1 Guide méthodologique pour l'élaboration d'une situation-problème Philippe MEI
1 Guide méthodologique pour l'élaboration d'une situation-problème Philippe MEIRIEU. In. Apprendre… oui, mais comment ? Editions ESF 1987 Pour visiter le site de Philippe Meirieu: http://meirieu.com/index.html Les enseignants, comme les formateurs, se méfient des recettes. Et, sans doute, ont-ils raison. Car, de toute évidence, aucune situation d'apprentissage n'est totalement reproductible puisqu'elle met en jeu des individus dont l'histoire intellectuelle n'est jamais en tous points identique, dont la situation présente est tributaire de multiples données, physiologiques, psychologiques, sociologiques, et dont les projets personnels ne peuvent converger que très provisoirement... Il est donc sage de ne pas chercher de solution universelle. Mais faut-il, pour autant, renoncer à bâtir des modèles ? La chose serait risquée et peut-être même impossible. Pouvons-nous agir sans modèle, c'est-à-dire sans un outil qui nous permette de nous saisir du réel ? Que pourrions-nous faire si nous n'étions capables de sélectionner quelques informations pertinentes dans la masse des stimuli qui nous arrivent, de repérer les éléments sur lesquels nous décidons d'agir, d'organiser nos interventions, de finaliser l'ensemble de nos activités à partir d'une représentation que nous nous donnons du « réel » ? La réalité humaine est trop complexe pour que nous puissions y agir sans la réduire... même si nous devons toujours veiller à ne pas abolir par décret ce que nous nous trouvons contraints d'ignorer provisoirement et méthodologiquement. Le totalitarisme, en effet, n'est rien d'autre qu'une pensée incapable de se comprendre elle-même comme « appauvrissement méthodologique de la réalité » et qui, ne pouvant supporter l'existence de ce qu'elle a décidé de ne pas prendre en compte, cherche à la réduire, voire à l'anéantir. Et la pédagogie n'échappe pas à cette règle. Elle fait même une grande consommation de « modèles » : la classe en « collectif-frontal » en est un exemple, comme l'enseignement programmé, le travail libre en petits groupes, la pédagogie du projet ou la pédagogie par alternance'. Chacun de ces modèles positionne les différents partenaires, utilise des informations différentes pour améliorer sa gestion (ce qu'il faut savoir des élèves, des contenus, de l'environnement socio-économique n'est évidemment pas identique dans chaque cas de figure) ; chacun suggère plutôt tel ou tel type d'intervention pour en réguler le fonctionnement (on n'intervient pas de la même 2 manière avec une classe de trente élèves qui doit écouter un cours, un groupe de quatre qui doit réunir un dossier documentaire, une série d'élèves devant des ordinateurs ou une équipe qui revient d'un stage sur le terrain) ; chacun de ces modèles, enfin, suggère plutôt l'usage de tel ou tel type d'outil, oriente vers tel ou tel type d'architecture scolaire, etc. Nous avons besoin de ces modèles pour agir, car c'est à partir d'eux que nous effectuons nos choix ; sans eux nous serions livrés à un empirisme radical, à supposer encore que celui-ci soit possible et qu'un modèle n'y soit pas présent à notre insu. De plus, en nous assignant ce que nous devons prendre en compte, un modèle nous désigne ce que nous devons ignorer ; chacun d'entre eux ne représente qu'une « prise » sur la chose éducative, parmi beaucoup d'autres, et seule la conscience de cette partialité peut nous sauver de cette forme larvée du totalitarisme en éducation qu'est le dogmatisme. Est-ce à dire alors que tous les modèles se valent et qu'il suffit d'en avoir un ? Certes, non ! Mais ce qui permet de choisir parmi ceux-ci ne tient pas, comme on l'a dit trop souvent, à leur inégale scientificité. Aucun de ces modèles pédagogiques n'est véritablement déductible d'une théorisation psychologique ; ils sont tous le fruit de l'inventivité didactique des hommes ; ils organisent de manière relativement originale et efficace tout un réseau de contraintes et de ressources institutionnelles et méthodologiques. Chacun d'entre eux se nourrit, certes, des recherches effectuées en sciences humaines, mais aussi et surtout chacun d'entre eux est porteur d'un certain projet pour l'homme, s'articule à une certaine conception du sujet apprenant au nom de laquelle il décide d'utiliser plutôt tel ou tel exemple, de mobiliser plutôt tel ou tel éclairage théorique. La validité d'un modèle tient, en réalité, à trois éléments indissociables : la qualité du projet éthique qui l'inspire (ce que l'on voudrait que le sujet apprenant soit), sa conformité - ou, au moins, sa non-contradiction - avec les apports des sciences humaines (ce que l'un sait du sujet tel qu'il est) et la fécondité de sa démarche (ce que l'on peut faire avec lui pour que le sujet tel qu'il est devienne ce que l'on voudrait qu'il soit). C'est dans cette perspective que nous proposons un modèle d'organisation de l'enseignement à