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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/322601455 La responsabilité éthique et politique du philosophe : entre rupture et conciliation Chapter · January 2018 CITATIONS 0 READS 2,033 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Essais sur la responsabilité de protéger View project Essais sur la justice globale View project Ernest-Marie Mbonda Université de Moncton 21 PUBLICATIONS 13 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Ernest-Marie Mbonda on 19 January 2018. The user has requested enhancement of the downloaded file. 117 Chapitre 6 La responsabilité éthique et politique du philosophe : entre rupture et conciliation Pr Ernest-Marie Mbonda1 Il n’y a pas de notion aussi ambiguë que celle de responsabilité, et son étymologie latine (respondere, répondre) n’aide pas forcément à sortir de cette ambiguïté. L’épithète « sociale », comme d’ailleurs les épithètes « éthique et politique », accolées à la notion de responsabilité ont pour effet de renforcer cette ambiguïté. On discute de plus en plus maintenant de la « responsabilité sociale » de l’entreprise, sans qu’il soit facile pour autant de savoir si cette responsabilité est économique, légale, morale ou philanthropique. Et ce n’est pas en attribuant cette notion de responsabilité sociale ou même éthique et politique au philosophe que sa signification devient plus claire. Si je me référais à l’histoire de la philosophie, je pourrai y trouver un certain nombre de concepts, de figures et d’orientations normatives indiquant la « mission », la « tâche », la « vocation » (Max Weber, Le savant et le politique) ou la «responsabilité» du philosophe. En supposant que ces concepts, figures et orientations aident à comprendre au moins partiellement ce qu’il en est de la responsabilité « sociale » du philosophe, je voudrais discuter plus spécifiquement de la responsabilité éthique et politique du philosophe, pour montrer qu’elle ne se définit ni essentiellement en termes de rupture, ni exclusivement en termes de conciliation, mais qu’elle se situe entre les deux pôles et y trouve toute sa définition. Je voudrais suggérer que la responsabilité éthique et politique du philosophe peut être présentée comme une démarche de rupture par la conciliation, à partir des ressources normatives disponibles dans les convictions communes. Si la responsabilité éthique et politique du philosophe est de penser les événements, penser les institutions, penser la vie quotidienne, penser les pratiques socio- culturelles, penser ce qu’il en est de notre « patrimoine d’humanité », cette 1. Enseignant permanent Faculté de philosophie, UCAC/ICY. 118 Responsabilité sociale du philosophe en afrique au xxie siècle pensée prend la forme d’une dissidence lors même qu’elle se contente d’élucider les normes latentes dans les convictions populaires. Ma thèse est que la responsabilité éthique et politique du philosophe c’est de penser les conditions de la dissidence par une démarche de conciliation en s’appuyant sur les ressources des convictions communes. I/ Concepts, figures et orientations normatives D’un point de vue conceptuel, ce sont les notions d’engagement, de militantisme, ou à l’opposé, de neutralité qui ont souvent permis de déterminer ce que le philosophe doit ou ne doit pas faire, de dire par exemple si le philosophe doit être engagé ou neutre, s’il doit présenter ses opinions politiques dans un amphithéâtre, dans l’espace public, s’il doit militer pour l’avènement de la société qu’il construit théoriquement ou se contenter de ses constructions théoriques, s’il doit avoir un « tempérament prophétique » ou un « tempérament politique » pour utiliser les distinctions d’Emmanuel Mounier. Les postures et les figures de l’engagement ne manquent pas non plus. Celle de Socrate apparaît comme la plus paradigmatique et L’Eloge de la philosophie de Maurice Merleau Ponty lui consacrent quelques pages lumineuses. Le passage suivant résume bien la place centrale de la figure de Socrate : « Pour retrouver la fonction entière du philosophe, il faut se rappeler que même les philosophes-auteurs que nous lisons et que nous sommes n’ont jamais cessé de reconnaître pour patron un homme qui n’écrivait pas, qui n’enseignait pas, du moins dans des chaires d’État, qui s’adressait à ceux qu’il rencontrait dans la rue et qui a eu des difficultés avec l’opinion et avec les pouvoirs, il faut se rappeler Socrate.»2 D’autres philosophes bien connus (je n’en citerai aucun), en tant que penseurs du social, des événements et des institutions, penseurs de la question du développement et de l’africanisme, analystes de la vie quotidienne, viennent s’inscrire dans la même lignée. En termes d’orientations normatives, elles se ramènent globalement à deux postures contrastées. Martin Briba, dans son ouvrage Le philosophe dans la cité selon Platon3 analyse bien ce contraste dans les œuvres de Platon, en montrant comment le philosophe y apparaît tantôt comme un 2. Maurice Merleau Ponty, Eloge de la philosophie, Paris, Gallimard, 1967. 