ACADÉMIE CATHOLIQUE DE FRANCE POUR LE RAYONNEMENT DU SAVOIR ET DE LA FOI Paris,

ACADÉMIE CATHOLIQUE DE FRANCE POUR LE RAYONNEMENT DU SAVOIR ET DE LA FOI Paris, le 28 octobre 2018. 20 rue de Poissy – 75005 PARIS Courriel : academiecatholiquedefrance@hotmail.fr Site internet : www.academiecatholiquedefrance.fr Déclaration Sur l’indisponibilité du corps humain Ce travail porte sur la question de l’indisponibilité du corps humain, très peu reprise dans les états généraux de la bioéthique de 2018 en France. Certes la non-marchandisation du corps humain y est évoquée, mais l’expression « mon corps m’appartient » (sous-entendu « j’en fais ce que je veux ») est un leitmotiv majeur aujourd’hui. Le corps humain est alors souvent considéré comme « en pièces détachées », lesquelles peuvent être données, réparées, changées, voire « augmentées dans leurs fonctionnalités ». Cette posture de « propriétaire » a de nombreuses conséquences en bioéthique. Il s’agit ici de réfléchir à l’indisponibilité du corps humain, au-delà de la non-marchandisation, à travers la question : « nos gènes nous appartiennent-ils ? » Cette question est essentielle au moment où de nouveaux outils de modification du génome humain deviennent disponibles, comme CRISPR, et où l’on cherche aujourd’hui à breveter le vivant. Trois approches sont proposées dans cette réflexion, en complémentarité. L’approche scientifique permet de faire le point sur « notre héritage génétique », en termes de sciences de l’évolution et d’épigénétique. L’approche juridique retrace les étapes essentielles de la manière de considérer le corps humain en droit, reprenant à cette occasion la convention d’Oviedo, qui stipule qu’on ne peut introduire de modification dans le génome de la descendance. Enfin, l’approche philosophique permet d’approfondir le concept de corps humain pour déboucher sur des éléments clefs d’une « éthique du corps » au temps des modifications génétiques. 1. De l’indisponibilité du corps humain à la non-patrimonialité.......................................................2 2. Le corps humain disponible « en pièces détachées » ?...................................................................3 3. Notre patrimoine génétique, patrimoine de l’humanité ? La convention d’Oviedo aujourd’hui .................................................................................................4 4. Nos gènes nous appartiennent-ils ? Le regard du scientifique......................................................6 5. Question des brevets et indisponibilité du corps humain...............................................................8 6. Le corps humain vu par le droit.........................................................................................................10 7. Éthique du corps ...................................................................................................................................16 Conclusions ................................................................................................................................................19 Académie catholique de France Déclaration sur la question de l’indisponibilité du corps humain 2 1. De l’indisponibilité du corps humain à la non-patrimonialité L’indisponibilité du corps humain est une expression qui signifie que le corps humain n’est pas une chose pouvant faire l’objet d’un contrat ou d’une convention, ce qui pose des limites à sa libre disposition. Je ne peux disposer de mon corps comme je le veux, je n’ai pas tous les droits sur lui. Cette question fit l’objet d’une réflexion approfondie lors des états généraux de 2009, notamment au sein de l’Église catholique1. Le travail mérite d’être poursuivi au temps des nouvelles biotechnologies comme CRISPR et des manipulations génétiques qu’elles permettent. Voici quelques articles du Code civil qui font état de l’indisponibilité du corps humain : article 16-1, alinéa 3 : « Chacun a droit au respect de son corps » ; article 16-5 : « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » ; article 16-6 : « Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci » ; article 16-7 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. » Ce principe a été mis en avant par la Cour de cassation pour déclarer illicite le recours à la gestation pour autrui (GPA) en France. Il n’est cependant pas absolu, puisque le droit français reconnaît qu’il est possible de donner son sang ou un rein, sous conditions : la cession doit notamment être gratuite, anonyme et accomplie dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Ce principe a été remplacé, dans la loi du 29 juillet 1994, par celui de non-patrimonialité, qui interdit de vendre son corps et s’inscrit dans la philosophie autorisant, dans les limites fixées par la loi, le don gratuit de son sang, de ses organes et de ses gamètes. L’indisponibilité du corps humain pose le problème de l’usage inconditionnel de son corps dans toutes les situations existentielles possibles, jusqu’à la mise en jeu de la vie et de la