Petite mise en perspective : note sur le concept de fonction par rapport à l’ex

Petite mise en perspective : note sur le concept de fonction par rapport à l’explication1 Dans les Règles de la Méthode Sociologique (RMS), le principe de causalité est à la fois le socle sur lequel s’assoient l’explication (ch. 5) et la logique de la preuve (ch.6) et ce qui permet à Durkheim d’opposer l’analyse idéologique (en gros la pure spéculation) et l’analyse scientifique. Le chapitre V développe la nature de l’explication à l’œuvre chez Comte et Spencer : que ce soit en privilégiant l’utilité des phénomènes sociaux (ce « à quoi ils servent », le « rôle qu’ils jouent »), ou en les constituant comme la réalisation d’une « tendance » historique (loi des trois états de Comte, évolutionnisme de Spencer), on met en avant la même logique d’explication, à savoir le finalisme. (subsomption sous une cause finale).Or, un argument central milite contre l’instauration d’un tel finalisme en sociologie : expliquer par une « tendance » ou une cause finale l’histoire des sociétés, c’est référer des effets à une cause inassignable, simplement postulée :2 « Cette tendance qui est censée être la cause de ce développement n’est pas donnée ; elle n’est que postulée et construite par l’esprit d’après les effets qu’on lui attribue. » Mais cela implique-t-il que le seul mode d’explication des faits sociaux soit le principe de causalité efficiente, selon lequel « la cause déterminante d’un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents » ? Aujourd’hui, l’antinomie classique « cause finale/cause efficiente » postule un univers homogène, soumis à une légalité unique et est fondée sur deux autres postulats : - causalité comme simple relation X =>Y 1 A l’aide de J.M.Berthelot, 1895 DURKHEIM. L’Avènement de la Sociologie scientifique, 1995, p.40 2 On finit par expliquer par une opération intellectuelle, un phénomène par ses effets, ce qui constitue une inversion totale du raisonnement causal classique en terme de « cause efficiente ». 1 Robert K.MERTON Eléments de théorie et de méthode sociologique 1949 (1etrad.1965) trad. Armand Colin par Henri Mendras, 1997 - relations « téléonomiques » reposant sur des finalités conscientes (le fait qu’un mécanisme soit régi par la relation finale qu’il entretient avec le système où il se trouve)3 : explication par les fonctions. Au moment historique où se trouve Durkheim, cette ouverture des formes d’explication n’est pas encore réalisée => il s’en tient à une causalité stricte (efficiente). Cependant, la « complexité » des phénomènes sociaux que Durkheim évoque à plusieurs reprises nécessite l’ouverture de l’analyse causale à d’autres types d’explication (par la fonction, par la concomitance des déterminants) : lorsqu’il s’agit d’appliquer le causalisme à l’explication des faits sociaux, il est en quelque sorte forcé d’y « intégrer l’analyse fonctionnelle et de que l’on pourrait appeler les prémices d’une analyse de système. »4. En effet, dans le chapitre V (consacré à l’explication des faits sociaux), Durkheim rejette toutes les formes d’explication finalistes au profit de la seule explication par les « causes efficientes »=> logiquement, une telle position devrait conduire à exclure l’explication par l’utilité ou la fonction, puisque ce qui définit ces dernières, c’est la fin qu’elles remplissent. Cependant, Durkheim admet ce second type d’explication, parlant même de « la dualité de ces deux ordres de recherche » ; malgré cela, sa démarche demeure cohérente pour 2 raisons : - Durkheim soumet l’explication par la fonction à l’explication par les causes, la définissant non seulement comme seconde en droit (« Il est naturel de chercher la cause d’un phénomène avant d’essayer d’en déterminer les effets »), mais comme n’étant qu’une extension du principe de causalité. - La nature du social implique un phénomène dont la causalité efficiente ne peut rendre compte : « L’harmonie de la société avec elle-même » La fonction d’un phénomène social ne peut suffire à rendre compte de ce qu’il est : ce n’est pas la fonction qui crée l’organe Une réalité sociale doit être référée « aux causes qui seules sont susceptibles de l’engendrer » et 3 La téléonomie concerne les systèmes . A distinguer de la téléologie (explication d’un phénomène par une cause finale autonome, individuelle : cf l’explication téléologique conf de L. Quéré) 4 Berthelot 1995 p.49 2 peut, selon la période historique « changer de fonction sans pour cela changer de nature ». Ce principe de l’antériorité de la cause sur la fonction est simultanément principe de la non-efficience de la fonction. En insistant sur ce point, Durkheim met en garde dès 1895, sur une dérive que connaîtra par la suite l’analyse