La page de Jean Lacroix Le structuralisme de Claude LÉVI- STRAUSS Le structural

La page de Jean Lacroix Le structuralisme de Claude LÉVI- STRAUSS Le structuralisme est la méthode qui a fait faire aux sciences humaines en ce siècle d'immenses progrès et Lévi-Strauss est en France le maître du structuralisme. Il procède de l'application à l'anthropologie et aux sciences humaines d'un modèle linguistique. Son initiateur fut de Saussure, dans son Cours de linguistique générale. Les linguistes, comme Meillet ou Vendryès, s'efforçaient encore d'expliquer l'évolution d'une langue en la liant à celle d'une société. Saussure ne se préoccupe plus de genèse; il renverse les rapports entre système et histoire. Dans le langage, il distingue la langue qui est l'ensemble des conventions adoptées pour permettre l'exercice du langage chez les individus et la parole qui est cet exercice même. L'objet de la science linguistique c'est le système de signes, issu de la détermination mutuelle de la chaîne sonore du signifiant et de la chaîne conceptuelle du signifié. Ce système est structure. Le sens d'un terme ne se définit pas par son rapport avec un objet, mais par sa relation avec les autres mots de la langue : la signification est différentielle. En appliquant ce type d'analyse à l'anthropologie, Lévi-Strauss en garde l'esprit anti-historiciste. Le structuralisme est une combinatoire qui opère sans égard à l'histoire. Il diffère cependant de toute théorie de la forme. Formalisme et structuralisme se séparent en raison des attitudes différentes qu'ils adoptent envers le concret. A l'inverse du formalisme, le structuralisme refuse d'opposer le concret à l'abstrait et de privilégier ce dernier. Laforme se définit par une matière qui lui est étrangère. La structure n'a pas de contenu distinct : elle est le contenu même, appréhendé dans une organisation logique comme propriété du réel. En ce sens le structuralisme, issu cependant du formalisme, s'y oppose nettement : un peu de structuralisme éloigne du concret, beaucoup y ramène. La pensée sauvage n'est pas prélogique, mais logique. C'est la pensée travaillant à un premier niveau, celui du concret, c'est la "logique du concret". C'est d'abord, et peut-être le mieux, à l'étude des systèmes de parenté que Lévi-Strauss a appliqué sa méthode. Comme le langage en effet, ce système est établi, non pas au niveau des termes, mais des couples de relation : mari-femme, père-fils, frère-soeur, oncle maternel et fils de la soeur. Comme le langage encore, la parenté est un système de communication. Elle ne se développe pas spontanément à partir d'une situation de fait, mais comme un système arbitraire de représentations : ce n'est pas une modalité biologique, mais une alliance. Les règles du mariage assurent la circulation des femmes au sein du groupe social et remplacent ainsi un système de relations consanguines d'origine biologique par un système sociologique d'alliance. La parenté est donc un " langage ", puisqu'elle assure entre les individus et les groupes un certain type de communication. Que le " message " soit ici constitué par les femmes du groupe qui circulent entre les clans, et non par les mots du groupe circulant entre les individus n'altère en rien l'identité du phénomène considéré dans les deux cas. Le langage est échange, communication, dialogue. C'est ce qui se passe dans le mariage. Echanger des signes ou échanger des femmes, ce sont phénomènes comparables, auxquels on peut appliquer la même méthode structurale. La prohibition de l'inceste est la règle fondamentale qui fait naître l'homme à la vie culturelle. En effet elle est par excellence la règle du don. Elle interdit moins d'épouser mère, soeur ou fille qu'elle n'oblige à donner mère, soeur ou fille à autrui. " Il y a bien plus dans l'échange que les choses échangées. " Il y a la réciprocité. C'est pourquoi tout mariage est une rencontre dramatique entre la nature et la culture, entre l'alliance et la parenté. " L'émergence de la pensée symbolique devait exiger q ' ne les femmes, comme les paroles, fussent des choses qui s'échangent. C'était en effet dans ce cas le seul moyen de surmonter la contradiction qui faisait percevoir la même femme sous deux aspects incompatibles : d'une part objet de désir propre, et donc excitant des instincts sexuels et d'appropriation, et en même temps sujet, perçu comme tel, du désir d'autrui; c'est-à-dire moyen de le lier en se l'alliant. " Le langage non en tant que sens, mais en tant que code, est bien le prototype de toute organisation. Cette même méthode est appliquée à l'analyse des mythes. Suivant Lévi-Strauss l'intelligence humaine est une. La pensée mythique n'est