1 Bac philo (4/4) Dissertation : Peut-on soutenir que la vérité n’existe pas ?

1 Bac philo (4/4) Dissertation : Peut-on soutenir que la vérité n’existe pas ? Marie Perret, professeur au lycée Richelieu (Rueil-Malmaison) Sommaire Introduction p.1 1. Première partie : nous supposons que la vérité existe. p.2 1.1. Les raisons pour lesquelles la proposition est paradoxale. p.2 1.2. Les critères du vrai. p.4 2. Deuxième partie : De quels arguments la proposition « la vérité n'existe pas » se soutient-elle ? p.5. 2.1. Le « fétichisme » du langage. p.5 2.2. L'impossibilité de vérifier l'adéquation entre nos représentations et le réel. p.6 2.3. Il est impossible de prouver quoi que ce soit. p.6 3. Troisième partie : « La » vérité n'existe pas, mais il y a « des » vérités. p.7. 3.1. Critique du relativisme p.7 3.2. Critique du scepticisme p.8 3.3. Aucune vérité n'est « la » vérité. p.8 Conclusion : La vérité comme idéal asymptotique p.9 Texte 1 lu (Sextus Empiricus) p.11 Texte 2 lu (Einstein et Infeld) p.12 Texte Epictète p.13 Texte Nietzsche p.14 Introduction Analyse du sujet. Il est demandé, non pas d'examiner si la vérité existe ou non, mais si l'on peut soutenir que la vérité n'existe pas. On peut, bien entendu, toujours affirmer une telle thèse. Mais peut-on la soutenir ? Si oui, en quel(s) sens ? La proposition n'est-elle pas en effet plurivoque ? Par ailleurs, est-elle fondée ? Repose-t-elle sur des arguments solides, convaincants ? Ces arguments résistent-ils à la réfutation ? Le sujet m'invite donc, en amont, à examiner le bienfondé de la thèse selon laquelle la vérité n'existe pas. Mais le sujet m'invite aussi à me demander, en aval, si je peux soutenir cette thèse complètement et jusqu'au bout : 1. Complètement : ne faudrait-il pas distinguer des domaines où la vérité existe, où il est possible de l'atteindre, des domaines où elle n'existe pas, où, en tous 2 cas, nous n'avons aucun moyen de la déterminer ? 2. Jusqu'au bout : il faut examiner si elle est tenable, s'il est possible d'en assumer les implications, à la fois logiques, épistémologiques et morales. Pour quelles raisons la question mérite-t-elle d'être posée ? Qu'est-ce qui justifie qu'on la pose ? Partons de l'expérience que nous avons de la vérité : si la question mérite d'être posée, c'est parce que nous considérons spontanément que la vérité existe, qu'il y a des propositions vraies et des propositions fausses, qu'on ne peut pas dire n'importe quoi de n'importe quoi, qu'il existe des savoirs qui ne se réduisent pas à de simples croyances. Mais, d'un autre côté, nous faisons constamment l'expérience du doute : nous constatons que nos convictions sont changeantes, nous voyons que même les savoirs qui semblent les plus solides peuvent être réfutés, que les vérités d'hier ne sont pas nécessairement les vérités d'aujourd'hui. Face à ces constats, ne doit-on se résoudre à l'idée que la vérité n'existe pas ? Qu'elle n'est qu'une chimère, une idée qui n'existe que dans notre imagination, un idéal qu'il est vain de chercher à atteindre ? On trouve, dans la tradition philosophique, un courant qui ébranle cette croyance naïve en l'existence de la vérité, qui établit les raisons pour lesquelles nous ne pouvons déterminer le vrai avec certitude : il s'agit de la philosophie sceptique, qui conclut à l'impossibilité d'atteindre la vérité. Faut-il donner raison au scepticisme ? Faut-il renoncer à la rechercher et borner notre recherche à ce travail négatif qui consiste à exhiber les raisons pour lesquelles il est vain de la rechercher ? ->Nous voulons établir qu'il est possible de soutenir que la vérité n'existe pas, au sens où il n'existe pas de vérité absolue. La raison peut toutefois découvrir des vérités lorsqu'elle vise la vérité. « La » vérité n'est donc pas une chimère, mais une idée régulatrice féconde. 1. Première partie : Nous supposons que la vérité existe. 