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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=APHI&ID_NUMPUBLIE=APHI_692&ID_ARTICLE=APHI_692_0187 La liberté dans la Consolatio philosophiae de Boèce. Inspiration chrétienne et sources antiques par Kristell TREGO | Centres Sèvres | Archives de Philosophie 2006/2 - Tome 69 ISSN 1769-681X | pages 187 à 202 Pour citer cet article : — Trego K., La liberté dans la Consolatio philosophiae de Boèce. Inspiration chrétienne et sources antiques, Archives de Philosophie 2006/2, Tome 69, p. 187-202. Distribution électronique Cairn pour Centres Sèvres. © Centres Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. La liberté dans la Consolatio philosophiae de Boèce Inspiration chrétienne et sources antiques KRISTELL TREGO Bernay Emprisonné, l’auteur de la Consolatio philosophiae 1 pouvait-il ne pas rêver de liberté? A en croire les commentateurs, la question de la liberté ne serait pas une question centrale chez Boèce. Tout au plus rencontre-t-on, çà et là, des développements sur sa conception de la providence et sa compré- hension de la conciliation de la prescience et de la liberté 2; mais tout se passe comme si la détermination boécienne de la liberté ne méritait guère que l’on s’y attarde 3: il y aurait, pour le Moyen Age latin, un grand penseur de la liberté, Augustin; et le « dernier des Romains » n’aurait pas été à la hauteur, en ce qui concerne tout du moins la liberté, de l’évêque africain 4. Si les réfé- rences faites par les penseurs médiévaux semblent, dans une certaine mesure, 1. Nous citerons ce texte d’après l’édition bilingue due à H. F. Stewart, E. K. Rand et S. J. Tester dans « The Loeb Classical Library »: BOETHIUS, The Theological Tractates, The Consolation of Philosophy, Cambridge (Mass.) – Londres, Harvard University Press – Heinemann, 1973, xv + 442 p. Nous ferons référence, en ce qui concerne les commentaires de Boèce à Aristote, à la Patrologie Latine, éd. par J.-P . Migne (PL), t. LXIV. Augustin sera, pour sa part, cité d’après l’édition de la Bibliothèque Augustinienne (BA). 2. Cf., par ex., Ernst GEGENSCHATZ, « Die Freiheit der Entscheidung in der Consolatio Philosophiae des Boethius » in Museum Helveticum, 1958, XV, p. 110-129, repris dans Boethius, M. Fuhrmann et J. Gruber éds., Darmstadt, Wissenchaftliche Buchgesellschaft, 1984, p. 323-349; Peter Thomas Morus HUBER, Die V ereinarkeit von göttlichen V orsehung und men- schlischen Freiheit in der Consolatio philosophiae des Boethius, Zürich, Juris Druck und Verlag, 1976, v + 61 p.; John MARENBON, « Le temps, la prescience et le déterminisme dans la Consolation de Philosophie de Boèce » in Boèce ou la chaîne des savoirs, A. Galonnier éd., Louvain – Paris, Peeters, 2003, p. 531-546; ainsi que Le temps, l’éternité et la prescience de Boèce à Thomas d’Aquin, Paris, Vrin, 2005, 188 p., chapitre II, p. 21-54. 3. Citons cependant deux exceptions récentes: Paul LACHANCE, « Boethius on human free- dom », American catholic philosophical quarterly, 2004, LXVIII, p. 309-327; Vincent ZARINI, « Captivité et liberté chez Boèce d’après la Consolation de la Philosophie » in Carcer II. Prison et privation de liberté dans l’Empire romain et l’Occident médiéval, C. Bertrand-Dagenbach et al. éds., Paris, De Boccard, 2004, p. 129-141. 4. C’est, dans cette optique, le mérite de l’article de Calvin NORMORE, « Goodness and rational choice in the early Middle Ages », in Emotions and choice, from Boethius to Descartes, H. Lagerlund et M. Yrjönsuuri éds., Dordrecht–Boston–Londres, Kluwer Academic Publishers, 2002, p. 29-47, que de consacrer quelques pages à l’apport boécien sur la question (p. 31-35). Archives de Philosophie 69, 2006 justifier une telle lecture, l’on ne saurait toutefois perdre de vue que les cir- constances de la fin de sa vie ont infléchi en direction de l’éthique l’interro- gation boécienne 5. Ne voyons dès lors pas en Boèce seulement le traducteur et commentateur des écrits logiques d’Aristote et de Porphyre; mais considé- rons-le, également, comme l’un des premiers penseurs chrétiens de l’éthique. Mais, une fois admis que Boèce a parlé d’éthique, une fois même reconnu qu’il a parlé de liberté, reste à préciser ce qu’il en a dit. Or, si ce sont avant tout, ainsi que nous l’avons suggéré, les circonstances auxquelles il fut confronté qui l’ont conduit à se poser la question de la liberté, peut-il en pro- poser une