Stéphane Marchand LLHUM 231, correction de l'explication de texte n°1 John Stua
Stéphane Marchand LLHUM 231, correction de l'explication de texte n°1 John Stuart Mill, De la liberté (1859) La seule raison légitime que puisse avoir une communauté civilisée d'user de la force contre un de ses membres, contre sa propre volonté, est d'empêcher que du mal ne soit fait à autrui. Le contraindre pour son propre bien, physique ou moral, ne fournit pas une justification suffisante. On ne peut pas l'obliger ni à agir ni à s'abstenir d'agir, sous prétexte que cela serait meilleur pour lui ou le rendrait plus heureux ; parce que dans l'opinion des autres il serait sage ou même juste d'agir ainsi. Ce sont là de bonnes raisons pour lui faire des remontrances ou le raisonner, ou le persuader, ou le supplier, mais ni pour le contraindre ni pour le punir au cas où il agirait autrement. La contrainte n'est justifiée que si l'on estime que la conduite dont on désire le détourner risque de nuire à quelqu'un d'autre. Le seul aspect de la conduite d'un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne autrui. Quant à l'aspect qui le concerne simplement lui-même son indépendance est, en droit, absolue. L'individu est souverain sur lui-même, son propre corps et son propre esprit. John Stuart Mill, De la liberté.1 Dans quelle mesure un Etat policé peut-il contraindre les individus être heureux ? De quel droit un Etat pourrait-il prétendre régenter ce qui est de l'ordre de ma vie privée ou de mon intimité ? D'un côté nous comprenons bien que l'Etat cherche à définir non seulement des règles de vie commune entre les hommes, mais aussi un ensemble de prescriptions qui permettent d'amener chaque homme à son propre accomplissement : le respect ou l'estime de soi, la prudence,... comme s'il avait, comme on dit, « charge d'âmes ». D'un autre côté on peut se demander quelle est la légitimité d'une telle position « paternaliste » : car l'analogie que l'on fait entre l'Etat et la structure familiale est une fausse analogie. Les citoyens – tout du moins ceux d'un Etat civilisé – ne peuvent être considérés comme des « mineurs » ; et la relation d'obligation entretenue entre un citoyen et ses lois n'est pas une relation d'éducation2. Peut-on, pour autant, considérer que la morale n'est pas du ressort du politique ? Et si l'Etat ne cherche pas à émanciper ses citoyens, quelle est alors sa tâche ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre notre texte de J. Stuart Mill dans cet extrait du De la liberté. Après avoir formulé son célèbre principe de « non-nuisance » (« la seule raison suffisante... une justification suffisante »), Mill procède à la distinction radicale entre ce qui relève de la morale et ce qui relève de la politique (« On ne peut pas l'obliger....à quelqu'un d'autre »), enfin il définit « l'indépendance absolue » de l'individu en principe politique. I. Le principe de non-nuisance. 1. Le fondement de la contrainte légitime Le texte de Stuart Mill cherche à définir dans quel cas un Etat peut contraindre un citoyen contre sa volonté. La réponse à cette question réside dans la formulation du « principe de non- nuisance » dont ce texte donne une formulation claire. Ce principe consiste à définir la liberté négativement : pour Mill un Etat civilisé est un état qui laisse les citoyens parfaitement libres de 1 Folio-Essais, trad. L. Lenglet, Chapitre Premier, « introduction », p. 74. 2 Pour une critique du modèle paternaliste, cf. Rousseau, art. « Economie Politique » de l'Encyclopédie de Diderot/d'Alembert. 1 Stéphane Marchand LLHUM 231, correction de l'explication de texte n°1 faire ce qu'ils veulent, pour peu qu'ils ne nuisent pas à autrui. Ce qui signifie que, selon Mill, toute contrainte dont on ne pourrait pas expressément montrer qu'elle nuit à quelqu'un d'autre, est une contrainte illégitime et qu'elle est le signe d'un Etat ou d'une communauté barbare, ne se donnant pas les moyens de répondre aux aspirations individuelles à la liberté. La constitution d'une communauté suppose d'abandonner une part de liberté à la communauté, notamment celle qui consiste à pouvoir nuire à autrui légitimement, et en retour gagner le droit de pas subir de nuisance. Si l'Etat impose des contraintes qui dépasse le cadre strict de cet échange, il outrepasse ses droits selon Mill. L'intervention de la force publique ne se légitime donc qu'en cas de nuisance sur autrui, et non pas dans le cadre de nuisance sur soi-même. Dans la mesure où se nuire à soi-même (par exemple ne pas prendre soin de soi, ne pas