fonctionnelle, qui se transformera souvent en fonctionnalisme en accordant la priorité au « pour que » sur le « parce que ». Ex : Malinowski, Radcliffe-Brown, que Merton critique dans son chapitre sur « l’analyse fonctionnelle », en cherchant explicitement à se faire l’héritier du sens durkheimien de la fonction comme méthode et non comme doctrine ou postulat (Merton p.67 et s.). Mais simultanément, l’analyse fonctionnelle est nécessaire lorsqu’il s’agit « d’expliquer un phénomène d’ordre vital ». L’argument de Durkheim est double : a) une fonction n’est rien d’autre que la « solidarité de la cause et de l’effet », i.e., l’action en retour de l’effet sur la cause, entraînant la persistance de cette dernière. Cette action en retour est déterminée par l’utilité de l’effet, car s’il était utile ou nuisible, il disparaîtrait => Merton reprend cet argument en développant la notion de fonction latente (un phénomène peut persister tout en semblant de prime abord inutile (« survivances » ou « inertie » Merton p. 112), car il remplit une fonction latente. b) la fonction est indissociable d’une théorie des systèmes : le social constitue un ordre de phénomènes du même type que le vivant, soumis à une règle d’équilibre interne, d’« harmonie » => s’impose l’explication par les fonctions : la fonction d’un phénomène est sa contribution au fonctionnement et à l’équilibre du système auquel il se rapporte. Sans système pas de fonction. Or, ou bien on conçoit le social sur le modèle du monde physique et la causalité efficiente peut suffire (à l’époque de Durkheim du moins où la physique reste encore mécanique), ou on le conçoit sur le modèle du vivant, et l’approche par les fonctions d’impose => dès lors, 2 voies s’ouvrent : - soit une rupture avec le principe de causalité (le finalisme des vitalistes en biologie, celui de Malinowski) 3 - soit une ouverture : Merton s’engouffrera dans cette brèche avec la distinction fonction manifeste/fonction latente Ex. p.112 Merton : les cérémonies Hopi destinées à obtenir une pluie abondante sont taxées de pratique superstitieuse d’un peuple primitif. « Cela n’explique nullement le comportement collectif. C’est une simple étiquette : on remplace l’analyse du rôle effectif de ce comportement dans la vie du groupe par l’épithète superstition. Le concept de fonction latente […]nous suggère que ce comportement peut remplir des fonctions pour le groupe, il est vrai assez éloignées du but avoué du comportement. » Pour Merton, trois étapes mènent à l’attention portée à la fonction latente : - cette pratique est destinée à produire un objectif que la science physique dirait irréalisable par ce moyen : il n’y a pas de causalité efficiente entre la cérémonie et la pluie. - Une analyse à la Malinowski s’attacherait aux seules fonctions manifestes, à savoir le lien entre le but et les conséquences réelles de la cérémonie sur les phénomènes météorologiques et en déduirait que le comportement collectif n’atteint pas son but (ce qui arrive souvent). « Si l’on se limitait au problème de savoir si la fonction manifeste est réalisée, on raisonnerait en météorologue et non plus en sociologue. » - Le concept de fonction latente permet de dépasser « la question de savoir si le comportement atteint son but avoué » et d’envisager précisément les effets en retour de la cérémonie sur la cohésion du groupe. « Comme Durkheim, parmi d’autres, l’a montré, il y a longtemps, de telles cérémonies sont des moyens d’expression collective de sentiments qu’une analyse plus poussée trouve à la source du groupe ». Cependant, lorsque le comportement n’a pas objectif clairement inaccessible, les sociologues sont moins portés à rechercher ses fonctions « latérales ou latentes ». 4 INTRODUCTION « Ecrites d’abord une à une, les études qui constituent cet ouvrage ne lui étaient pas destinées. Deux soucis nous ont guidé en les rassemblant ici : l’influence réciproque que la théorie et la recherche empirique exercent l’une sur l’autre, le besoin de codification tant de la théorie en tant que telle que des procédures de l’analyse, et tout particulièrement de l’analyse qualitative. » Histoire et systématique de la théorie Ce livre traite non pas de l’histoire de la théorie sociologique mais de la systématique de certaines théories qui servent aujourd’hui de bases provisoires aux travaux des sociologues=> définition très poppérienne de la sociologie : les deux ont trop souvent été confondues alors qu’elles se distinguent par leur degré de scientificité : la théorie sociologique systématique (définie dans les 2 premiers ch.) « n’est qu’une sélection rigoureuse de tous les essais antérieurs uploads/Philosophie/ elements-de-sociologie-merton-1949.pdf

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