LACAN, LE SYMBOLIQUE ET LE SIGNIFIANT Patrick Juignet ERES | « Cliniques médite
LACAN, LE SYMBOLIQUE ET LE SIGNIFIANT Patrick Juignet ERES | « Cliniques méditerranéennes » 2003/2 no 68 | pages 131 à 144 ISSN 0762-7491 ISBN 2-7492-0155-1 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2003-2-page-131.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Nous nous limiterons, dans ce court article, à l’exposé de cette conception assorti d’un point de vue critique qui pourrait constituer l’amorce d’un renouvellement du concept de symbolique. LA NAISSANCE DU SYMBOLIQUE La parole Vers 1950, Jacques Lacan s’intéresse aux travaux de Heidegger sur la parole et en adopte certains points de vue. Il se rend à Fribourg en 1955 pour rencontrer le philosophe et traduit le texte « logos » qui se présente comme le commentaire du fragment 50 d’Héraclite où l’on peut comprendre (au tra- vers de la distance et des diverses interprétations/traductions) qu’il est ques- tion « d’écouter le logos 2 » plutôt que celui qui parle ; le terme de logos pouvant être traduit aussi bien par raison que par parole. C’est ce dernier terme qui est retenu par Heidegger. Il en fait une voie d’approche ontolo- gique. La parole dit l’être. Retenons quelques phrases d’un autre texte heideggérien sur la parole (Die Sprache). « C’est bien la parole qui rend l’homme capable d’être le vivant Cliniques méditerranéennes, 68-2003 Patrick Juignet, psychanalyste, chargé de cours de psychopathologie à l’université de Nice-Sophia Anti- polis, 6, montée Desambrois, 06000, Nice. 1. J. Lacan, « Le symbolique, l’imaginaire et le réel », Bulletin interne de l’Association française de psychanalyse, 1953, p. 413. 2. Héraclite, Fragments, Findakly, 1990. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.94.224.129 - 25/06/2020 08:26 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.94.224.129 - 25/06/2020 08:26 - © ERES qu’il est en tant qu’homme. L’homme est homme en tant qu’il est celui qui parle ». Il y a chez Heidegger une exhaustion métaphysique de la parole. On ne saurait « fonder la parole à partir d’autre chose qu’elle-même », elle se trouve dans l’expérience de son déploiement, expérience qui ne consiste pas à dire quelque chose, mais à « parler la parole » à permettre son déploiement autonome et à y « trouver séjour 3 » . Pour Jacques Lacan, inspiré par cette approche, « la psychanalyse n’a qu’un médium la parole du patient 4 ». La cure devient une réalisation de la parole grâce à l’interprétation qui symbolise l’image 5. Dans l’échange analy- tique, « il s’agit encore et toujours de symboles et de symboles même très spé- cifiquement organisés dans le langage 6 ». En effet dans le fantasme, le rêve, l’élément imaginaire n’a qu’une valeur symbolique 7. À partir de cette mise en avant du rôle de la parole, il s’agit, dans la psychanalyse, d’arriver à une parole pleine et vraie. « La parole pleine est celle qui forme la vérité 8 », elle permet un rapport à l’être, elle est dévoilement, aléthéia. Cette révélation « est le ressort dernier de ce que nous cherchons dans l’analyse 9 ». Lacan tente de placer entièrement la psychanalyse dans « le champ de la parole et du lan- gage ». Le transfert apparaît alors comme une entrave au dévoilement de la vérité 10. C’est une modification importante par rapport à la conception freu- dienne. Elle affirme que l’être de l’homme est lié au langage. Le symbole L’idée de symbole est reprise au début de l’œuvre de Lacan dans un sens assez traditionnel. Il admet que le symptôme est symbole d’un conflit et que les composants du rêve symbolisent quelque chose d’autre qu’eux. En 1949 Lacan associe l’efficacité symbolique aux imagos 11, c’est-à-dire à ce qui est de l’ordre de l’image et des identifications. Du symbole au langage il y a un pas. Le symbole est en continuité avec le langage. Il se transforme en mot lorsqu’il est libéré de la contingence d’une matérialité trop forte et que s’associe à lui CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 68-2003 132 3. M. Heidegger, « La parole », dans Acheminement vers la parole, Paris, Gallimard, 1976, p. 13 et 15. 