L e regard n'est pas neutre. 11 compose autant qu'il enregistre, surprend autan
L e regard n'est pas neutre. 11 compose autant qu'il enregistre, surprend autant qu'il observe. Nous perdons vite l'illusion de la transparence. Déja, l'étymologie ne nous laisse aucun doute a ce sujet, pas plus que le riche para digme lexical du voir et du regarder. L'espion se cache pour voir sans etre vu. Autre chose 1 est de regarder sur le mode « naturel » du gros-plan ou de la vision lointaine (télé-vision ou télé-objectif) a 1'entour par « circonspection » ou a travers par « perspicacité », de haut en bas par « dépit » ou avec le recul de « 1'expectative ». Car il y a du prédateur dans l'animal humain. Un regard inquisiteur n'est pas un regard « sidéré » ou fasciné. 11 ne revient pas au meme de « spéculer » comme un esprit contemplatif, de surveiller ou d'épier 1'inti mité d'autrui comme un voyeur meurtrier, de regarder un « suspect » par dessous ou en dedans par « inspection » ; de s'attacher aux apparences les plus « spécieuses » ou de les démasquer en démontant les évidences. Se mettre au dedans n'est pas rester a distance en adoptant telle «perspective », etc. Et comment confondre un regard serein qui s'attarde a considérer ou a détecter, avec un regard mobile qui tranche enfin (sectare, spectare) par une sorte de coupure fondatrice ? Certains dévorent des yeux ou vous tiennent sous leur regard comme on tient en joue. Autres fa<;ons du regard, autres postures de vision, autres dispositifs, voire autres machines: d'autant vont différer les aspects remarqués. Allons plus loin : un autre visible apparait. Ce qui commence a déplacer la question classique des rapports du visible et de 1'invisible. Une multi-dimensionnalité qu'entérine le retour au code lexical des richesses de la pensée conquérante. Les aspects ? On les remarque lorsque le regard se porte en avant (ad-spicere), pour voir la surface des etres et des choses, leur dehors qui s'offre aux yeux en de certaines conditions. Deux points seront soulignés : 1. Un regard qui scrute et se porte en avant, interroge. Comment regarder sans croire ? Question trop étroite. Si regarder c'est garder, tenir a l'<Eil, com 1. O. Vallel sollicile les branches laline el grecque de la racine indo-européenne speck. Cí. « l'Éveque elle magnéloscope", Cahiers de médiologie nO 1, Gallimard, 1996, p. 114-153. 11 ------ -- ---- - v _. -- --- ----- r . -"'1.- _ .._ L.A. L_ : _ J L"""".I..I.VÓ~.I.· ......,~, l'on ne parle et l'on ne fait voir qu'en perspective. A quelle profondeur faut-il chercher la signature formelle propre a la perception, la compétence du spec tateur et sa liberté d'exercice ? 11 est indéniable qu'au cours de larges périodes historiques, en meme temps que la forme de vie des collectivités humaines, leur mode de perception sensorielle change. Les bouleversements sociaux, les entreprises de la connaissance et de la puissance trouvent leur expression dans des transformations qui atteignent la perception. Mais nous entendons ici réfléchir a la remarque d'aspect selon des canditians massives, d'ordinaire sous-évaluées : interrogatives, catégoriales, textuelles. Indissociables, elles suscitent le travail configurateur de l'imagina tian, quand illeste le per<;u. On les surprend en train d'inventer des versions de monde, on les soupt;onne a l'origine des grandes voies de l'imaginaire - féerique, fantastique, merveilleux, miraculeux 2 - et sans doute de leur proximité ultime. Ce genre de contraintes appartient a l'archéologie trans cendantale des ordres du visible. 2. Les aspects remarqués se regroupent et varient de fat;on solidaire. Selon qu'ils sont prescrits par un protocole d'expérimentation scientifique, une comparution lors d'un proces aux assises, une mise en scene théiHrale, un dispositif télévisuel ou muséographique, un spectacle de danse, une pré sentation pédagogique, un rituelliturgique, etc. Rien que le cinéma produit une foule, une meute d'images 3. Plus radicalement la pensée interrogative avec sa compétence multiple est un puissant facteur de regroupement. Ressort prafond de la cognitio, ses variétés rassemblent sur leur plan respectif des multiplicités subordonnées, dont une taxinomie est sans doute possible. Prenant la mesure d'une disparité originaire, nous mettons a l'épreuve deux hypotheses qui ont été justifiées ailleurs : d'abord, la reconquete de la préméditation catégoriale sur la saisie a l'aveuglette. Si elle impregne la langue naturelle c'est qu'elle vit de ses rapines dans les grands textes, et de leur retour au codeo De la elle informe en profondeur les images, au point que c'est la simplicité du regard qui devient problématique. Ensuite, nous avans cru préférable d'étendre et de diversifier plut6t que de restreindre l'éco nomie de la catégorisation humaine. D'autant que la question, sinon son éla boration sont fort anciennes. Tres t6t Aristote y insiste, l'etre ne se donne jamais comme tel, mais tou jours sous les aspects différents que viennent accuser des catégories. Notre vision n'est pas sourde et muette. Inversement, ce que nous entendons, notre discours est capable de nous faire voir. Un logos apophantikos est un discours qui montre, qui manifeste, mais d'abord qui inventorie en catégorisant 4. 