Revue d'histoire et de philosophie religieuses La métaphysique religieuse de Vl
Revue d'histoire et de philosophie religieuses La métaphysique religieuse de Vladimir Soloviev (suite et fin) Alexandre Kojevnikoff Citer ce document / Cite this document : Kojevnikoff Alexandre. La métaphysique religieuse de Vladimir Soloviev (suite et fin). In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 15e année n°1-2, Janvier-avril 1935. pp. 110-152; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1935.2928 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1935_num_15_1_2928 Fichier pdf généré le 22/11/2019 Notes et Etudes critiques La métaphysique religieuse de Vladimir Solo vie ν (I) (Suite et fin) III. La Théandrie et la Σοφία Jusqu'ici, la métaphysique de Soloviev n'était, d'après lui, qu'une « rationalisation et systématisation » des vérités religieuses données dans la révélation pré-chrétienne. Aussi pouvait-elle être développée indépendamment des dogmes chrétiens. Mais le chris¬ tianisme, religion absolue et universelle, comprend en lui toutes les vérités des religions antérieures. La partie de la métaphysique qui systématise ces vérités, tout en n'étant pas à proprement parler chrétienne, est donc néanmoins strictement orthodoxe. Tout ce qu'on y dit de Dieu est absolument vrai : elle contient la vérité et rien que la vérité. Mais cette partie de la métaphysique ne contient pas toute la vérité. Le christianisme n'est pas seulement une synthèse des vérités révélées antérieurement dans les autres religions. Il révèle, en outre, une vérité nouvelle qui lui est propre, et grâce à laquelle il est la religion dernière et absolue, l'aboutissement et la réalisation com¬ plète et parfaite de la révélation progressive donnée dans la suite historique des religions. Cette vérité nouvelle est révélée dans et par la personne de Jésus-Christ, de l'Homme-Dieu, et c'est seule¬ ment cette idée de la Théandrie qui exprime toute la vérité sur l'être divin. Si donc la doctrine métaphysique de Dieu veut être complète, elle doit tenir compte de la vérité révélée dans le christianisme. Autrement dit, l'idée de Dieu, telle qu'elle est apparue jusqu'ici (1) Voir Revue d'Histoire et de Philosophie Religieuses, 1934, p. 534-554. Revue d'Histoire et de Philosophie Religieuses, 1935, noa 1-2. LA MÉTAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 111 doit être complétée par l'idée de la Théandrie. La doctrine de l'Homme-Dieu, qui, du point de vue systématique, fait suite à la doctrine de la Trinité, achève le développement de la doctrine de Dieu, en rendant celle-ci conforme à la dogmatique chrétienne. L'idée de la Théandrie est donc, d'une part, l'aboutissement et le couronnement de la théologie métaphysique de Soloviev. D'autre part, elle est, comme nous le verrons plus loin, le point de départ et la base de sa doctrine métaphysique du Monde. Cette idée est donc la clé de voûte du système de la métaphysique de Soloviev, et, par cela même, le centre de gravité de tout son système philo¬ sophique en général : elle est l'idée directrice de toute sa pensée. La doctrine de l'Homme-Dieu n'est pas seulement la partie la plus importante de la métaphysique. Elle est aussi la partie la plus intéressante, la plus originale et personnelle. Mais elle est, en même temps, la partie la plus difficile. Car, en dépit, ou peut-être en raison, de sa position centrale, elle est loin d'être claire et univoque. Elle est le foyer où se concentrent toutes les contradictions, toutes les antinomies de la pensée de Soloviev, contradictions qu'il ne cherche généralement pas à concilier, et dont il semble même ne pas se rendre compte. En dehors même de ces contradictions, la doctrine est confuse et difficile à saisir. Trop préoccupé de rester en accord avec le dogme, Soloviev emploie parfois des formules imagées et obscures, et même lorsqu'il n'a plus cette préoccupation son exposé manque de clarté. En particulier, et ceci est important, il ne distingue pas toujours assez nettement entre les deux formes différentes de sa doctrine : entre celle qui appartient à la doctrine de Dieu, où l'exis¬ tence du monde empirique ne joue aucun rôle, et celle qui apparaît dans ou, plus exactement, comme la doctrine du Monde. Le rapport mutuel de ces deux formes de la doctrine de l'Homme- Dieu est difficile à définir, et l'on ne trouve chez Soloviev rien de précis à ce sujet. Il est peut-être mieux de dire qu'il ne s'agit là que de deux descriptions différentes d'une seule et même chose : une description faite du point de vue temporel, l'autre sub specie aeterni. Quoiqu'il en soit, la distinction insuffisante de ces deux points de vue rend souvent difficile la compréhension de la doctrine de Soloviev. Ainsi, pour éviter tout malentendu, tenons-nous à souligner dès maintenant, que c'est uniquement à la doctrine de