4. J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 247. 5. J. Lacan, « Le symbolique, l’imaginaire et le réel », Bulletin interne de l’Association française de psychanalyse, 1953, p. 413. 6. J. Lacan, « Symbolique, imaginaire, réel », p. 406. 7. Ibid. 8. J. Lacan, Séminaire I, Paris, Le Seuil, 1975, p. 125. 9. Ibid., p. 59. 10. J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 225. 11. J. Lacan, « Le stade du miroir », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 95. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.94.224.129 - 25/06/2020 08:26 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.94.224.129 - 25/06/2020 08:26 - © ERES la permanence d’un sens, d’un concept. Ainsi naît l’univers du sens 12. Les dons rituels qui s’opèrent dans toutes les cultures sont symboliques car ils ont un sens, celui du pacte qui s’institue. Il remarque que les objets symbo- liques ne peuvent être simplement référés à un usage pratique. Du symbole au langage il y a un pas. Le symbole se transforme en langage lorsqu’il est en plus libéré de la contingence d’une matérialité trop forte à quoi s’associe la permanence d’un sens, d’un concept. Ainsi naît l’univers du sens 13. Mais le symbole n’est pas le symbolique. Il faut attendre les années cinquante pour que l’idée du symbolique germe. Lacan nous offre, en s’appuyant sur la parole, un premier abord intuitif de l’ordre symbolique : le symbolique surgit lorsque l’on doit se pro- noncer, faire élection, s’engager, donner sa parole. Ces occasions permettent plus que d’autres de faire vivre en soi cette dimension particulière. C’est une conception nouvelle du symbolique. Elle lui donne une autonomie, une importance beaucoup plus grande, le rattache au langage et plus particuliè- rement à l’acte de parole. « Le symbole constitue la réalité humaine 14 » et « l’homme parle… parce que le symbole l’a fait homme 15 ». Le symbolique crée l’homme par opposition à l’animal qui est entièrement engagé dans les processus imaginaires et la nécessité biologique. Lacan pense avoir « retrouvé dans l’homme l’impératif du verbe comme la loi qui l’a formée à son image 16 ». Puis vient la reprise de l’hypothèse de Lévi-Strauss d’un univers sym- bolique réglé par ses structures et qui viendrait constituer l’homme dans son être même. Le symbolique, comme structure, façonne et fonde la réalité humaine. À l’alliance matrimoniale tout comme au langage préside une loi « impérative en ses formes mais inconsciente en sa structure 17 ». L’homme vient s’y intégrer et c’est ce qui organise le passage de la nature à la culture. Le rappel des données ethnologiques est explicite. « Si en effet les dons sur- abondants accueillent l’étranger qui s’est fait connaître, la vie des groupes naturels qui constituent la communauté est soumise aux règles de l’alliance, ordonnant le sens dans lequel s’opère l’échange des femmes, et aux presta- tions réciproques que l’alliance détermin… À l’alliance préside un ordre pré- férentiel dont la loi impliquant les noms de parenté est pour le groupe, LACAN, LE SYMBOLIQUE ET LE SIGNIFIANT 133 12. Ibid., p. 276. 13. Ibid., p. 276. 14. J. Lacan, « Le symbolique, l’imaginaire et le réel », Bulletin interne de l’Association française de psychanalyse, 1953, p. 420. 15. J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 276. 16. Ibid., p. 322. 17. Ibid. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.94.224.129 - 25/06/2020 08:26 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.94.224.129 - 25/06/2020 08:26 - © ERES comme le langage, impératif en ses formes mais inconsciente en sa struc- ture 18 ». Les hypothèses de Lévi-Strauss sur un système commun aux règles sociales et au langage sont reprises sous une forme affirmative et il l’applique à l’inconscient freudien. « Lévi-Strauss en suggérant l’implication des struc- tures du langage et de cette part des lois sociales qui règle l’alliance et la uploads/Philosophie/ lacan-le-symbolique-et-le-signifiant.pdf
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- Publié le Mar 16, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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