pas une pensée prélogique, mais une pensée logique au niveau du sensible, une pensée classificatrice qui utilise des catégories empiriques (cru et cuit, frais et pourri, mouillé et brûlé, etc.), véritables outils conceptuels servant à dégager des notions abstraites et à les enchaîner en propositions. Le plus important n'est pas le contenu du mythe. La pire erreur serait, à la manière des archétypes de Jung, d'interpréter chaque symbole à part et pour ainsi dire en lui-même. Il n'est pas autonome vis-à-vis du contexte : sa signification est déposition. La vérité du mythe consiste " en rapports logiques dépourvus de contenu ou plutôt dont les propriétés invariantes épuisent la valeur opératoire, puisque des rapports comparables peuvent s'établir entre les éléments d'un grand nombre de contenus différents ". Ainsi y a-t-il une objectivité et une structure des mythes. Lévi-Strauss ne prétend pas montrer " comment les hommes pensent les mythes, mais comment les mythes se pensent dans les hommes et à leur insu ", à la limite comment " les mythes se pensent entre eux ". Le philosophe tend toujours à lier la notion de discours à celle de personne. Mais le savant ne procède pas ainsi. Pour lui les mythes d'une société forment le discours de cette société, et un discours pour lequel il n'y a pas d'émetteur personnel : un discours qu'on recueille comme un linguiste qui s'en va étudier une langue mal connue et dont il essaie de faire la grammaire, sans se soucier de savoir qui a dit et ce qui a été dit. Un groupe de mythes forme un ensemble permutable. Par exemple dans les mythes et contes des Indiens des deux Amériques les mêmes actions sont attribuées, selon les récits, à des animaux différents. Comprendre le sens d'un terme c'est le permuter dans tous ses contextes. L'anthropologue procède de même. Si l'aigle apparaît de jour et le hibou de nuit dans la même fonction, on en tirera que l'aigle est un hibou diurne comme le hibou un aigle nocturne, ce qui signifie que l'opposition pertinente est celle du jour et de la nuit. En comparant à d'autres mythes, on verra que l'aigle et le hibou s'opposent ensemble au corbeau, comme des prédateurs à un charognard, tandis qu'ils s'opposent entre eux sous le rapport du jour et de la nuit, et le canard à tous les trois, sous le rapport d'une nouvelle opposition entre le couple ciel-terre, et le couple ciel-eau. On définira ainsi progressivement un " univers du conte ", analysable en termes d'oppositions diversement combinées au sein de chaque personnage, qui n'est, comme le phonème de Jakobson, qu'un " faisceau d'éléments différentiels ". Demandera-t-on alors quel est le sens de ces mythes, à quelle ultime signification renvoient ces significations qui se signifient les unes les autres ? Il faut répondre que les mythes signifient l'esprit qui les établit au moyen du monde dont il est lui-même une partie. Ainsi peuvent être simultanément engendrés les mythes eux-mêmes par l'esprit qui les cause, et par les mythes une image du monde déjà inscrite dans l'architecture de l'esprit. Cette méthode enfin implique une philosophie, qui effleure dans tous les ouvrages, mais surtout dans La pensée sauvage. Il y a une pensée et une logique comme immanentes à la nature et à la vie et qui, pour se récupérer, doivent passer par la médiation du concept. Bien loin que l'objet soit constitué par le sujet ou même par les sujets, c'est le sujet qui est constitué par une sorte d'intériorisation de l'esprit objectif. Pas de Cogito individuel à la manière de Descartes, pas de Cogito sociologique à la manière de Sartre. C'est l'idée même d'intériorité qui est contestée. " Qui commence par s'installer dans les prétendues évidences du moi n'en sort plus. " Le structuralisme s'installe au niveau où l'organisation fait système, à l'insu des consciences. Cependant LéviStrauss s'affirme à demi kantien et Ricoeur a pu parler d'un " transcendantalisme sans sujets ". Mais est-ce encore un transcendantalisme ? Il est vrai que la notion de structure est essentielle au kantisrne, et en cela le structuralisme est kantien. Mais des structures qui ne sont Plus les catégories du sujet, qui sont dans les choses et que l'esprit ne fait que refléter prend une signification bien différente. En somme le structuralisme vise à un code universel, parce qu'il croit à un @tisme des combinaisons possibles. Il n'y a qu'une pensée. La pensée sauvage se retrouve chez tous et elle est avec la pensée civilisée dans des rapports d'homologie, et non de filiatioti. C'est donc par le moyen de l'anthropologie, et non uploads/Philosophie/ la-page-de-jean-lacroix.pdf

  • 32
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager