L’UN EST LETTRE Jacques-Alain Miller L'École de la Cause freudienne | « La Caus

L’UN EST LETTRE Jacques-Alain Miller L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir » 2021/1 N° 107 | pages 15 à 35 ISSN 2258-8051 ISBN 9782374710341 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2021-1-page-15.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Ce que je vais dire m’amuse, j’espère qu’il en sera de même pour vous. Cela ne va pas de soi, car plusieurs d’entre vous m’ont signalé ne pas être très à l’aise dans les références de la littérature philosophique. Ce n’est évidemment pas de nature à m’arrêter. Je vais essayer de vous communiquer des choses qui dans leur fond ne sont pas si simples, d’une façon qui porte suffisamment pour que cela vous reste comme repère, et même comme capteur, dans cette pratique où vous écoutez ce qui se dit au petit bonheur la chance quand le sujet est allégé des contraintes pesant sur sa parole. Déjà, on ne s’y retrouve pas en temps ordinaire, mais à laisser associer librement, on pédale vraiment dans la semoule lorsqu’on est à la place de celui qui, avec ça, doit organiser quelque chose – au minimum, une interprétation. Cela demande donc à être capté par un appa­ reil dont je donnerai les linéaments. Des bulles à la surface du réel Je repasse par des chemins déjà frayés dans ce cours, mais c’est pour faire apparaître un relief inaperçu jusque-là. À mes yeux, pour mon travail de réflexion, c’est un gain. Ainsi Jacques Lacan a-t-il pu énoncer à ses élèves stupéfaits que l’Autre n’existe pas. Insurrection ! C’était vraiment leur tirer le tapis sous les pieds, à un moment où le lieu de l’Autre appartenait (et c’est toujours le cas) au b.a.-ba de ce qui s’est cristallisé comme le lacanisme. Cette cristallisation s’est imposée au point que ce dit a très largement été 15 * Leçons des 16 et 23 mars 2011 du cours de J.-A. Miller « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8. Texte établi par Philippe Hellebois et Christiane Alberti, relu pour LCD par Pascale Fari. Non revu par J.-A. Miller et publié avec son aimable autorisation. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) L’orientation lacanienne passé par pertes et profits, malgré les efforts accomplis par mon ami Éric Laurent et moi-même qui avions choisi L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique comme titre d’un cours donné ensemble. Or, ce qui n’a pas été aperçu, et en tout cas pas explicité, c’est ceci – l’Autre n’existe pas veut dire exactement que l’Un existe. C’est une autre façon de dire Yad’lun, que Lacan avait jeté comme une jaculation et que je transcris ainsi dans le Séminaire qui finira par paraître. Cela avait-il été remarqué ? Quel est cet Un qui existe alors que l’Autre n’existe pas ? C’est l’Un du signifiant. L’Autre n’existe pas, cela ne signifie pas l’Autre n’est pas. L’Autre est – e.s.t, et non pas h.a.i.t, ça, c’est l’Autre méchant (qui peut d’ailleurs l’être). En tant que tel, l’Autre n’est pas du tout soustrait à l’être. Au contraire, on ne comprend rien à ce concept merveilleux forgé par Lacan du grand Autre sans saisir qu’il s’inscrit au niveau de l’être, à distinguer du niveau de l’existence. Impossible de s’y retrouver sans distinguer l’être et l’existence. Revoilà notre ontologie qui m’avait jadis tiré l’œil parce que je ne la trouvais pas tout à fait à sa place, à sa bonne place, dans le discours de Lacan à l’époque. L’ontologie est la doctrine de l’être, et l’Autre un lieu d’être, le lieu ontologique que vise tout dit et où s’ins­ crit le discours. Impossible de parler sans faire révérence au lieu de l’Autre. Cette révé­ rence, on la prend pour une référence, mais elle n’en est pas une. Il me faut vous prendre par la main pour que cela vous devienne évident. Faire naître des évidences à rebours du sens commun est difficile, mais il s’agit avant tout de vous apprendre à parler une langue. Lacan a réussi cela. Avec le temps, cela se tamponne, se recroqueville un peu, car il n’est plus là pour soutenir de sa voix les évidences qu’il faisait naître. Tâchons de les soutenir, de les ranimer. Relevons d’abord que l’équivoque est, depuis toujours, le trait qui distingue l’être. Je m’appuie là sur un savoir de rat de bibliothèque (que vous n’êtes pas obligés d’avoir acquis) ; ce trait apparaît donc en grignotant la bibliothèque. Quand on dit depuis toujours, parfois il s’agit de percées du côté de l’homme des cavernes – comme Lacan l’a fait avec les signes, les traits unaires, sur les cailloux et les ossements de bêtes du Mas d’Azil. Mais en général, dans notre tradition, avec l’expression depuis toujours, on ne remonte pas tellement au-delà de Platon et Aristote. On trouve un témoignage érudit de l’équivocité de l’être dans un écrit de Franz Brentano, que Freud a fréquenté et dont il a suivi les cours (ça vous donnera confiance…) Sa façon d’harnacher la découverte de ce qu’il appelle la dénégation, la Verneinung, n’aurait pas été possible sans quelques emprunts à ce professeur, notamment le distinguo entre jugement d’attribution et juge­ ment d’existence. En 1862, pour obtenir une habilitation universitaire, Brentano a commis une dissertation intitulée La diversité des acceptions de l’être d’après Aristote. Un sujet pareil n’était pas promis à être un best-seller, mais a trouvé un lecteur éminent avec le jeune Heidegger, lequel témoigne que ce livre a été son fil conducteur à travers la philosophie grecque. Brentano ne dénombre pas moins de sept significations de l’être chez Aristote. Rassurez-vous, je n’y entrerai pas plus avant, je le mentionne seulement pour soulever la question de ce qui vaut à l’être son équivocité, même en s’en tenant à un seul auteur, celui que l’on n’a pas cessé d’ânonner au long de notre tradition. Il s’agit en particulier de sa définition de l’être dans cet ensemble de papiers appelé Métaphysique 16 © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 23/07/2021 sur www.cairn.info par Keli Cristina Pacheco via Cité internationale universitaire de Paris (IP: 193.52.24.6) simplement parce que cela venait après les ouvrages sur la Physique – Aristote ne s’était pas occupé de leur rédaction, laissant cela à ses élèves, comme c’est le chic pour les penseurs de grande dimension. L’être est également équivoque parce qu’il tient au discours, à ce qui est dit. Sur ce point, Lacan est tranchant et précis. Voyez le Séminaire Encore, page 92, où il laisse en suspens qu’il n’y ait d’être que dans le dit, mais déclare certain qu’il n’y a du dit que de l’être. Impossible de parler sans déterminer un être, des êtres, de l’être, comme on dit de l’air, de l’air ! Appelons-le l’être de langage, celui qui ne tient son être que d’être dit. Évidem­ ment, ce peut être n’importe quoi. Nous sommes bien placés pour connaître cela. Nous en sommes recouverts lorsque nous sommes à la tâche de recueillir les dits de l’associa­ tion libre. L’association libre, c’est l’ontologie déchaînée – des mères phalliques, des pères qui n’en sont pas, des hommes qui se féminisent, des haines qui sont de l’amour, des souffrances qui sont des jouissances, et pour couronner le tout, une pulsion qui est de mort. A priori, cela ne vaut que ce que vaut la licorne ou le cercle carré ; ce sont des êtres de langage. Dites-vous bien que tout cela uploads/Philosophie/ lcdd-107-0015.pdf

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