2. V.-H. Debidour, Saveur des ¡eUres. 3. J.-L. Leutrat, id meme. 4. Il est permis de regretter que les traductions médiévales du Peri hermeneias aient traduit apaphansis par aratia et non par prapasitia. Boece, pour son compte, hésite entre enuneiatia et prapasitia. 12 ............. ....... r--- v l'etre, une problématique de la catégorisation multiple distribue le fameux pol lachas legetai lui-meme en plusieurs sens. Dans un texte tres dense des Ennéades (VI, 1, 1), Plotin reconnait a ceux qui divisent l'étant en dix le mérite de briser la totale univocité de l'etre. Mais ce qui lui importe est de savoir si elles s'appliquent au seul sensible, ou a l'intelligible aussi bien. Pour un plato nicien, la non-univocité des catégories se situe justement a la difficile jonction des deux mondes, de telle sorte qu'il faudrait en multiplier le nombre, a com mencer par la catégorie meme d'ousia puisqu'il serait absurde de la prendre sunanumas ici et la 5. Dans le présent travail, je propose de comprendre : 1. Que si la voix se rend visible, c'est qu'en elle opere l'interroger selon tout un travail catégorial. Nouveauté : il convient de le diversifier 6 jusqu'a faire apparaitre d'autres visibles, au titre d'invisible relatif. 2. Ces concepts introduits, il me restera a réfléchir aux rapports de la textualité et de la figura(bi)lité dans plusieurs domaines, le scientifique mais aussi le religieux moins exploré. La regle d'or que nous suivrons : commen cer par ce qui se voit, revenir a ce qui fait activement voir comme, en fin de compte remarquer l'aspect. 5. Je suis id le commentaire de M. de Gandillac, " Plotin et la métaphysique d'Aristote », Études, 1982, p.252-253. 6. Sur la diversification du travail catégorial, je me permets de renvoyer le lecteur a des recherches antérieures. Cf. F. Jacques, « Qu'est-ce qu'une catégorie religieuse ? ", Le Statut eantemparain de la philasaphie premiere, Beauchesne, 1996, p. 73-119. " Entre philosophie et théologie: problemes caté goriaux ", Rev. se. ph. th. n° 3, t. LXXXIV, Vrin, juillet 1997, p. 439-467. " La catégorisation au travail. Une approche interrogative, présuppositionnelle et textologique '), PUF, coll. " Psychologie et sdence de la pensée », aparaltre. 13 ment regarder sans en rien penser ? Équivalernrnent : sans déja interroger. Or, l'on ne parle et l'on ne fait voir qu'en perspective. Aquelle profondeur faut-il chercher la signature formelle propre a la perception, la compétence du spec tateur et sa liberté d'exercice ? 11 est indéniable qu'au cours de larges périodes historiques, en meme temps que la forme de vie des collectivités humaines, leur mode de perception sensorielle change. Les bouleversements sociaux, les entreprises de la connaissance et de la puissance trouvent leur expression dans des transformations qui atteignent la perception. Mais nous entendons ici réfléchir a la remarque d'aspect selon des conditions massives, d'ordinaire sous-évaluées : interrogatives, catégoriales, textuelles. Indissociables, elles suscitent le travail configurateur de l'imagina tion, quand illeste le pen;u. On les surprend en train d'inventer des versions de monde, on les soup¡;onne a l'origine des grandes voies de l'imaginaire - féerique, fantastique, merveilleux, miraculeux 2 - et sans doute de leur proximité ultime. Ce genre de contraintes appartient a l'archéologie trans cendantale des ordres du visible. 2. Les aspects remarqués se regroupent et varient de fa¡;on solidaire. Selon qu'ils sont prescrits par un protocole d'expérimentation scientifique, une comparution lors d'un proces aux assises, une mise en scene théatrale, un dispositif télévisuel ou muséographique, un spectacle de danse, une pré sentation pédagogique, un rituelliturgique, etc. Rien que le cinéma produit une foule, une meute d'images 3. Plus radicalement la pensée interrogative avec sa compétence multiple est un puissant facteur de regroupement. Ressort profond de la cognitio, ses variétés rassemblent sur leur plan respectif des multiplicités subordonnées, dont une taxinomie est sans doute possible. Prenant la mesure d'une disparité originaire, nous mettons a l'épreuve deux hypotheses qui ont été justifiées ailleurs : d'abord, la reconquete de la préméditation catégoriale sur la saisie a l'aveuglette. Si elle impregne la langue naturelle c'est qu'elle vit de uploads/Philosophie/ l-x27-autre-visible.pdf
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- Publié le Mai 29, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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