RAYMOND ABELLIO ET LA CONVERSION DE LA SCIENCE Résumé : Nous allons tout d’abor

RAYMOND ABELLIO ET LA CONVERSION DE LA SCIENCE Résumé : Nous allons tout d’abord analyser le rôle qu’Abellio attribue à la science moderne dans le renouvellement de la philosophie et la formulation de la nouvelle Gnose : la nouvelle Gnose est indissociable de l’apparition d’une nouvelle rationalité. Nous allons ensuite discuter quelques aspects contemporains de la réalisation du projet abellien : le rapport entre interdépendance universelle et causalité cosmique, la relation entre la logique de double contradiction et la logique de tiers inclus, le rôle des dimensions supplémentaires de l’espace­temps. Fondés sur la réfutation quantique de la rupture épistémologique entre Sujet et Objet, nous concluons par l’analyse du caractère transdisciplinaire du passage d’une philosophie du concept à une philosophie de la conscience. 1. Introduction : Pourquoi Abellio s'est­il intéressé à la science ? La science occupe certainement une place importante dans l'œuvre d'Abellio. La simple constatation de sa formation de polytechnicien ne saurait expliquer le sens de cet intérêt. Ce sens ne peut être trouvé qu'en interrogeant le cœur de sa démarche philosophique, c'est­à­dire la structure absolue. Ce qui frappe tout d'abord, sur un plan superficiel, c'est la critique acerbe de la science, dans une dualité parfois trop affirmée entre science et connaissance : "La science occupe l'hémisphère du bas, elle est multiple ; la connaissance, l'hémisphère du haut, elle est une et 1 unifiante" ­ écrit Abellio dans Approches de la nouvelle gnose (ANG, 33). Pour lui "La science est réductrice, la gnose est intégratrice." (EMT, 52) Le pêché capital de la science est inévitable, car il est inscrit dans sa propre méthodologie : "Du fait qu'elle recherche l'efficacité avant tout, la science est obligée d'établir des divisions, elle distingue le vivant et le non­vivant, l'organique et le minéral. La connaissance n'accepte pas ces séparations. Pour elle, il y a de la vie et de la conscience partout, même dans la plus petite quantité de matière et jusque dans le caillou du chemin." (ANG, 13) Une interprétation fulgurante du théorème de Gödel lui permet d'affirmer dans son Journal de 1971 Dans une âme et un corps : "Mais, même si la science à venir progresse, comme il est normal, de façon "constructiviste"... jamais le "supérieur" n'y pourra être expliqué par l'"inférieur". (C'est au fond le sens du théorème de Gödel)." (DAC, 107) Mais la critique de la tradition ou des traditions est tout aussi acerbe. Dans "Journal intérieur", revue du Centre d'Études Métaphysiques, Abellio écrit : "Au nom de la sagesse de l'ancien Orient, la plupart des "ésotéristes" se livrent aujourd'hui à des agressions systématiques contre la science occidentale. C'est peu de dire que cette position est réactionnaire. Même dans sa superstition du quantitatif, la science occidentale possède un sens." (JI4, 3) Le remarquable logicien, philosophe des sciences et métaphysicien Jean Largeault (1931 ­1995), membre du CEM, exprime une position identique : "Ce serait en effet une aberration que de croire que le seul maniement de ces traditions puisse assurer un salut ou une connaissance supérieure à celle que fournit effectivement la pratique de la logique, des mathématiques et des sciences positives. L'ésotérisme ne peut que faire l'objet du même effort d'historialisation auquel nous avons à soumettre tous les autres faits de l'histoire. Sinon et faute d'être compris de cette façon, il se pose comme une négation de l'originalité de l'Occident." (RACH, 382­383 ­ Jean Largeault, De la constitution du CEM, Journal intérieur du CEM, no 5, février­mars 1955) Abellio est lucide quant à l'enjeu du conflit entre la science et la connaissance : "Pour la gnose, on rencontre ainsi le conflit de la science et de la connaissance ou, si l'on préfère, la dialectique du local et du global qui fait tout le cheminement de l'épistémologie, avec sa 2 génétique du dépassement qui se résout dans la présence perpétuellement intensifiée de l'indépassable." (RACH, 25 ­ Raymond Abellio, Le postulat d'interdépendance universelle) Pour Abellio c'est la philosophie d'Husserl qui peut fournir une solution de ce conflit. Dans L'esprit moderne et la Tradition, longue préface au livre de Paul Serant Au seuil de l'ésotérisme, il écrit : "Contemporaine de la crise des sciences occidentales, la révolution husserlienne marque pour l'Occident un renouvellement radical quant à l'étude du fondement de ses sciences et à l'exercice des pouvoirs de l'esprit, et son importance ne saurait être comparée qu'à celle de la révolution cartésienne et galiléenne dont elle accomplit et subvertit le sens... ; ... cette phénoménologie... se veut science des sciences, philosophie des philosophies, science