1 «La poudre d’intelligence» ou «le borgne au royaume des aveugles» M. Mohand O

1 «La poudre d’intelligence» ou «le borgne au royaume des aveugles» M. Mohand Ou yahia KHERROUB Univesité Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou Abstract : Les critiques de l’œuvre de Kateb Yacine s’accordent à dire que le texte de ce dernier ne s’offre pas au lecteur de prime abord. En effet, son style, qui rappelle William Faulkner, se trouve étoffé de figures et de tournures du français métropolitain mais, souvent entrecoupé de mots ou expression arabes ou berbères « francisés » par l’auteur car les traduire leur feraient certainement perdre leur saveur et leur portée culturelle. En général, la forme dans les écrits katébiens est singulière en ce sens qu’elle est cyclique parfois comme dans le roman de « Nedjma ». Par moments, elle présente les événements par saccades. Comme dans « Le cercle des représailles ». Le contenu de l’œuvre de Kateb, quat à lui, est loin de faire de la figuration. Il est chargé de sens et d’enseignement. La double culture de l’auteur lui a permis de comprendre d’une part le monde occidental à travers le colonisateur et sa langue et, de l’autre, son peuple rongé par la misère sociale et intellectuelle. Il fustige la France en langue française et il met à nu l’hypocrisie de certaines catégorie du peuple algérien se croyant au dessus des autres et ce, dans une langue empruntée dans un premier temps, durant les années cinquante par exemple, puis dans l’arabe populaire, au lendemain de l’indépendance algérienne. Pour la première période, « La poudre d’intelligence » parue dans « Le cercle des représailles » en est un parfait exemple. 2 A travers ce qui suit, nous tenterons d’analyser « La poudre d’intelligence » à travers la théorie des actes de langage. Cependant au lieu de procéder à l’étude de la performativité des verbes telle que définie par John R. Searle, nous parlerons de la « performativité générale du texte ». C’est-à-dire : quelle est l’orientation, la finalité, voire la fonction du texte « La poudre d’intelligence ». Mots clés : Actes de langage, performativité, implicite et figures de style. Introduction : Le héro de « La poudre d’intelligence » est un personnage nommé par KATEB « Nuage de fumée », un philosophe qui met à nu l’hypocrisie mais surtout l’idiotie des muftis, des cadis des ulémas et du Sultan (représentants des autorités publiques religieuse et politique) et même du simple citoyen, à travers le marchand. Dans un style agréable, usant de mots simples et recourant aux figures de style, l’ironie essentiellement, à travers des séquences pleines d’étrangeté où le ridicule rappelle les écrits d’Albert Camus Kateb Yacine dresse un portrait fidèle de la société algérienne des années cinquante dont le niveau intellectuel laissait encore à désirer car même les facultés des personnes de haut niveau ne pouvaient raisonner de manière proprement logique et se montraient fragile voire incapables devant les situations complexes. Par ailleurs, la lecture de « La poudre d’intelligence » nous révèle que Kateb Yacine possède une culture générale et philosophique très profonde. Ainsi, la réplique du philosophe « J’ai froid donc je suis mort » qu’il a formulée devant sa femme invite à l’esprit de manière instantanée la citation du philosophe René Descartes « Je pense donc je suis » 3 1. Ou, encore, « misère de la philosophie »2 qui rappelle le débat qui a eu lieu au cours du 19ème siècle entre Proudhon qui écrit « La philosophie de la misère » et Karl Marx qui lui rétorque par « La misère de la philosophie ». A priori, les pièces théâtrales de Kateb Yacine sont destinées à faire rire. Mais, à lire dans la biographie de l’auteur et en cernant le contexte historique de son œuvre, l’on comprendra vite que derrière les mots de celle-ci se cache un vouloir-dire qui va bien au-delà de ce que l’on saisit à première vue. Le texte katébien est animé d’une performativité très forte. Un journaliste algérien, Hakim KATEB3, a dit à juste titre ceci au sujet du théâtre de Kateb Yacine : «Affirmer que le théâtre de Yacine ne vise qu'à distraire, c'est remettre en cause l'écriture katébienne et avec elle son combat». Philosophe malheureux : « Nuage de fumée » est le personnage choisi par Kateb Yacine dans « La poudre d’intelligence » pour représenter cette élite de la société algérienne des années cinquante ou tout simplement toute personne douée d’un minimum de raisonnement logique. Du point de vue numérique, cette élite n’est