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1 METHODE OU SYSTEME ? POUR UNE METAPHYSIQUE LOCALE ELIE DURING TEXTE PUBLIE DANS LES TEMPS MODERNES, N°682, 2015/1 (« LA PHILOSOPHIE FRANÇAISE A-­‐T-­‐ELLE L’ESPRIT DE SYSTEME ? ») « Quand je commence un travail nouveau, c’est que j’ai rencontré dans le travail précédent une difficulté. Je sais que je suis dans le vrai pour telle chose, mais… je voudrais bien savoir ce qui se passe ici (le philosophe montre un point précis, de sa main malade). Je le laisse de côté provisoirement : quand ce sera fini, je reviendrai, je tâcherai d’élucider ce point (il hoche la tête d’un air décidé). Je n’arrive pas à formuler la difficulté : c’est un trou noir. Il devient pour moi un centre : il y a là quelque chose de noir qu’il faut éclairer ! Je fais le tour de ce point noir. Je décris autour de lui une circonférence, en visant le trou qui est au centre, des différents points de la circonférence1. » QUESTIONS DE METHODE : LE CAS BERGSON Si l’esprit de la philosophie française doit quelque chose à Descartes, c’est bien d’avoir su opposer aux prétentions exorbitantes du système la rigueur d’une méthode – ou à tout le moins, d’avoir subordonné le premier à la seconde. Encore faut-il s’entendre sur ces mots. Bergson, le dernier de nos grands philosophes qui eut le courage d’affirmer haut et fort la nécessité de la métaphysique, revendiquait pour celle-ci une vertu de précision qui lui fait généralement défaut lorsqu’elle se présente comme une ample dialectique de concepts. Le propre des systèmes est de tailler trop large. Pour ce nouveau « cavalier français », selon l’expression de Péguy, il y allait au contraire d’une pensée sur mesure, relevant d’un exercice supérieur de l’intelligence. Mais à ce terme ancien dont l’étymologie (inter, legere) nous renvoie à la faculté de lire entre les lignes, de discerner et de recouper les lignes, on sait qu’il préféra finalement celui d’« intuition », au prix de quelques malentendus durables. On vit dans le bergsonisme un anti-intellectualisme, comme si le refus d’assigner pour fin à la philosophie l’édification d’un système condamnait le penseur à abdiquer toute visée d’élucidation rationnelle au profit d’aimables tours de rhétorique. On crut y trouver une pensée facile, résumée en formules toutes faites, en dénominations vagues et bonnes à tout (« élan », « durée », « sympathie »), comme si l’« expérience intégrale », qui est pour Bergson l’autre nom de la métaphysique2, devait nécessairement se traduire par l’exposé synthétique d’une « vérité intégrale » sous la forme d’un système qui ait réponse à tout3. 1 Henri Bergson, propos rapportés par Lydie Adolphe, La Dialectique des images chez Bergson, Paris, PUF, 1951, p. 3. 2 Henri Bergson, La Pensée et le mouvant [1934], Paris, PUF, 2009, p. 227. Il s’agit par là de viser une expérience non réduite, non apprêtée aux cadres pragmatiques de l’intelligence ordinaire ; une expérience qui 2 Or justement, si la méthode de l’intuition – l’intuition comme méthode, selon la formule de Deleuze4 – vise bien l’expérience intégrale, si elle ambitionne de penser toute chose en tant qu’elle participe à tout le reste (et notamment au Tout de l’univers), sa démarche demeure fondamentalement analytique, pour autant qu’elle s’attache à démêler des formations impures, des mixtes mal analysés, en s’efforçant de retrouver à chaque fois, sur des cas bien déterminés, les articulations naturelles auxquelles un découpage trop systématique risque toujours de substituer une combinaison artificielle de notions générales. Analyser, pour Bergson, c’est effectuer des différenciations qualitatives au sein de l’expérience, c’est isoler des tendances pures en extrapolant à partir de directions esquissées, de formations à l’état naissant, mais toujours en fonction de questions locales. Ainsi lorsqu’il s’attaque au problème classique du rapport de l’âme et du corps : c’est à travers le phénomène particulier de la mémoire qu’il entreprend de serrer la nature de l’esprit, dans son rapport à la matière ; et c’est plus spécialement la question de l’aphasie, envisagée « au point où l’activité de la matière frôle celle de l’esprit5 », qui lui permet de reformuler une position globalement dualiste, sans avoir à recourir pour cela à la classique opposition entre substance pensante et substance étendue, propriétés subjectives et propriétés objectives. Le philosophe méthodique se passe fort bien des concepts d’esprit et de matière en général : au genre de la dissertation il substitue celui de l’enquête. Ce faisant, son examen minutieux des fonctions de la mémoire et du cerveau le conduit à quelques thèses étonnantes, que rien ne permettait de déduire a priori. La vie de la conscience n’est faite que de mouvements