La mosaique profane, Denis Buican Au noyau primordial de l’Être - au patrimoine
La mosaique profane, Denis Buican Au noyau primordial de l’Être - au patrimoine héréditaire - j’ai essayé d’apporter, selon le développement d’un arbre, les cercles concentriques de la croissance chronologique successive. Les méandres d’une vie, comme celle du fleuve du vivant, restent imprévisibles a priori tandis qu’à la fin l’on recèle, parfois, l’illusion d’un finalisme qui semble les justifier ou les condamner a posteriori. Une vie, même extraordinairement remplie - comme celle d’un Socrate ou d’un Shakespeare, d’un Léonard de Vinci ou d’un Darwin - ne garde une signification réelle que pour des segments historiques donnés inscrits dans une postérité provisoire comme d’ailleurs l’Humanité ou même la Biosphère. Au commencement et à la fin, rien à déchiffrer dans l’inconnu et l’inconnaissable. Sur la terrasse du manoir de Mamura, je regardais, à l’aube d’une enfance encore patriarcale, les étoiles filantes comme les vies humaines, pendant les mois d’août de chaque année et suivais l’écoulement des saisons, attendant toujours la résurrection du printemps, m’attristant des feuilles de l’automne et du départ des hirondelles et des cigognes. En observant la démarche d’une coccinelle sur une feuille pour attraper des pucerons j’avais compris, avant la lettre, ce que Darwin appelait la « lutte pour l’existence ». Il m’apparaissait évident que sous la prétendue harmonie de la création, couverte de la chlamide bleue de la voûte, trouée par les étoiles, se cachait un combat acharné pour la vie et la survie. Les pucerons attaquent les plantes qui les nourrissent tandis que les coccinelles mangent ces nuisibles. C’est cet équilibre du massacre entre les proies et les prédateurs que la mythologie créationniste prend pour une éternelle harmonie naturelle… Alors que derrière les dogmatismes futiles et les messianismes dangereux, l’on trouve la guerre de tous contre tous. * * * Le Démiurge - le créateur des religions monothéistes - m’est toujours apparu comme une sorte de deus ex machina du théâtre antique ou moderne. Car il peut, en théorie, tout expliquer à l’exception de lui-même… Le créationnisme ne fait que déplacer la question insoluble pour le cerveau humain et non la résoudre. Car si la boîte crânienne de l’homme, avec ses bornes héréditaires, est incapable de connaître les causes initiales et finales de l’Univers ou du Biocosmos, dans l’éventualité qu’elles existent, elle se trouve tout aussi dominée devant la notion d’un éventuel Démiurge. En mon enfance je demandais, non sans quelque candeur critique : qui a fait ce bas monde, avec ses maladies, ses morts vieux ou jeunes, avec ces tortures qui accablent toutes les espèces vivantes, dans une vie de combat inutile ? Ne trouvant d’autre réponse, un précepteur me répondit : en principe le Dieu-Démiurge. Alors je réitérais la question : mais ce Démiurge, lui, qui l’a créé ? * * * Du berceau au tombeau, la vie n’offre qu’une salade de ciguë, dans l’hypothèse qu’un être réunisse, dans l’hypostase humaine, la lucidité avec la sensibilité. Dans ce cas de figure, l’éventuelle félicité est tout à fait exclue. Un tableau idyllique de mon enfance reste ancré dans ma mémoire : je descendais toujours de la calèche pour regarder et admirer le bonheur suprême des cochons qui grognaient en se vautrant dans la boue. Mais un tel tableau extraordinaire n’est point réservé qu’aux bêtes béates : autrement dit, la béatitude n’est pas de ce bas monde ni avec l’opium du peuple… et ni avec l’opium tout court. * * * L’éclosion des œufs des oiseaux de ferme m’a toujours frappé comme la sortie des plantules au moment de la germination des graines. Je sentais comme un souffle de vie ivre de mort, car chaque commencement implique la fin de l’être. Pourtant, la terre montre le tableau d’une succession de saisons d’un éternel retour de la nature, avant qu’elle ne devienne, comme aujourd’hui, assez dénaturée dans une sorte de biosphère chauve, rétrécie comme une peau de chagrin rongée par la pollution galopante. * * * Les trois monothéismes, avec leurs messianismes qui préfigurent les déterminismes de type marxiste- léniniste ou national-socialiste, sont les ennemis de la pensée multipolaire du polythéisme gréco-latin, dans lequel la mythologie ne recèle que la personnification des forces de la nature. Zeus-Jupiter - le maître de l’énergie de la foudre - était un facteur d’unité naturelle et n’excluait pas les autres forces de l’Univers, comme c’est pourtant le cas du dogmatisme d’un Dieu jaloux (Sabaoth, Jéhovah ou Allah), dont les doctrines conduisirent à des guerres de religions et à des inquisitions dignes d’une pensée primitive, manipulée par des oligarchies