partir de la notion de situation-problème. Nous ne prétendons pas que l'on ne puisse pas apprendre autrement, mais nous disons que l'on peut apprendre ainsi et que, en apprenant ainsi, on fait un peu plus qu'apprendre. Nous ne prétendons pas réduire à néant toutes les autres approches ni interdire d'autres recherches, mais nous croyons que, pour le moment, cette manière d'apprendre est la plus conforme au projet que nous avons pour le sujet apprenant : son intérêt y est mobilisé par une « énigme » et non renvoyé à un désir préexistant ; il y est explicitement placé en situation de construction de ses connaissances ; il y est proposé une tâche dont la structure permet à tous les participants d'effectuer les opérations mentales requises ; on y respecte le cheminement de chacun sans, pour autant, 3 renoncer à des objectifs communs d'instrumentation intellectuelle ; on y identifie les résultats obtenus en termes d'acquisition personnelle et on s'efforce de les détacher des conditions de leur apprentissage ; on y intègre un travail métacognitif en mettant en rapport régulièrement les résultats acquis et les procédures utilisées. En d'autres termes, on y apprend de quoi comprendre le monde ; on s'y construit autant que l'on construit son propre savoir ; on s'y construit autonome. 1. le principe : « toute leçon doit être une réponse » J.DEWEY Si nous nous interrogeons sur ce qui, dans notre trajectoire personnelle, a été réellement formateur - ce qui nous a permis do: restructurer notre système de représentations, a enrichi de manière décisive notre conception des choses, nous a engagé à modifier notablement nos pratiques -, nous découvrirons sans doute qu'il s'agit d'étonnantes correspondances, de conjonctures favorables où un élément d'explication, un apport théorique, un outil ou une méthode de travail sont venus répondre à une question ou à un problème que nous nous posions, combler en nous un vide qui nous apparaît maintenant avoir été prêt à les recevoir. Certes, nous avons toujours la tentation de reconstruire a posteriori une continuité qui n'était peut-être pas aussi précise dans l'instant ; il n'en reste pas moins vrai, et nous en faisons l'expérience chaque jour, que nous n'intégrons un élément nouveau que si celui-ci est, d'une manière ou d'une autre, une solution à notre problème ; nous nous approprions vraiment un apport formatif grâce à l'utilisation finalisée que nous en faisons. Observons, par exemple, cet adolescent qui vient d'acquérir une calculatrice sophistiquée : chaque touche y a plusieurs fonction-, et son usage en est assez complexe pour justifier l'existence d'un épais mode d'emploi de plus de cinquante pages. Comment procède-t-il ? Il consulte d'abord le minimum de consignes, celles qui lui permettent d'engager très vite la manipulation de l'appareil et il s'essaye alors à des opérations qui lui paraissent accessibles. Il interrompt celles-ci de temps en temps, quand il rencontre un problème qu'il ne peut résoudre seul, pour aller consulter le mode d'emploi. Les explications qu'il y trouve viennent alors combler un vide ouvert par sa pratique, elles peuvent être véritablement intégrées parce qu'il leur est maintenant devenu disponible. Certes, il restera à effectuer un entraînement systématique pour les réaliser avec un minimum d'investissement ; mais, ce qui serait apparu tout à l'heure comme l'acquisition stérile d'un mécanisme, devient une nécessité, qui peut rester fastidieuse mais qui a, au moins, un sens pour le sujet. L'intégration réalisée ainsi ne marque d'ailleurs pas l'arrêt du processus d'apprentissage, elle permet, au contraire, de reprendre la manipulation et de se trouver confronté à de nouveaux problèmes qui appelleront de nouvelles explications et de nouveaux entraînements. L'on s'achemine ainsi vers des 4 savoirs de plus en plus élaborés, dégagés des supports concrets, construits sur des problèmes qui se posent progressivement en termes plus abstraits, voire strictement conceptuels. Une pédagogie des situations-problèmes devra donc s'efforcer de mettre en place des dispositifs où s'articulent explicitement problèmes et réponses, où les réponses puissent être construites par les sujets et intégrées dans la dynamique d'un apprentissage finalisé. Une pédagogie des situations- problèmes est, au sens que L. LEGRAND avait donné à cette expression, une « pédagogie de l'étonnement » : « L'explication ne vaut rien sans le besoin qui l'appelle et qui lui donne son sens (...). La véritable pédagogie explicative n'est pas l'enseignement des explications mais la culture, nous allions dire le culte, des besoins d'explication ». Une pédagogie des situations-problèmes est, enfin, selon la belle expression uploads/Philosophie/ guide-me-thodologique-pour-l-e-laboration-d-une-situation-probleme.pdf
Documents similaires










-
38
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 08, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1848MB