pas nombreuse : les nuages chargés de pluie sont passagers et, parlant de fumée, c’est encore moins fréquent et moins consistant, sans intérêt, voire même nuisible. En effet, la politique de l’occupant français consistant en l’acculturation et la soumission du peuple algérien a fait de ce dernier un peuple analphabète et les quelques intellectuels qu’il a ne représentent pas grand-chose devant les milliers d’illettrés, vu leur infime nombre d’une part et, d’autre part à cause du manque de compétence qui caractérisaient la plupart d’entre eux car étant formés à partir de rien. Il est donc tout à fait clair que le seul fait d’évoquer le mot « philosophe » constitue une exagération. 4 En effet, la « philosophie » de Nuage de fumée est élémentaire. Le raisonnement, l’intelligence et les tours dont il fait preuve sont loin d’éblouir le lecteur. Pourtant, les logiques des hauts représentants de la société (mufti, cadi et sultan) tombent l’une après l’autre comme un château de carte, leur hypocrisie étant dévoilée et leur ignorance mise à nu et ce, à maintes reprises. Et, par là c’est toute une société qui est décrite par Kateb Yacine. Revenant au philosophe. S’il a le mérite d’avoir affronté les faux dignitaires et s’y être publiquement opposé, il ne s’en démarque néanmoins que par le peu d’intelligence, de poudre, qui le caractérise et qu’il tente de semer autour de lui. Visiblement, la « quantité » d’intelligence en sa possession lui suffit à peine. Elle ne peut donc éclairer le reste de la population qui en est dépourvue et qui en a tant besoin. C’est pourquoi l’on pourrait comparer Nuage de fumée à un borgne dans un royaume d’aveugles. Dans « La poudre d’intelligence », le malheur de Nuage de fumée ne réside pas seulement dans l’insuffisance de son intelligence par rapport à celle qui caractérise les philosophes qui ont fait l’Histoire et qui méritent donc bien ce titre. D’autres malheurs viennent s’y greffer dont deux majeurs. Premièrement, il y a la mésentente avec autrui et même ses proches dont sa femme Attika. Sauf que, là, on pourrait rétorquer en disant que tous les philosophes du monde, grands ou moins grands, ont eu à affronter, à un moment ou à un autre de leur vie, leurs sociétés car ils sont en avance et, par conséquent, incompris ! Nuage de fumée ne partageaient ses réflexions avec personne. Les scènes de ménage, même anodines, qu’a eues Nuage de fumée avec sa femme Attika ainsi que le discours diamétralement opposé qu’il tenait à chaque fois devant le cadi, le mufti et le Sultan en sont témoins. 5 En effet, la minorité d’intellectuels qu’avait l’Algérie pendant et après la révolution avait certainement du mal à se retrouver au sein d’une population où l’illettrisme faisait ravage. Deuxièmement, nous avons le chômage. « La poudre d’intelligence » commence d’ailleurs par une scène où Attika invite avec insistance Nuage de fumée à se réveiller pour aller travailler ou, du moins, leur chercher quoi manger. Lui, au lieu de travailler comme tout le monde pour se nourrir, il compte un peu sur la révolution et trop sur son intelligence. C’est la raison pour laquelle il ne fait pratiquement rien. A la question de savoir si le « hasard » existe ou pas, Nuage de fumée, à l’instar de beaucoup de philosophes, si ce n’est pas tous, aurait répondu « du tout ! ». Pourtant, sortant de chez lui, après avoir été brusquement réveillé par sa femme, c’est par « hasard » qu’il va se voir offrir une bourse de la part du sultan qui l’a pris pour une source de bonheur : il le rencontre en allant pour une partie de chasse, il le met en prison car l’ayant pris pour un porte malheur. Il le libère ensuite et lui offre de l’argent car la chasse était beaucoup plus riche que d’habitude. Le sultan a cru que Nuage de fumée en était derrière, rien que par sa présence sur son chemin. Le philosophe ne tardera pas à perdre sa bourse car, peut-être, l’ayant gagnée sans sueur ! Implicitement, ce sont les intellectuels algériens qui sont visés. En effet, à l’image de beaucoup d’autres à travers le monde, ils étaient appauvris par le colonialisme. Le peu de travail qui leur était offert par ce dernier était loin de répondre à leurs aspirations, ni du point de vue physique car pénible, ni du point de vue moral car souvent allant à contresens de leur principes et religion. Sultan avide : « O sultan, je vois que tu es triste, et uploads/Philosophie/ la-poudre-d-x27-intelligence-ou-le-borgne-au-royaume-des-aveugles.pdf

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