du commencement radical de la connaissance." (EMT, 69­70) Abellio ne méprise ni la science ni la technique ni la modernité : "Aussi, pour m'en tenir au problème du progrès, me bornerai­je ici à poser mon propre problème, qui n'est pas de porter sur le "progrès" un jugement de valeur, ­ qui impliquerait qu'un choix est à faire entre le progrès et la Tradition, ­ mais de situer les champs respectifs de la technique et de la gnose et de montrer comment ces champs respectivement s'intègrent l'un dans l'autre, chacun irremplaçable et nécessaire dans son ordre." (EMT, 75) C'est finalement la structure absolue qui va lui fournir la clef de la jonction entre science et connaissance : "Notons d'abord que la multiplication indéfinie des outils occupe l'hémisphère du bas (en phase 5, incarnation, descente de l'esprit au service de la vie, ce que la tradition nomme les "petits mystères") tandis que l'intensification indéfinie des sens occupe l'hémisphère du haut (phase 6, assomption, montée de la vie au service de l'esprit, ce que la tradition nomme les "grands mystères"). En bas, les sciences, au pluriel, en haut, la connaissance, au singulier, au centre la conscience. Le centre est perpétuellement germinatif : la conscience devient de plus en plus intense, elle tourne, si l'on veut, de plus en plus vite et établit de plus en plus de rapports de mieux en mieux chargés de sens." (RACH, 149 ­ Raymond Abellio, Fondements d'esthétique ­ "Structure absolue" et double dialectique) C'est le centre de la sphère de la structure absolue qui permet l'unification, dans leurs différences, entre la science et la connaissance. Ainsi, la Tradition elle­même sera renouvelée, éclairée, 3 intensifiée pour permettre "la future pentecôte" : "... une autre voie se dessine, celle­là de l'intérieur même de l'Occident, pour tous ceux qui vivent la crise de nos sciences et de nos philosophies et épuisent cette crise par son paroxysme même. Pour ceux­là, il s'agit moins de mettre en cause les produits de la science, ­ ce qui est une attitude négative, ­ que de procéder à l'élucidation positive de ses fondements. Pour ceux­là, la connaissance des enseignements de la Tradition, si érudite et rigoureuse soit­elle, exige d'être fondue dans la matière de leur expérience particulière d'Occidentaux, et tout annonce que la Tradition, à son tour éclairée du dedans, en recevra l'expression nouvelle la mieux adaptée au pouvoir de conversion qu'elle doit exercer dans la future pentecôte." (EMT 77) Dans Visages immobiles il est dit qu'on arrivera "... se convaincre un jour (qui sera un grand jour) de la convergence de sa science profane et de la connaissance sacrée." (VI, 20) Le concept majeur qui permet la compréhension du rôle de la science est celui de transfiguration. Pour Abellio, il ne fait pas de doute qu'il y ait "... la présence nécessaire, dans tout phénomène de transfiguration, des essences du bas, les plus basses, les moins reliées, les moins intégrées." (ANG, 28) Reste à savoir quelle était la compétence d'Abellio pour comprendre le mouvement intérieur de la science. Sa formation de polytechnicien l'aidait certainement à se tenir au courant de l'avancée de la science, mais son absence de pratique en tant que scientifique constituait un handicape qu'Abellio analyse lui­même avec lucidité : "Je n'ai au contraire jamais repris mes notes concernant la cosmologie et l'épistémologie dont je m'aperçus assez vite qu'il m'eût fallu, pour les compléter, un effort considérable, un véritable "ressourcement" mathématique qui exigeait sûrement, à ce niveau, un talent que je ne possédais pas, sans compter que je n'étais plus, à ce moment, intellectuellement disponible. Eu égard aux énormes progrès survenus depuis trente ans dans la logique symbolique et à l'apparition presque incessante de nouvelles propositions cosmologiques, la plupart de ces textes sont aujourd'hui fort anachroniques." (RACH, 26­27 ­ Raymond Abellio, Le postulat d'interdépendance universelle) Abellio est contraint à se fier aux informations que les différents scientifiques lui donnent et parfois ses sources sont douteuses. Par exemple, il cite souvent le livre de 4 Raymond Ruyer La gnose de Princeton (EC,123 ; MNG, 59 ; PG, 209 ; RACH, 135, 152). Or, cette "gnose de Princeton" n'a jamais existé. Elle n'est qu'un canular de normalien. Abellio se soumet à son destin, conscient de l'immense difficulté de la voie qu'il a choisie. Un passage émouvant de Dans une âme et un corps est, dans ce sens, éclairant : "Ainsi, peut­être, suis­je en train à soixante­trois ans de découvrir la vraie finalité de mon destin et de comprendre pourquoi je me trouvais forcé, à l'orée de ma vie, tout mon être blessé uploads/Philosophie/ basarab-nicolescu-raymond-abellio-et-la-conversion-de-la-science.pdf

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