Michel Serres - RETOUR AU CONTRAT NATUREL  Year of publication : 2000 Publishe

Michel Serres - RETOUR AU CONTRAT NATUREL  Year of publication : 2000 Published on OpenEdition Books : 04 septembre 2015 En 1990, paraissait chez François Bourin Le Contrat naturel (réédité en 1992 dans la collection Champs/Flammarion). Michel Serres s’y livrait à une méditation sur les nouveaux devoirs que nous avons envers le monde que nous habitons. Dans le présent texte, Retour au Contrat naturel, le philosophe revient sur la problématique de son livre et sur le débat, actualisé en 1992 à l’occasion de la conférence de Rio et de l’appel de Heidelberg qui contribuèrent, chacun à leur manière, à donner une dimension planétaire au souci écologique. À travers le litige qui opposa alors partisans d’un progrès conditionné par le respect de la nature et les tenants d’un progrès conçu comme la poursuite de la maîtrise technique, la pensée de la nature s’est considérablement « dramatisée ». Pourquoi ? Quelle « fin de la nature » est-on en train de vivre ? Faut-il en appeler à une nouvelle philosophie de notre inscription dans le monde ? Avertissement liminaire La mort globale monde-humanité Deux morts communes Originalité de l’homme par rapport aux animaux Originalité de l’Occident : ses Antiquités La troisième et nouvelle mort Originalité du xx e siècle : la globalisation Deux modalités Le nouvel objet-monde La chaleur et les objets-monde Qu’est-ce qu’un objet ? Dépendance et possession Le monde ou la nature Bilan de la globalisation Objectif : la Terre entière Subjectif : l’humanité Collectif : nouvelle distribution objet-sujet Du droit à la politique Conditions juridiques de la connaissance et de l'action Pollution : le prix des choses ou leur gratuité ? Antécédents politiques et religieux Caractère juridique de l’antécédent du vrai. Choses et causes : l’archaïque et le nouveau Contrat Sujets, objets, connaissance Histoire des causes La connaissance et l’échange : le donné Le droit qui fonde la symbiose Un Contrat naturel, imité de Lucrèce et des Italiens Luttes, maîtrise, paix, symbiose Archaïsmes philosophiques : le pouvoir Le maître et l’esclave : de l’ancienne mort La dialectique et le réseau Envoi Avertissement liminaire Usité en langue française pour la première fois autour de 1874, sur le modèle allemand proposé par Haeckel en 1866, mais écrit, semble-t-il, dès 1852, par le philosophe américain Thoreau sous la forme de l’anglais œcology, le terme « écologie » a désormais deux sens. – Celui d’une discipline hautement scientifique, adonnée à l’étude d’ensembles d’êtres vivants groupés en grand nombre et en rapports interactifs avec leur milieu. Elle commença, en même temps, par la considération globale du système du mont Ventoux, en France, et de la limnologie ou science des lacs, alentour de Madison, Wisconsin, États- Unis. De même qu’elle étudie un ensemble lié de vivants et d’objets inertes, elle réunit un concert de disciplines, classiques et récentes, mathématiques (équations différentielles), thermodynamique… biochimie. – Le sens idéologique et politique d’une doctrine, variable selon les auteurs et les groupes, et visant, par des moyens divers et contestés par ses adversaires, à la protection de l’environnement. 2Publié début 1990, donc écrit dans la décennie précédente, Le Contrat naturel, sur lequel les responsables de la Bibliothèque nationale de France m’ont demandé de revenir, n’utilise pas une seule fois le terme écologie. Pourquoi ? Parce que, ne parlant ni de cette science ni d’engagement militant ou doctrinal, il ne traite ni du mot ni des deux choses. Pour une rare fois, l’un de mes livres ne vise ni les sciences ni leur philosophie ; d’autre part, je ne me suis jamais engagé dans aucun parti politique, ce n’est pas ici le lieu de confesser pourquoi. 3Le Contrat naturel traite de philosophie du droit. Avant de l’écrire, j’ai repris mes études et travaillé, pendant plusieurs années, cette discipline, nouvelle pour moi. J’ai découvert, alors, une chose profonde, destinée, je l’espère, à devenir banale, que mes maîtres, jadis, auraient dû m’apprendre et que j’enseigne volontiers à mes jeunes successeurs : que la philosophie la plus traditionnelle, au moins en Occident, se donne pour but ultime, quoique le plus souvent sans le savoir ni le dire, la découverte d’un lieu tiers, difficile à déceler, changeant, sans doute, à chaque époque, d’où l’on peut voir, en même temps et à la fois, la raison scientifique et la raison juridique, les lois du monde physique et les lois politiques des collectifs humains, les règles de la Nature et les règles des Contrats ; ce pourquoi, dans les langues de référence, les termes qui désignent ces principes sont les mêmes dans les deux cas. 4Vrai de Platon, d’Aristote, de Lucrèce et des stoïciens, cela se vérifie, aussi bien, pour saint Thomas d’Aquin au Moyen Âge, pour Spinoza et Hobbes à l’âge classique, pour Kant, Hegel et beaucoup d’autres plus près de nous. Mes maîtres semblaient méconnaître cet état de choses et les contemporains leur succèdent parce qu’ils croient pouvoir pratiquer la philosophie dans l’ignorance totale des sciences et du droit. 