1 L’herméneutique à l’école de Paul Ricoeur L’ACADEMOS, 14 décembre 2009 L’Atel
1 L’herméneutique à l’école de Paul Ricoeur L’ACADEMOS, 14 décembre 2009 L’Atelier des concepts, par Emmanuel AVONYO, op ___________________________________________________________________________ Nous voudrions considérer ici “le problème herméneutique” compris comme la double équation de l’interpréter et du devenir philosophique de l’interprétation. C’est à l’école de Paul Ricœur que nous allons tenter d’apporter une réponse à la question « Qu’est ce que l’herméneutique ? » à laquelle se réfère “le problème herméneutique”. Comme pourrait le suggérer le titre de notre enquête, nos objectifs sont modestes par rapport à l’immense champ herméneutique défini par Paul Ricœur. Cependant, deux grands mouvements rythment notre parcours, qui nous conduiront à clarifier la fonction de l’herméneutique à travers son concept et à faire un bref rappel historique de la constitution de son sens moderne. I. L’arc herméneutique de Paul Ricœur L’arc herméneutique se dessine dans cette première opposition : « L’herméneutique procède de la précompréhension de cela même qu’en interprétant elle tâche de comprendre.» Cependant, « il n’y a pas de compréhension qui ne soit médiatisée par des signes, des symbole et des textes. » Qu’est-ce alors que l’herméneutique ? Pourquoi ne pas la définir comme la science de la compréhension de soi par l’interprétation des signes, du langage symbolique ou de l’écriture. C’est en effet la doctrine de la compréhension et de l’interprétation des discours parlés et écrits qui expriment un sens ou qui sont des configurations de sens[1]. La science de l’interprétation n’est autre que « le travail de pensée qui consiste à déchiffrer le sens caché dans le sens apparent, à déployer les niveaux de signification impliqués dans la signification littérale.»[3]. C’est une discipline qui s’occupe du déchiffrement de la référence indirecte, des niveaux doubles ou multiples de la signification ou du sens. « La circonscription des expressions à double sens constitue proprement le champ herméneutique.»[2] L’herméneutique dans la perspective exégétique chère à Ricœur consiste en l’interprétation des sens cachés dans les textes et les symboles. Dans ce sens, une précompréhension anime toujours l’interprétation. L’interprétant vient à l’élucidation de son mystère à partir d’une présupposition de sens donné. En suivant cette approche générale de la théorie de l’interprétation, nous remarquons que quatre conséquences complémentaires peuvent être envisagées pour notre propos afin de cerner la fonction que trace l’arc herméneutique. 2 L’interprétation symbolique Selon la première conséquence, herméneutique et symboles deviennent des concepts corrélatifs : car c’est dans l’interprétation que la pluralité des sens d’un symbole est rendue manifeste. Dans cette acception, l’herméneutique se présente simplement comme interprétation symbolique ; c’est une approche réductrice de l’herméneutique qui invite, selon Ricœur, à aller au-delà du symbole. La médiation des signes, qui affirment la condition langagière de l’expérience humaine, a fait appel à celle des symboles comme expressions culturelles à double sens. Mais l’herméneutique va au- delà du symbole, car le sens « déborde » le symbole. L’interprétation doit encore passer de la médiation symbolique à la médiation textuelle pour restituer à l’herméneutique tous ses droits. Car, le symbolisme déploie mieux son sens à l’échelle d’un texte entier, ce dernier permettant à l’herméneutique d’atteindre une recollection de sens plus riche. En dépit de ces avantages, Ricœur pense que cette définition de l’herméneutique par l’interprétation des symboles « doit être conservée à titre d’étape entre la reconnaissance très générale du caractère langagier de l’expérience et la définition plus technique de l’herméneutique par l’interprétation textuelle » (Ricœur, TA, p.29-30) L’interprétation textuelle Selon la deuxième conséquence, dans toute interprétation textuelle, le texte « déborde » ses propres limites. Le monde du texte va au-delà d’une simple matérialité scripturaire. Ricœur définit le texte comme « tout discours fixé par l’écriture, et selon cette définition, la fixation par l’écriture est constitutive du texte lui-même »[4]. Ainsi le texte est beaucoup plus qu’un cas particulier de communication interhumaine, il révèle le caractère fondamental de l’historicité même de l’expérience humaine. Cette définition du texte appelle deux types d’observations : d’abord, le texte est la gravure subreptice d’un vécu porté au langage. Ce qui est ainsi fixé par l’écriture est un discours, et tout discours fait signe vers la parole qui aurait pu naître d’un sujet parlant. Le discours n’est pas pour sa propre gloire. Tout langage renvoie à un référent et à une manière d’habiter le monde. C’est l’intérêt principal de l’approche textuelle. Si Ricœur renonce à l’interprétation symbolique, c’est pour conférer à l’interprétation le rôle de médiatrice. Désormais, les symboles, les signes et le texte sont les termes médiateurs de la compréhension de soi. L’interprétant dialogue objectivement avec la « chose du texte » pour faire