de spiritualisation et de matérialisation, de virtualisation et d’actualisation ; son activité s’organise sur une pluralité de « plans » différenciés par des degrés de tension ; le changement est plus réel que ce qui change (éléments, états ou formes) ; le passé se conserve intégralement « en soi » sous la forme du « souvenir pur », etc. Ce plan spéculatif que le lecteur découvre progressivement dans une atmosphère de roman fantastique, il n’y a pas d’autre choix que de l’atteindre, dans un premier temps, en suivant strictement le fil de l’expérience, mais aussi loin que possible, jusqu’au point de dégagement où e concentre le travail d’invention conceptuelle – le fameux « tournant » de l’expérience. C’est dire qu’il s’agit d’emblée d’une expérience élargie. William James prenait soin de préciser, au sujet de ferait droit à cette dimension de durée par lesquelles les choses se font, c’est-à-dire se créent, conformément à l’idée d’une « création continue d’imprévisible nouveauté » (p. 99). 3 Voir l’entretien du 13 juillet 1926 avec Jacques Chevalier in Jacques Chevalier, Entretiens avec Bergson, Paris, Plon, 1959, 75. 4 « Sans l’intuition comme méthode, la durée resterait une simple expérience psychologique » (Gilles Deleuze, Le bergsonisme, Paris, PUF, 1966, p. 25). 5 La valorisation de l’analyse comme travail de discernement et de différenciation ne contredit nullement la critique, menée par ailleurs, de la décomposition artificielle de l’expérience par l’intelligence fabricatrice. Il ne faut pas oublier, de façon générale, que « la dialectique est nécessaire pour mettre l’intuition à l'épreuve, nécessaire aussi pour que l’intuition se réfracte en concepts et se propage à d’autres hommes » (L’Évolution créatrice [1907], Paris, PUF, 2007, p. 239). Cette nécessité n’est pas seulement d’ordre pragmatique, elle touche à la nature même de cet exercice contrarié de l’intelligence que Bergson appelle « intuition ». L’ancrage expérientiel se traduit toujours, en fin de compte, par un travail sur les concepts, même si cela passe par une gymnastique spéciale, par des « assouplissements » qui leur permettront d’exprimer la différenciation intensive de tendances immanentes au réel. Plus profondément, l’intuition ne se fait et ne se conquiert qu’à travers des trames d’expérience qui impliquent déjà une mise en forme symbolique du donné. On comprendrait mal autrement la peine que Bergson s’est donnée pour préciser l’intuition philosophique au contact des sciences de son temps. Voir Camille Riquier, Archéologie de Bergson, Paris, PUF, 2009, p. 253 s, ainsi que Frédéric Fruteau de Laclos, « La philosophie analytique d’Henri Bergson », in Lire Bergson, C. Riquier & F. Worms (dir.), Paris, PUF, 2011. 3 son « empirisme radical » : rien que l’expérience, certes, mais pas moins que l’expérience. Toute l’expérience en somme – ou encore une fois, l’expérience intégrale. Cette disponibilité constante aux surprises du réel est la condition de toute création véritable dans le registre métaphysique. Précision, analyse, enquête : ces notions portent une idée de la philosophie que même les plus convaincus des bergsoniens ont du mal à soutenir en pratique, tant est forte la pression qui pèse sur chacun de produire une philosophie identifiable, susceptible de trouver sa place dans le jeu des systèmes disponibles. C’est que dans les conditions fixées par Bergson, il ne saurait y avoir de système que « par provision6 », le temps d’une question. Qu’il s’agisse là du contraire de l’amateurisme7, il est devenu difficile de l’entendre en un temps où la prolifération des petits systèmes a tendance à faire perdre de vue la question de la méthode mise en œuvre pour les produire. Chacun y va aujourd’hui de son « petit traité », offrant sous une forme apparemment modeste un condensé de vision du monde, un abrégé ludique des premières et dernières questions. Pourtant, même l’auteur d’une Petite métaphysique de la cigarette ou de Fragments d’une ontologie du poil a du mal à dissimuler, sous le choix d’objets dérisoires ou anecdotiques, l’ambition d’un système qu’il n’aura peut-être pas la force de produire mais qui reste, en dépit de toutes les déclarations tonitruantes sur la fin de la philosophie ou de la métaphysique, la norme par rapport à laquelle se définit son régime d’écriture aphoristique8. UNE METAPHYSIQUE OUVERTE, CONTEMPORAINE DES SCIENCES Soyons précis, puisqu’il faut l’être. Si l’on demandait ce que signifie, concrètement, de substituer la méthode au système, si l’on voulait définir en peu de mots les principes de la méthode bergsonienne, voici ce qu’il faudrait dire : cette méthode procède par uploads/Philosophie/ during-methode-ou-systeme-pour-une-metap 1 .pdf

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