3. Martin Briba, Le philosophe dans la cité selon Platon, Yaoundé, PUCAC. 2009. 119 métaphysicien ou un mystique contemplatif, tantôt comme un éveilleur de conscience et réformateur moral, comme éducateur, formateur, chef politique et législateur. Le même contraste apparaît dans la manière dont un auteur comme Hegel4 conçoit la mission du philosophe comme se réduisant à dire ce qui est, dans la mesure où, s’il voulait aussi dire ce qui doit être ou même transformer le monde, il arrive toujours trop tard. La métaphore de la chouette de Minerve ne prenant son vol qu’à la tombée du jour est bien connue. Dans cette perspective, toute ambition prophétique relèverait simplement de ce que Hayek5 appelle « illusion constructiviste », laquelle a caractérisé une bonne partie de la philosophie morale et politique. La posture opposée à celle-ci consiste à inviter le philosophe, comme le faisait Marx dans sa fameuse 11e thèse sur Feuerbach, à noter que le temps de l’interprétation du monde était déjà révolu et qu’il fallait maintenant songer à sa transformation, qu’il fallait passer d’une philosophie réflexive à une philosophie de l’action sociale et politique. Et Emmanuel Mounier le dit de manière tout aussi explicite : « Refuser l’engagement, c’est refuser la condition humaine ». Il assimile le refus de l’engagement à une posture narcissique et égocentrique. Le philosophe est pris ici non plus seulement comme un penseur, mais un acteur. Le philosophe qui s’en tient à son tempérament prophétique se prive d’une dimension importante de la personnalité du philosophe qui en aurait fait, précisément, un homme ou un philosophe accompli. Ces différents concepts, ces figures et ces orientations normatives divergentes ne nous permettent pas d’assigner au philosophe une responsabilité déterminée, précise, de telle sorte qu’on puisse par cette assignation définir le philosophe, sa tâche, sa mission, sa « responsabilité » en excluant du champ de cette définition toute autre conception du philosophe et de sa responsabilité. Faut-il dès lors considérer toute position relative à la définition de la responsabilité du philosophe comme étant une simple question d’opinion ou d’option, aucune des options en présence ne pouvant se prévaloir d’une validité supérieure ou exclusive ? Ou encore faut-il présenter l’option choisie comme une simple question de préférence, la présentation de cette préférence étant assortie du vœu de la voir partager par d’autres personnes, et aussi du souhait de voir la philosophie s’incarner chez des personnes qui partagent cette conception nôtre de la responsabilité du philosophe ? Je prétends que l’une des manières de sortir de ce dilemme c’est de trouver, dans la définition de la philosophie en tant que pensée, ou en tant 4. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1989. 5. Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté, Paris, PUF, 2013. La responsabilité éthique et politique du philosophe… 120 Responsabilité sociale du philosophe en afrique au xxie siècle que « savoir penser » et « savoir raisonner »6, les ressources même de la responsabilité sociale, sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter quelque chose qui viendrait comme pour « compléter » la mission première du philosophe afin de la rendre conforme à l’idéal d’engagement social et politique. II/ La responsabilité du philosophe comme travail de clarification des convictions communes Certains philosophes, d’après Monique Canto Sperber7 ont opté pour une démarche de rupture avec les convictions courantes quand il s’agit de penser les questions épistémologiques comme les questions morales, sociales et politiques. C’est le cas de Platon, déjà évoqué plus haut, qui élabore par exemple son concept de justice en s’opposant aux conceptions courantes de la justice comme rendre à chacun ce qui lui revient ou rendre à chacun ce qui lui convient, ou encore celles relative à la justice des contrats et des conventions. La justice se définit simplement chez lui en tant qu’équilibre ou harmonie dans l’âme de chaque individu et dans la cité. Il y a donc chez Platon une volonté de rompre avec les convictions les plus partagées de son temps au sujet de la justice. On peut légitimement s’interroger sur la capacité transformatrice d’une telle conception des valeurs qui structurent l’existence humaine et la vie sociale. Canto Sperber considère cette démarche comme étant impraticable et irréaliste. Une philosophie qui ne rejoint pas les convictions serait donc condamnée à n’être qu’une théorie pure, et enfermerait uploads/Philosophie/ la-responsabilite-ethique-et-politique-du-philosophe-entre-rupture-et-conciliation.pdf
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- Publié le Oct 01, 2021
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