriel – qui avait partie liée avec les droits historiques et les privilèges particuliers – pour l’universalité du singulier, une liberté pour tous. On peut encore penser à l’héritage de la maçonnerie : le goût des abstractions ternaires avait, selon George Sand qui le raconte dans Consuelo**, voyagé souterrainement à travers les sectes et les sociétés secrètes. Il y a, enfin, les racines chrétiennes. Chateaubriand conclut les Mémoires d’outre-tombe*** par une prophétie : la « religion du libérateur », à ses yeux loin d’être épuisée, entre à peine dans sa troisième période, politique celle-ci, et se résume en trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité. De cette inspiration évangélique, il y a une scène remarquable : place des Vosges, en 1848, Hugo préside à la plantation d’un arbre de la liberté. Le premier d’entre eux, dit-il, n’est autre que la « croix sur laquelle Jésus s’est offert en sacrifice pour la liberté, l’égalité et la frater nité du genre humain**** ». En quoi ces trois valeurs se complètent- elles ? C’est peu dire qu’elles se complètent. On peut soutenir, c’est le cas pour la liberté et l’égalité, qu’elles ne sauraient exister l’une sans l’autre. Être libre, c’est pouvoir agir selon les buts qu’on s’est fixés et ne pas subir la contrainte. À la seule condition, toutefois, de ne pas nuire à la liberté d’autrui. C’est évidemment admettre que cet autrui jouit d’un droit égal à l’indépendance, et c’est établir une circularité entre les deux valeurs : des êtres pareillement libres sont nécessairement égaux. Qu’est-ce qu’une société, se demande Sieyès, où les hommes seraient plus ou moins libres ? De la fraternité, en revanche, on peut dire – et on l’a beaucoup fait – qu’elle complète les deux autres. C’est qu’elle n’est pas du même ordre : pas un droit, mais un devoir, une volonté vertueuse ; un facteur d’union, quand la liberté porte en elle la dissidence. On la célèbre donc comme une conjuration de l’égoïsme contenu dans l’individualisme des droits ou comme la résolution affective des conflits qui peuvent s’élever entre la liberté et l’égalité. Lesquels ? En réalité, les deux valeurs ne sont sœurs siamoises qu’au ciel des idées abstraites ; transportées sur le sol de la vie concrète, il leur arrive de contraindre les hommes à arbitrer péniblement entre elles. Voyez les Constituants. Il leur est arrivé de sacrifier la liberté à l’égalité : l’égalité des partages dans les successions a eu raison du libre droit du père de famille à avantager tel ou tel de ses enfants. Mais il leur est arrivé, tout à rebours, de sacrifier l’égalité à la liberté : convaincus que des êtres dépendants d’autrui ne sauraient voter librement, ils ont adopté le vote censitaire qui écarte les non-propriétaires du corps politique et blesse décisivement l’égalité. La disjonction des termes n’a donc pas été inventée par des historiens révisionnistes hostiles à la Révolution, elle a été vécue par les contemporains eux-mêmes. Songez seulement au calendrier : 1789 ouvre l’an I de la liberté, suivi, après le 10 août 1792, de l’an I de l’égalité, si bien qu’une même journée, en 1793 par exemple, peut être datée de l’an II de l’égalité et de l’an IV de la liberté. Chacune des deux valeurs a donc son moment. Se sont-elles imposées d’elles-mêmes ? Évidemment pas, puisqu’il a fallu un siècle à la devise pour se pérenniser, et l’histoire chaotique du XIXe siècle suffit à en comprendre les raisons. L’instabilité vient aussi des penseurs et des philosophes. Tantôt ils bannissent les trois termes à la fois, tantôt ils leur adjoignent un terme susceptible d’en amortir la charge subversive. Parfois, au gré des goûts et des dégoûts personnels, ils ôtent à la devise un ou deux de ses pieds. Lamennais, qui montre peu de tendresse à l’égalité, suggère même de s’en tenir à Liberté, Fraternité. Parfois encore, l’époussetage de la devise entraîne avec lui deux termes : Babeuf ne souhaite sauver que la valeur d’égalité, à condition de la déclarer « parfaite ». Proudhon, lui, serait heureux avec la seule liberté, comme Vacherot, républicain rigoureux. Tantôt, enfin, ils se contentent de bricoler l’ordre de la devise. Pour Cabet, utopiste conséquent, liberté uploads/Philosophie/ cynthia-fleury-amp-al-liberte-egalite-fraternite.pdf

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