La place de l'idée du malheur de la conscience dans la formation des théories d

La place de l'idée du malheur de la conscience dans la formation des théories de Hegel (~M~e)'. IX A la fin de l'empire romain, à la fin du xvins siècle, le moment est venu où le malheur, la séparation ont été sentis comme consti- tuant l'essence de l'homme. La rciigion devra être la destruction de ce qui est purement objectif et de ce qui est purement subjectif, pensait Hegel lorsqu'il rédigeait en 1800 !e\em/a~men< (Nohi, p. 350). Dès ce moment, en tout cas dès 1802, il prend une claire conscience des exigences logiques de sa phil.osophie religieuse « La tâche de la philosophie consiste à unir ces oppositions, à placer i'être dans le non-être comme devenir, !a séparation dans l'absolu, comme apparence de l'absolu, le fini dans l'infini comme vie. » (D:en~, p. 177.) Par l'idée d'apparence, la conscience malheureuse, séparée, s'intégrera à l'absolu comme par l'idée de mouvement le non-être s'intégrera à i'être. D'autre part, s'il est vrai que l'infini est la contradiction absolue, comme le dit Hegel dès son lef système (p. 22, Ehrenberg) et s'il est vrai que ie fini contient lui aussi essentiellement des contradic- tions, ne peut-on par là même montrer l'identité entre le fini et i'mnni? Et n'est-ce pas ce que Hegel entendait, lorsqu'il écrivait à propos de Schelling (XV, 662) « On devrait montrer au sujet du fini lui-même qu'il contient en lui la contradiction et qu'il se fait de lui-même un infini. » C'est alors que l'on obtiendrait le fonde- 1. V..Re:'tM philosophique, iMv.1926,393-450. 10lk BRVUt!RHH.OSnPmQUH ment philosophique du système de l'identité, par là même qu'on aurait vu que logiquement l'essence de l'objectif consiste à se trans- former en subjectif et inversement~. Mais, pour parvenir ainsi à la véritable universalité, il faut d'abord que l'homme prenne conscience de son individualité, et ainsi nous retrouvons toujours la nécessité de la conscience malheureuse, de cette conscience qui pense en termes de sujet et d'objet, et qui finalement, ne voit partout et en elle-même qu'objets inertes ou bien qui ne voit partout qu'elle-même, comme pur sujet; de cet enfer dont on peut repasser les portes, et dont les flammes se trans- forment en auréoles. Hegel devait approfondir en même temps les deux idées de la conscience malheureuse de l'univers et de la conscience malheu- reuse de l'homme. Il oppose à la conception goethéenne de l'unité de la nature la vision des individualités diverses. « Intérieurement les vivants sont cela même (cette nature une), mais ils ont une absolue extériorité de l'être les uns par rapport aux autres. Chacun est pour soi-même, et le mouvement des uns par rapport, aux autres est un mouvement absolument contingent. Dans cette vitalité isolée, chacun se présente contre les autres avec. un droit égal. La contemplation à laquelle ils se livrent est une douleur palpitante. (Rosenkranz, p. 187.) Loin d'être ce monisme donné de prime abord et tiré comme à bout portant (pour reprendre une expression hégélienne) que se représente le pluraliste, le monisme de Hegel est une doctrine ou plutôt une façon de vivre à laquelle on arrive seulement à condition de partir d'un pluralisme profond. On voit alors comme il est injuste de dire que Hegel a manqué du sens profond du péché. On pourrait le croire en lisant certaines affirmations dogmatiques sur la rationalité de l'univers; mais si on suit les chemins par lesquels passe Hegel pour arriver à ces affirmations, on se rend compte qu'au centre de sa philosophie est l'idée de conscience malheureuse, l'idée du péché, comme l'avait vu Goschel. Le péché est racheté par la mort d'un Dieu. Cette réflexion sur 1. En fait, un infini qui ne fait que s'opposerau fini est aussi fini quelui, Wissen,p. 14. TIfaut qu'il détruise ~CErni'cMer!.), qu'ilconsomme~Mt/tffn~ le fini(p. 16et 17)et qu'en mêmetemps il le conserve. J. WAHL. LA FOKNATiO~! DES THÉORIES DE HEGEL iOS la mort flu Tl; o~t un .1. >ro.r.r'1o°f..J.t. -_J.. 1 1 la mort de Dieu est un des points dont est partie la méditation de Hegel comme celle de plusieurs des romantiques allemands. Ce « mystère de Jésus lui apparaît comme la croix où s'écartèle la raison humaine et où s'unissent deux natures. Un individu a été choisi qui porte toutes les douleurs du monde. Cet individu, est Dieu. Recourons pour illustrer les idées de Hegel à quelques-uns de ses écrits postérieurs. Dans toutes les plus hautes religions, et non pas seulement dans le christianisme, est présent pour Hegel comme pour Creuzer ce moment de la douleur. Ainsi dans la religion d'Adonis (Philosophie der Geschichte, édition Reklam, p. 