aspirer à la sagesse et au bonheur, et plus précisément se droguer, se prostituer,) ne lèse en rien autrui, il n'y a aucune raison de contraindre les auteurs de telles conduites, qui peuvent être des erreurs, peut-être mêmes des fautes, bref des entorses à toute sorte de codes moraux ou même à la raison, mais qui ne sauraient être considérées comme des délits et encore moins comme des crimes. En revanche, l'ensemble des actions que je commets et qui constituent une nuisance pour autrui peuvent être considérées comme des délits, et justifient par conséquent l'usage de la force pour contraindre l'auteur du délit ou du crime à cesser son forfait. Ainsi on protège non seulement le citoyen lésé, mais aussi la société qui repose précisément sur la garantie de ne pas être lésé par autrui. Mill ne dit pas en quoi consiste cet usage de la force ni quelle pourrait être ses limites. Il apparaît seulement que cet usage de la force est présenté en fonction de la nécessité de protéger les citoyens des comportements dangereux, et peut-être de protéger l'Etat tout entier de la possibilité de telles nuisances ; il ne s'agit donc pas de se venger. L'usage de la force doit donc être proportionné uniquement à la nécessité d'une telle protection. 2. La critique du paternalisme Il faut se demander contre quelle conception ce texte a été écrit, et surtout contre quelle conception de la justice et de l'Etat il a été écrit. La seconde phrase du texte le montre bien : il s'agit de critiquer toutes les législations qui voudraient punir non seulement les actions commises au détriment d'autrui (le vol, le crime, etc....) mais aussi toutes les actions commises « contre soi » : les nuisances à soi-même : le suicide, les pratiques sexuelles déviantes consentantes, les pratiques immorales qui ne lèsent que soi, même les pratiques irrationnelles...La liberté qu'il s'agit de défendre est donc une liberté qui laisse entière la possibilité non seulement de penser, mais aussi de faire ce que l'on veut de sa vie.3 Peut-on par exemple interdire le suicide, la prostitution, la masturbation, etc...4 sous prétexte que ce sont des pratiques qui nuisent à ceux les mettent en œuvre ? L'Etat peut-il condamner au nom de la morale ces pratiques comme des délits ? S'il le fait – et la plupart des Etats le font, ou l'ont fait – alors ils sortent du cadre décrit par Mill et ils tombent dans ce qu'il appelle « la tyrannie 3 Voici le cadre défini par Mill : « liberté de penser et de sentir, liberté absolue d'opinions et de sentiments sur tous les sujets, pratiques ou spéculatifs, scientifiques, moraux, théologiques. La liberté d'exprimer et de publier des opinions peut sembler soumise à un principe différent, puisqu'elle appartient à cette partie de la conduite de l'individu qui concerne autrui ; mais comme elle est presque aussi importante que la liberté de penser elle-même, et qu'elle repose dans une large mesure sur les mêmes raisons, ces deux libertés sont pratiquement indissociables. C'est par ailleurs un principe qui requiert la liberté des goûts et des occupations, la liberté de tracer le plan de notre vie suivant notre caractère, d'agir à notre guise et risquer toutes les conséquences qui en résulteront, et cela sans en être empêché par nos semblables tant que nous ne leur nuisons pas, même s'ils trouvaient notre conduite insensée, perverse ou mauvaise », p. 78-79. 4 Pour le traitement de tous ces exemples dans le cadre du principe de Mill, voir Ruwen Ogien, L'éthique aujourd'hui : minimalistes et maximalistes, Paris, Gallimard, 2007. 2 Stéphane Marchand LLHUM 231, correction de l'explication de texte n°1 de la majorité ». Cela signifie que l'Etat ne prend pas en charge seulement la question des relations entre les hommes, mais qu'il considère aussi qu'il a la charge de la moralité de ces mêmes hommes, qu'il dispose d'un certain nombre de valeurs pour juger des devoirs que nous aurions envers nous- mêmes, et que vivre dans cet Etat c'est reconnaître ces mêmes valeurs. Cela suppose donc que la morale est une partie de la politique, que la politique peut légiférer sur la morale ou l'éthique, que cela soit en déléguant à des spécialistes de morale (qui sont-ils ? Les religieux ? Les philosophes ? Les psychiatres ou les psychologues ?) le soin de définir quels sont les devoirs que nous avons envers nous-même, soit en se faisant l'écho de uploads/Philosophie/ llhum-231-marchand-mill-correction.pdf
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- Publié le Sep 07, 2021
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