ressortir le dit et le vouloir-dire qui sont ultimement référés à l’agir de l’homme qui est lui-même un texte. Pour finir, c’est un rapport de texte à texte qu’on a. Ensuite, en faisant mettant en évidence la dialectique de la parole et de l’écriture, le texte révèle les critères de la fonction herméneutique. Les “critères de la textualité” sont déterminants pour la trame de l’arc interprétatif. La fonction herméneutique recouvre les domaines suivants : l’effectuation du langage comme discours, l’effectuation du discours comme oeuvre structurée, la relation de la parole à l’écriture, l’oeuvre de discours comme projection d’un monde, le discours et l’oeuvre 3 de discours comme médiation de la compréhension de soi. Dans tous les cas, le langage assume la visée ontologique sous-jacente à « cette réserve de sens, ce surplus de sens d’expérience vive » qu’est l’historicité. La compréhension de soi Une troisième conséquence est que dans une interprétation, la phase d’explication structurale et objectivante n’est pas détachable de celle de la constitution du sens. Or la constitution du sens est en même temps constitution du soi. C’est pourquoi Ricœur affirme qu’en interrogeant un texte, on se fait interroger aussi par lui, dans un cercle herméneutique qui est le domaine de révélabilité et d’accomplissement circulaire du sens. L’homme n’est plus « radicalement étranger pour l’homme parce qu’il donne des signes de sa propre existence. Comprendre ces signes, c’est comprendre l’homme.»[5] l’explication d’un texte est la médiation de la réflexion sur soi. Référence est ainsi faite à l’herméneutique de Dilthey qui distingue l’explication naturaliste (causaliste) de la compréhension de type psychologique (spirituelle). Les deux s’imbriquent dans une même opération. En ce qui concerne les signes à travers lesquels l’homme vient au sens, le langage et la réflexion comme appropriation de son effort d’exister, se positionnent comme des éléments incontournables. C’est dans le langage que le cosmos, le désir et l’imaginaire humains accèdent à l’expression. Le langage devient une praxis qui accueille le sens de l’existant, un être-interprété. L’interprétation du sens de l’homme, de la vie de l’ego, prend de l’importance au point que Paul Ricœur écrit qu’il n’y a pas de symbolique avant l’homme qui parle[6]. L’interprétation contient l’idée d’une compréhension de soi et d’une appropriation de sens. La compréhension de soi n’apparaît que dans une double appropriation médiatisée par la distanciation. La distanciation comme une méthode herméneutique d’objectivation du sens est nécessaire, elle est même corrélative à la « textualisation de l’expérience ». Ainsi, toute compréhension de soi devant le texte passe par la distanciation de soi-même et la déconstruction du sujet. C’est le moment d’une explication objectivante. En partant de ce qui est à l’œuvre, en travail, dans le texte, l’appropriation perd par le fait même son arbitraire avant de s’enraciner dans l’expérience de l’interprétant. Or, Interpréter, c’est lutter contre une distance culturelle et temporelle. L’appropriation permet donc de vaincre l’éloignement à l’égard du sens et de rendre actuelle toute interprétation. Elle fait accueillir la « chose du texte », pour la faire sienne. Elle fait venir à l’acte les possibilités sémantiques du texte afin de compenser le moment de la distanciation. L’appropriation de sens Quatrième conséquence : la compréhension de soi et l’appropriation du sens sont contemporaines. Nous pouvons distinguer une appropriation subjective et une appropriation objective ou communautaire. L’interprétant approche « monde du texte » avec sa subjectivité et un univers de sens pré-donné. Ainsi, l’appropriation veut dire que l’interprétation d’un texte s’achève dans la compréhension de soi du sujet qui désormais se comprend mieux. Il est même nécessaire que le discours du texte soit 4 décontextualisé pour s’ouvrir au monde des lecteurs. Mais l’interprétation n’est pas que subjective, elle est aussi, ou d’abord, objective. Ne voyons pas dans la recherche d’objectivité un effort de coïncidence avec l’intentionnalité de l’auteur. L’interprétation est surtout une activité communautaire qui reçoit pour fonction de mettre au clair le sens originel des textes. En effet, l’appropriation de l’interprétation n’est pas un nouveau prétexte à la subjectivation du sens ou à la prétentions à l’auto-transparence radicale à soi. Que l’appropriation n’implique pas le retour subreptice à la subjectivité souveraine, cela peut être attesté par la nécessité de se désapproprier de soi-même, nécessité imposée par la compréhension de soi devant le texte » (Ricœur, Réflexion faite, p. 57). Le lecteur comme interlocuteur s’inscrit toujours dans une tradition de lecture. Toute interprétation revendique une méthode et des clés de lecture. L’interprétant s’enracine dans une tradition interprétative qui pré-forme son univers de sens. C’est pourquoi l’herméneutique en rendant intelligible le sens uploads/Philosophie/ l-x27-hermeneutique-a-l-x27-ecole-de-paul-ricoeur 1 .pdf
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- Publié le Dec 03, 2021
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