mort. Dans un livre récent, La Non-patrimonialité du corps humain : du principe à la réalité ; Panorama international2, les auteurs indiquent : Le principe de non-patrimonialité du corps humain, admis dans de nombreux pays, semble définir la ligne de conduite adoptée pour gérer les rapports du corps à l’argent. Pourtant, ce principe ne va pas de soi car, si la protection du corps peut se trouver menacée par le risque de marchandisation inhérent à notre monde globalisé dans lequel les marchés prospèrent, la disposition du corps relève de la liberté individuelle de la personne. L’ouvrage se consacre à l’analyse des choix opérés par dix-neuf pays représentatifs de cultures différentes en vue de percevoir, au-delà des finalités affichées, la réalité du principe de non- patrimonialité. Il montre que, partout, une patrimonialisation du corps, qu’elle soit ou non assumée par les États, existe et tend à se développer, allant même jusqu’à créer de véritables marchés. L’étude met en évidence que les débats, très insuffisants, relatifs aux rapports du corps et de l’argent, non seulement sont biaisés par la forte charge symbolique des finalités de la médecine, mais aussi et surtout occultent les choix sociétaux majeurs à opérer, notamment pour garantir la protection des plus vulnérables. Mais au-delà de la question financière, c’est l’assertion très répandue aujourd’hui « mon corps m’appartient, j’en fais ce que j’en veux » qui est à reprendre. Nous le ferons d’abord avec la question de bioéthique des manipulations génétiques et ce qu’en dit la convention d’Oviedo. Puis nous nous situerons dans la lignée humaine pour nous demander, avec l’approche du scientifique, si nos gènes nous appartiennent afin d’en tirer des conséquences en termes d’indisponibilité du corps humain. À partir de là, nous aborderons la question de la brevetabilité du vivant aujourd’hui, avant d’approfondir le thème du « corps humain au regard du droit (français) ». 1 Pierre D’ORNELLAS et les évêques du groupe de travail sur la bioéthique, Bioéthique : Propos pour un dialogue, DDB, février 2009. 2 Brigitte FEUILLET-LIGER et Saibé OKTAY-ÖZDEMIR, Bruylant, Bruxelles, 2017. Académie catholique de France Déclaration sur la question de l’indisponibilité du corps humain 3 Enfin, nous conclurons avec des éléments d’éthique du corps humain à partir d’une approche philosophique. 2. Le corps humain disponible « en pièces détachées » ? Tout en soulignant les progrès de la médecine, le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), parle souvent du « corps en pièces détachées » tel qu’il est vu aujourd’hui3 : Peu à peu, le corps n’est vécu par la médecine que comme un ensemble de pièces détachées dont chacune a son autonomie ou plutôt dont chacune est envisagée comme telle. Et le corps est prié de se conformer à cette vision médicale. Les viscères et organes ont acquis désormais une visibilité par l’échographie, le scanner et l’IRM. Ces images virtuelles sont à la source d’une nouvelle réalité du corps. Les personnes parlent d’ailleurs de leur « écho » hépatique et non de leur foie, de leur scanner cérébral et non de leur cerveau, de leur IRM vertébrale et non de leur rachis, de leur mammographie et non de leur sein ! Le corps est ainsi devenu un lieu d’images, un chantier qui focalise d’autant plus l’attention que la notion d’image normale est de plus en plus sujette à interrogation. L’apport de la technologie (largement positif pour les soins) accentue cependant cette vision, à travers le développement de l’imagerie médicale d’une part, mais aussi par la visée aujourd’hui très répandue de « réparer et, mieux encore, d’augmenter les performances de la machine vivante via ses fonctionnalités ». Pour le développement de l’imagerie médicale, le professeur Sicard analyse ainsi : Le paradoxe réside dans cette autonomisation de l’image par rapport au corps de plus en plus absent, image qui revendique son propre statut, ses exigences, au fond assez indifférentes à sa justification. Autrement dit, le perfectionnement de l’image dépend de son utilisation maximale, pas de son fondement. Si les images n’étaient fournies que par une demande rationnelle, le progrès technique tarderait. Il faut que la machine tourne. À ce prix seul, des améliorations permanentes se font jour. De même, on parle dorénavant d’homme « réparé » et d’homme « augmenté » à travers les performances fonctionnelles du corps-machine, jusqu’aux visées transhumanistes et la figure du cyborg. Là aussi, on peut changer les pièces défectueuses de la machine humaine, améliorer leurs fonctionnalités et maîtriser les imperfections de la machine. Le corps apparaît de plus en plus comme un objet façonnable fait de pièces détachées à perfectionner. Ces « pièces détachées » sont disponibles, ainsi que le corps vu comme « un ensemble de pièces détachées ». Disponibilité et chosification du corps sont alors largement favorisées uploads/Philosophie/ l-x27-indisponibilite-du-corps.pdf

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