Dieu que nous aurons affaire dans les pages suivantes : en y inter¬ prétant l'idée de la Théandrie nous parlerons, il est vrai, du monde 112 revue d'histoire et de philosophie religieuses empirique spatial et temporel, mais l'idée interprétée elle-même n'implique ni la notion d'un tel monde, ni les catégories de l'espace et du temps. — La doctrine de l'Homme-Dieu est la partie proprement chré¬ tienne de la métaphysique. Tout en étant conforme au dogme chrétien, elle peut néanmoins, d'après Soloviev, être développée indé¬ pendamment de la dogmatique. Ainsi, dans la Critique des Prin¬ cipes abstraits, il croit arriver à l'idée de la Théandrie en poursuivant la dialectique immanante de l'idée de l'Absolu, plus précisément de l'idée de l'Autre. Par un raisonnement obscur et extrêmement abstrait, que nous jugeons inutile de reproduire ici, Soloviev arrive d'abord aux résul¬ tats suivants. Le « contenu » divin, défini auparavant comme materia prima et Idée unitotale, « est non pas seulement l'Autre de l'Absolu, mais un autre Absolu ». Or, l'existence de deux êtres également absolus étant de toute évidence impossible, « ce deuxième [Absolu] ne peut pas être absolu dans le même sens que le premier ». « Par opposition à l'Unitotalité existante (suscee) (le premier Absolu), il est l'Unitotalité devenante (stanoviasceesia) ». » S'il n'appartient qu'à Dieu [se. au premier Absolu] d'être, en un seul acte éternel et indivisible, le sujet d'un contenu absolu, l'autre être [se. le deuxième Absolu] ne peut être sujet du même contenu que dans un processus graduel : si le premier est unitotal, le second devient unitotal ; si le premier possède éternellement l'unitotalité, le second s'en empare progressivement et s'unit ainsi (postolku) avec le premier (1). De ces passages, ce qu'il importe de retenir, c'est l'identification du « second Absolu » avec « l'Autre » ou le « contenu » divin. L'Ab¬ solu « devenant » étant identifié plus loin à l'Humanité idéelle, ou à l'Homme de l'Homme-Dieu éternel, il résulte des énoncés de la Critique que cette Humanité n'est pour Soloviev rien d'autre que le « contenu » de l'Absolu. Or, sans être niée dans les autres écrits, cette identification du deuxième Absolu ou de l'Humanité avec le (ι contenu » de Dieu, identification ayant une importance capitale pour la compréhension de la philosophie de Soloviev, n'est nulle part affirmée par lui avec autant de netteté que dans ces passages de la Critique. D'où leur intérêt et leur importance. (1) Voir vol. II, p. 298 sqq. de la 1" édition des Œuvres. LA MÉTAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 113 Par ailleurs, la déduction qui se trouve dans la Critique est, non seulement privée de toute valeur démonstrative, mais l'idée même d'une telle déduction contredit l'une des positions centrales de la métaphysique de Soloviev, position soutenue par lui autant dans ses autres écrits que dans la Critique elle-même. D'après Soloviev, l'Absolu « devenant » n'est rien d'autre que le monde empirique ou, si l'on préfère, le substrat métaphysique de ce monde. La déduction de l'Absolu « devenant » ou, en d'autres termes, du devenir de l'Autre, est donc une déduction a priori de l'existence et du devenir du monde. Or, Soloviev a toujours affirmé 1° que l'existence du monde est la conséquence d'un acte libre du « contenu » divin ou de l'Humanité idéelle, qui s'est séparée de Dieu dans et par cet acte, et 2° que le devenir du monde, ou sa réunion graduelle avec l'Absolu, est aussi une suite d'actes libres de l'Humanité déchue se redonnant à Dieu dans et par ces actes. Tous ces actes étant libres, aucun d'eux n'est nécessaire, aucun n'est prévisible. Par conséquent, ni considérés séparément, ni pris dans leur ensemble, ils ne peuvent faire l'objet d'une déduction a priori. Si donc la Critique , en même temps qu'elle déduit a priori le devenir du second Absolu, affirme à plusieurs reprises la contin¬ gence et la liberté de sa « chute » (chute qui est l'unique cause du devenir), il n'y a point ici de conciliation à tenter. La contradiction est évidente, quoique Soloviev lui-même semble ne pas l'avoir remarquée. Par la suite, nous négligerons simplement la déduction a priori du devenir du deuxième Absolu, et nous ne retiendrons que l'identification de cet Absolu avec le « contenu » divin ou l'Autre. Il est d'ailleurs facile d'indiquer les motifs qui ont pu amener Soloviev à entreprendre cette déduction, qui, par ailleurs, cadre mal avec l'ensemble de sa métaphysique (1). Il lui importait, comme nous l'avons déjà dit, d'arriver à la notion de l'Homme-Dieu par un développement immanant de uploads/Philosophie/ kojeve-solovyov-ii.pdf
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- Publié le Oct 18, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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