conception neuve? Le caractère tardif de l’intérêt de Boèce pour l’éthique laisse penser qu’il pourrait avoir adopté d’autrui sa conception de la liberté, en l’adaptant simplement à sa propre pensée. Mais alors, de qui la reçoit-il? De la pensée antique non chrétienne qu’il a cherché à faire connaî- tre au monde latin? Ou bien d’Augustin, lui-même? En un mot, la concep- tion de la liberté à l’œuvre dans la Consolatio est-elle, ou n’est-elle pas, d’ori- gine chrétienne? L’on aura reconnu ici, transposé à la question de la liberté, l’un des enjeux de la lecture de cette ultime œuvre, à savoir son caractère chrétien ou non. Divers lecteurs de la Consolatio se sont en effet étonnés de ne pas y trouver trace de la pensée chrétienne 6: alors que les Traités théologiques s’étaient attachés à transposer dans le domaine théologique les acquis de la logique aristotélicienne 7, la Consolatio semblerait marquer un reniement par Boèce de sa foi religieuse pour ne plus reconnaître d’autre dieu que la déesse Philosophie! Faudrait-il alors en conclure que, si conception de la liberté il y a dans la Consolatio, celle-ci serait une conception héritée des penseurs anciens païens? On le sait, la pensée antique non chrétienne n’a pas fait une large place à la question de la volonté 8, et en conséquence a fait consister la liberté 188 KR. TREGO 5. Pour une présentation de la doctrine éthique de Boèce, cf. Helga SCHEIBLE, Die Gedichte in der Consolatio philosophiae des Boethius, Heidelberg, Carl Winter – Universitätsverlag, 1972, 229 p., p. 206s. 6. Là-dessus, cf., par ex., Cornelia Johanna de VOGEL, « The problem of Philosophy and Christian Faith in Boethius’ Consolatio » in Romanitas et Christianitas, W . Den Boer et al. éds., Amsterdam – Londres, North Holland Publishing Company, 1973, p. 357-370, repris dans Boethius, op. cit., p. 286-301; Colin J. STARNES, « Boethius and the development of Christian Humanism: the Theology of the Consolatio » in Atti congresso internazionale di studi boeziani (Pavia, 1980), Rome, Herder, 1981, p. 27-38. On pourra aussi lire Edward Kennard RAND, « On the composition of Boethius’ Consolatio Philosophiae » in Harvard Studies in Classical Philology, 1904, 15, p. 1-28, repris dans Boethius, op. cit., p. 249-277 7. Cf. Axel TISSERAND, Logique et théologique dans les Traités théologiques de Boèce, Thèse de doctorat, EPHE, 2002, 2 vol., 789 p. 8. A ce sujet, on se reportera aux études classiques suivantes d’Albrecht DIHLE, The theory of will in classical antiquity, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, dans l’indépendance de l’âme vis-à-vis des réalités corporelles. La liberté n’apparaît ainsi pas comme la source de la contingence dans le monde, mais comme la réalisation par l’âme de son essence 9. Suivant cette perspective, la liberté a une portée éthique, non pas toutefois au sens où elle nous res- ponsabiliserait dans nos choix 10, mais au sens où elle consiste en l’achè- vement de notre nature, idée synthétisée dans la célèbre formule de Sénèque: « Deo parere libertas est » (De beata vita, XV, 7). Si la doctrine augustinienne de la liberté a maintenu une telle idée lorsqu’il était ques- tion de libertas, elle ne s’est pas cantonnée à cette acception, mais a reconnu, à côté de la libertas, un liberum arbitrium, par lequel on pourrait choisir le bien, mais aussi s’en détourner: « Liberum itaque arbitrium et ad malum et ad bonum faciendum confitendum est nos habere… » 11. Sans rompre radicalement avec l’acception antique de la liberté, Augustin lui a donc adjoint une nouvelle détermination, ce qui lui permet de faire droit à l’expérience paulinienne d’un conflit psychique entre un velle et un nolle LIBERTÉ CHEZ BOÈCE 189 1982, 268p. et de Charles H. KAHN, « Discovering the will, from Aristotle to Augustine » in The Question of Eclectism, J. M. Dillon et A. A. Long éds., Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 1988, p. 234-259. Cf. également les études plus particulières de Anthony KENNY, Aristotle’s theory of will, Londres, Duckworth, 1979, x + 181p.; André-Jean VOELKE, L’idée de volonté dans le Stoïcisme, Paris, PUF, 1973, 216 p.; Neal W . GILBERT, « The concept of will in early latin philosophy » in Journal of the History of Philosophy, 1963, I, 1, p. 17-35. Cf. uploads/Philosophie/ la-liberte-dans-la-consolatio-philosophiae-de-boece-cairn.pdf

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