despotiques qui, en réalité, ne s’agenouillent que devant le seul dieu concret : le Veau d’Or, gonflé en Bœuf d’Or. * * * Quant au Dieu jaloux de la Bible, il semble maudire la connaissance, fruit défendu de l’Eden, qui coûta le Paradis à Adam et Eve et, avant eux, chassa Lucifer, auquel les litanies de Satan de Baudelaire offrirent une fleur du mal extraordinaire. Borné Démiurge incapable d’élaborer un programme génétique, meilleur même, à son « plus savant et le plus beau des anges » - à Satan-Lucifer sa créature primordiale, pour ne rien dire de l’espèce maudite d’Eve et Adam. Les autres êtres vivants, notamment les nuisibles, depuis les virus jusqu’aux mammifères dits supérieurs, s’entretuent dans une lutte pour l’existence sans merci et apparemment sans aucun but, sauf celui de survivre dans un bas monde dont le mouvement perpétuel et désordonné semble une sorte de loi primitive du désordre et de la souffrance universelle. * * * On peut trouver de la sagesse dans le noyau durable des paraboles de Jésus de Nazareth, à condition qu’elles soient décortiquées de leur écorce ultérieure messianique et dogmatique renforcée, notamment, par Saul de Tarsos - que d’aucuns appellent Paul - et par les prêtres traîtres envers la doctrine de leur Maître supposé. Jésus apparaît comme un moraliste de la délivrance vis- à-vis de l’étouffante théocratie juive et plus tard judéo- chrétienne, mère des terribles inquisitions. N’a-t-il pas tendu une perche secourable à la jeune adultère en train d’être lapidée par la population juive aveuglée par les préjugés : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier la pierre ». Comme à la femme de mauvaise vie qui pendant un repas versa de l’huile et des parfums sur ses pieds, les essuya avec ses cheveux en les baisant de multiples fois : « … beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on remet moins, aime moins ». Enfin, lors de la dernière Cène, Jean, « le disciple que Jésus aimait », « s’était reposé sur son sein », rappelant ainsi la liberté d’esprit et d’attitudes de certains banquets, dont les plus célèbres restent ceux de Platon. Que Jésus de Nazareth soit un moraliste ou un anti- moraliste de la délivrance du joug dogmatique d’une théocratie interprétant à sa guise les lois de Moïse ressort avec évidence des récits évangéliques, où les pharisiens et les sadducéens sont souvent vilipendés. D’ailleurs, Jésus fut crucifié à la suite d’un procès inquisitorial conduit par les grands prêtres du Temple de Jérusalem qui, de surcroît, incitèrent la foule à demander sa tête, délivrant le bandit Barrabas à sa place. Pilate, le bras séculier de Rome, exécute la sentence de l’inquisition religieuse, et semble, d’après les Evangiles, se laver les mains du sang innocent du condamné et subire le chantage des « sépulcres blanchis », qui menacent de le dénoncer comme « ennemi » à l’empereur, s’il ne suit pas leur vengeance théocratique. D’ailleurs, il ne faut pas escamoter les passages des récits évangéliques où le diacre Etienne, comme Jacques, le frère du Maître, sont lapidés par une foule ameutée par le dogmatisme religieux. * * * Les monothéismes de l’Ancien et du Nouveau Testament, comme du Coran, ont toujours généré des inquisitions meurtrières, surtout lorsque le sabre et le goupillon étaient réunis dans un seul sceptre ou dans une seule tiare. Les guerres de religions qui parsèment l’histoire de leurs traces sanglantes, qu’ils s’agissent des Talibans qui ont dynamité les Bouddhas de Bamian, des Irlandais et des Anglais ou des Israéliens et des Palestiniens, présentent le vivant témoignage des dieux jaloux aveuglément suivis par des foules fanatisées par leur dogmatisme idolâtre. * * * Le polythéisme gréco-romain a commis l’erreur d’être trop tolérant avec les dieux étrangers ; de plus, en personnifiant les forces naturelles, il n’offrait pas dans le combat des idéologies religieuses, le bâton et la carotte des enfers et des paradis, promis par les dieux jaloux des trois monothéismes. Les Champs-Élysées de la mythologie grecque étaient trop enfumés par leur localisation souterraine pour que de tels champs d’asphodèles, regardés surtout par leurs bulbes, puissent complaire aux futurs usagers… Et le voyage d’Ulysse dans ce monde d’ombres qu’il dit ravitailler avec le sang des brebis sacrifiées ne devait sans doute pas accroître l’engouement des mortels pour une telle immortalité. Par contre, le sein de l’Abraham des judéo-chrétiens et le Paradis des ressuscités offert par les Eglises - pour ne rien dire des théories de l’Eden de uploads/Philosophie/ denis-buican-la-mosaique-profane.pdf
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- Publié le Mar 23, 2021
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