261) « On institue une douleur universelle; car la mort devient immanente au Divin et le Dieu meurt. » Sans doute chez les Grecs la mort n'était pas comprise dans toute sa signification, mais avec le christianisme, elle devient le moment de la négation sentie dans son essence, « une mort de l'âme qui peut se trouver par là comme le négatif en soi et pour soi, exclu de tout bonheur, absolument malheureux » (Esth., II, 127, 128). Et en effet l'idée de conscience malheureuse est liée à l'idée de subjectivité. Dans la douleur l'homme ressent sa subjectivité (PM. de l'histoire, p. 261). La sérénité grecque est quelque chose de fini, de limité. Avec le christianistne, ses colli- sions, ses déchirements, naît toute une gamme de passions (Esth., II, p. 131). Mais en même temps une plus haute sérénité prend forme; la mort ne se comporte négativement que par rapport au négatif (Cf. Esth., II, p. 128); elle supprime seulement ce qui est néant; elle est la médiation, la réconciliation du sujet avec l'absolu; niant le négatif, elle est l'affirmation de l'absolu. Ici'encore nous voyons que la conscience malheureuse engendre la conscience du bonheur'. Car ce qui est mort, c'est le manque de vie. Le Dieu qui est mort est précisément le contraire du Dieu mort; il est ressuscité. Et c'est la mort qui est morte. Ce n'est pas une autre idée qui est exprimée dans le passage du Naturrecht, p. 370. «Cet absolu négatif, la pure liberté, est dans son apparition la mort. » C'est là l'aspect de la raison que l'on peut appeler négatif ou destructeur (Rosenkranz, p. 191). 1. Cf. Ehrenberg, Disputatio,p. 175 Avec les conceptssans contradiction des Grecs,on ne peut trouver aucun mot pour !a croix et sa vérité contradic- toire.Cf.PhilosophiederGeschichte, p. 144. GtSc/e~e<~r.PMosop/ii<in,p. 134. 106 REVUE PH.H.OSOPtHQ'GE Cette négativité dont parle Hegel, c'est finalement la mort~. Un disciple de Hegel, nous rapporte Rosenkranz, pendant une leçon où le maître faisait voir les systèmes se détruisant les uns les autres, se succédant les uns aux autres, disait de lui «Voyez, cet homme est la mort elle-même, c'est ainsi que tout doit périr. )} Mais cette mort, eût ajouté Hegel, est nécessaire au renouvelle- ment de la vie, est liée à la résurrection. Telle est la justice de Dieu, qui sans cesse met en relief le côté négatif de chaque chose qui se produit (Rosenkranz, p. 192). Telle est la mort, le maître sou- veraip (JP~enomenofog'M, p. 148, 446), la généralité qui tue, suivant le mot de Gœtbe dont on a rapproché à bon droit la pensée de Hegel (Kroner, 11, p. 392). La mort, dit Hegel, a pris avec le christianisme un sens nouveau. Elle n'est plus « le beau génie frère du sommeil » (Nohl, p. 47 et 359). L'idée de tombeau a revêtu une tout autre signification que chez les Grecs, L'enthousiaste religieux, disait Hegel dans son écrit suf le christianisme (p. 341), cherche dans la. mo~t à se délivrer de l'opposition de la personnalité. L'effort du chrétien consiste à transformer en béatitude la Se/MMucMreligieuse (Wissen, p. 1U), le sérieux tragique de la reîigMm ~M., p. 113). Le christianisme approfondit à un tel point l'idée de douleur religieuse, qu'il en fait non seulement la mort do l'homme, mais la mort de Dieu; et par 1~même, non seulement la vie de l'homme, mais la vie de Dieu. L'art romantique est dominé par cette exacerbation de l'élément subjectif 2, par cette subjectivité absolue et ce sacrifice de la subjectivité absolue qui sont négativité absolue, par l'idée du Dieu sujet qui-se soumet à la mort (Es~ H, p, 127) que Hegel conçoit d'une façon assez analogue à celle de Schelling. 1 Philosophie der .R~'on, I, p. 1.07,353.Phénoménologie, p. 330,590. La consciencehumaine a été jusqu'au point de la subjectivité la plus extrême pour en faire l'universalitéla plus ample,et c'est en quoi consistelit révélation chrétienne. Elle est l'hégémonieet l'apothéose de la subjectivité. Cetteapothéoseconsisteen ce quel'être en soisetransformeen un êtrepoursN, en une généralité,en une essenceabsolue. Cettemort deDieu,dira Hegel,estla mort de la mort. Et après s'être délivre de sa généralitéen tant qu'opposéeà la particularité, Dieu se délivre de sa particularité en tant qu'opposéeà la généralité.Cette mort est la négationde A la négation,doncaîBrmationet médiation(PM. der .M~MH,M,240,353).Les deuxextrêmesde la généralitéla pluslarge et de la particularité la plusRrécise sont unis (~M., 261). J. WAHL. LA fORMAt'MN DES THÉORIES DE HEGEL J07 Et l'on se trouve assez près de certaines idées que Hegel exprimait, en un langage polythéiste, dans une uploads/Philosophie/ wahl-malheur-chez-hegel.pdf

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