5À la recherche donc de ce lieu tiers, Le Contrat naturel traite de philosophie de la connaissance et de l’action, au sens le plus traditionnel et général du terme, mais à propos d’un problème singulier posé, de manière urgente, par les sciences et les techniques d’aujourd’hui. 6Cette question, d’abord, interroge notre mort. La mort globale monde-humanité Deux morts communes Originalité de l’homme par rapport aux animaux 1Sans doute sommes-nous devenus les hommes que nous sommes pour avoir appris — comment, le saurons-nous jamais ? — que nous allions mourir. Les seuls restes loyaux de la Préhistoire et de la première histoire, nous les trouvons, le plus souvent, dans les tombes, ossements accompagnés d’objets. Les animaux n’ont ni mort ni objets. Cette fin redoutée nous appartient deux fois en propre : en tant que nous sommes des hommes, en tant qu’individus singuliers ; elle nous atteint et nous attend dans notre définition générique et notre singulière solitude. 2Mais, en finissant par la détruire, elle construit notre vie : sans elle ni le sexe qu’elle implique ni le temps irréversible qu’elle induit, aurions-nous jamais peint les parois des cavernes, allumé le feu, chanté dans la dentelle du langage, dansé pour les dieux, observé les étoiles, démontré les théorèmes de la géométrie, aimé nos compagnes, éduqué des enfants, vécu enfin en société ? Dans La Cité antique, Fustel de Coulanges démontre qu’avant l’ère classique dominait le culte des ancêtres morts : les maisons avaient pour fondations les tombes et les métropoles commencèrent comme nécropoles. J’ai tenté, dans Statues, de généraliser son analyse, limitée à l’aire gréco-latine, en lui donnant valeur anthropologique. Dans notre dos, la mort et les faiblesses issues de sa peine engendrèrent les civilisations humaines. Originalité de l’Occident : ses Antiquités 3Or celles-ci meurent, elles aussi, au même titre que les individus et de la même manière, aussi certaine qu’imprévue. Nous qui assistons à la fin des cultures agraires apparues au néolithique, à la disparition programmée des langues anciennes, à l’assassinat du goût européen, à l’évanouissement soudain de systèmes politiques dont tant de militants prévoyaient, voilà peu, la pérennité, nous savons, depuis longtemps, que les civilisations, comme nous, sont mortelles. Nous fîmes semblant d’entendre ce dit de Paul Valéry, alors que l’originalité de la nôtre consiste en ceci qu’une Antiquité la précède et la fonde. 4L’ère qui tantôt fêtera son deuxième millénaire commença, en effet, sur les ruines de Rome, terrestre cité que ses contemporains avaient cru immortelle. Oui, le propre de notre civilisation vient de ce qu’elle surgit de cette Antiquité, qu’elle se fonde sur la disparition, mais en même temps sur la rétention de la civilisation qu’elle nie. L’événement et le dogme de la Résurrection, dont saint Paul dit qu’elle constitue l’essence du christianisme, signifie, dans cette perspective, que, contrairement à la cité antique, la nôtre tourne le dos à la mort : non seulement les aromates des saintes femmes et les linges pliés dans la tombe ne serviront plus à la momification du Christ, mais saint Augustin développe, dans La Cité de Dieu, texte fondateur de ces deux millénaires, la même idée, mais collective : la nouvelle histoire de la nouvelle Ville tourne, en effet, le dos à la mort de l’ancienne. Quelle mort ? Celle de plusieurs Antiquités : l’égyptienne, la grecque, la romaine et quelques autres, droguées de polythéismes. 5Demain donc, dans trois minutes ou quelques années, nous ignorons quand, nous allons mourir, de maladie, d’accident ou de fatigue. Nous ne savons pas, de même, quand s’effondrera, peut-être sans grand fracas, la plus grande puissance actuelle du monde : l’année prochaine, dans six mois ou dans cent ans ? Mais nous ne pouvons pas ne point avoir appris que ces deux déchirures et ces deux ignorances fondent tous nos savoirs et toutes nos pratiques. 6Si nous oubliions ces fondations qui conditionnèrent nos arts exemplaires et nos excellentes conduites, nous danserions demain devant nos cathédrales comme des foules de singes jacassent sur les temples du Yucatan et d’Angkor envahis par la jungle. Cette fonction dynamique et vitale, individuelle et collective, de la mort, quadruple source d’où jaillissent nos temps historiques, ne uploads/Philosophie/ michel-serres-retour-au-contrat-naturel.pdf

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