1.1. Les raisons pour lesquelles la proposition est paradoxale. La proposition « la vérité n'existe pas » heurte-t-elle nos convictions spontanées ? Il semble que oui. Soutenir que la vérité n'existe pas paraît, au premier abord, surprenant : cela ne va pas du tout de soi. Il y a là comme une provocation (Si le sujet n’était pas provocant, il serait ainsi formulé : «peut-on soutenir que la vérité existe ? » ). Cette proposition est, au sens étymologique du mot, paradoxale, elle va à l'encontre de l'opinion commune. Pourquoi ? a. Nous considérons spontanément que nous pouvons être vrais, du moins dans certaines 3 circonstances. Si la vie sociale nous impose des codes qui nous empêchent d'exprimer notre spontanéité, qui nous empêchent d'être authentiques, dans la cadre protégé de l'intimité, nous pouvons être vraiment nous-mêmes, sans craindre le regard social. D'où le caractère insoutenable d'une telle proposition : si la vérité n'existe pas, alors notre existence est condamnée à l'inauthenticité. Nous ne pouvons jamais être vrais ! Il nous devient impossible d'ôter le masque. Et nos rapports avec autrui se réduisent à un jeu de rôles, dans lequel la personne n'est qu'un personnage. b. Nous considérons spontanément que nous pouvons dire la vérité. Non seulement nous le pouvons, mais nous le devons. Mentir revient à tromper autrui en connaissance de cause. Il y a ainsi de vrais et de faux témoignages : le témoin qui ment cache sciemment la vérité aux autres. De là découle le caractère intenable de la proposition selon laquelle la vérité n'existe pas : elle autorise chacun à dire n'importe quoi. Mais tout le monde peut dire n'importe quoi, alors il devient impossible de rendre justice. Le serment d'un témoin n'a plus aucune valeur. c. Nous considérons par ailleurs qu'il existe des vérités empiriques que l'on peut difficilement nier : ces vérités sont des jugements que je forme à partir des informations qui me sont livrées par mes sens : qui songerait à nier que le feu brûle, que le jour succède à la nuit, que le ciel est constellé d'étoiles ? Soutenir que la vérité n'existe pas revient à nier l'évidence de ces vérités qui, pourtant, « crèvent les yeux » ! d. Nous considérons que les sciences nous permettent de dépasser les apparences pour connaître la véritable nature des phénomènes. Elles nous permettent aussi d'expliquer les apparences, de déjouer les illusions sensibles. Parce que les sciences mettent en évidence les causes qui déterminent les phénomènes, elles permettent des prédictions exactes et des applications techniques « qui marchent ». De là découle, une fois de plus, le caractère intenable de la proposition : soutenir que la vérité n'existe pas conduit à invalider les sciences, à mettre fin aux progrès scientifiques et technologiques. e. Nous faisons l'expérience de notre capacité à déterminer le vrai grâce à nos facultés rationnelles, au moyen, par exemple, de la démonstration : par exemple, lorsque je résous une équation en mathématiques, je détermine la valeur que doit prendre l'inconnue pour rendre l'égalité vraie. Je pars du principe qu'il y a donc une valeur vraie, qui vérifie l'égalité, et des valeurs fausses. Le résultat d'un calcul, en arithmétique, peut être vrai ou faux. C'est la raison pour laquelle, lorsque j'ai réalisé le calcul, je vérifie mon résultat. Mais si la vérité n'existe pas, la raison, du même coup, se trouve condamnée à l'impuissance. Soutenir que la vérité n'existe pas revient à renoncer à faire usage de nos facultés rationnelles, et à justifier la paresse intellectuelle. 4 1.2. Les critères du vrai. a. Une définition minimale de la vérité : Nous considérons donc spontanément que « la vérité existe ». Mais qu'entendons-nous au juste par « la vérité » ? Nous en retenons, généralement, une définition minimaliste : la vérité est ce qui est vrai. Cette définition peut sembler très pauvre, voire tautologique. Elle est en fait celle que formule la doctrine classique de la vérité. La vérité n'est rien d'autre que la propriété de ce qui est vrai. Une telle définition suppose que la vérité n'existe pas sans un « dire », qu'elle n'existe que par le langage. Pour que la question de la vérité se pose, il faut des êtres parlants qui affirment quelque chose à propos de quelque chose. En ce sens, la vérité n'est pas la réalité. La réalité existe toute seule, si l'on peut dire, elle existe sans nous ; mais la vérité n'existe qu'à partir du moment où un être parlant en dit quelque chose, dès lors que nous parlons et que nous nous parlons. b. La vérité comme adéquation. Pour savoir si un « dire » est vrai, nous n'avons pas d'autre manière de faire que de vérifier qu'il correspond bien à ce dont il parle, s'il est conforme, ou adéquat, à autre chose que lui-même, c'est-à-dire à ce sur quoi il porte. On aura reconnu la définition classique de la vérité comme adéquation (« adaequatio rei et intellectus »). c. Les critères qui permettent de vérifier l'adéquation. Mais encore faut-il que nous ayons les moyens de vérifier la concordance, l'adéquation entre nos « dires » et le réel. Mais comment le vérifier ? Quels sont ces critères ? 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