Labyrinthe 34 | 2010 (1) Comment peut-on être systématique ? Le droit est un po
Labyrinthe 34 | 2010 (1) Comment peut-on être systématique ? Le droit est un poème encyclopédique L’organisation des savoirs dans la Science Nouvelle de Giambattista Vico Claudiu Gaiu Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/labyrinthe/4059 DOI : 10.4000/labyrinthe.4059 ISSN : 1950-6031 Éditeur Hermann Édition imprimée Date de publication : 1 février 2010 Pagination : 93-104 ISBN : 978-2-7056-6984-3 Référence électronique Claudiu Gaiu, « Le droit est un poème encyclopédique », Labyrinthe [En ligne], 34 | 2010 (1), mis en ligne le 01 février 2012, consulté le 05 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/labyrinthe/4059 ; DOI : 10.4000/labyrinthe.4059 Propriété intellectuelle 93 Le droit est un poème encyclopédique. L’organisation des savoirs dans la Science Nouvelle de Giambattista Vico Claudiu GAIU clausiro@yahoo.com Le système des connaissances, comme finalité de la rationalité savante théorisée au xviiie siècle, contient la tentation constitutive de mettre entre parenthèses l’historicité du savoir. Cet oubli est le point de départ des analyses de Horkheimer et Adorno qui voient dans l’affirmation énergique de la souveraineté de l’individu à l’époque des Lumières la dénégation des origines mythiques de la raison1. Par une philosophie qui pense à la fois les notions de système et d’histoire, Giambattista Vico se soustrait à l’accusation des représentants de l’école de Francfort et se recommande comme un héraut de la critique moderne de la dialectique de la raison2. Comme les deux penseurs allemands, il voit dans l’accom- plissement de la rationalité dans la société les prémisses d’un retour à la barbarie. Néanmoins, il n’explique pas encore cette rechute par l’essence calculatrice de la raison qui soumet aussi bien les choses naturelles que les forces humaines.3 Pour le professeur napolitain, le péril vient de l’individualisation égoïste, qui accompagne le progrès du savoir dans toutes les couches sociales. Sa méditation ne s’achève pas non plus sur une phénoménologie de l’aliénation, dont l’heure n’a pas encore sonné, mais dans une généalogie des formes de la rationalité. 1. Max Horkheimer, Theodor Adorno, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, trad. Eliane Kaufholz, 1974, p. 16. 2. Le nom de Vico est mentionné en passant à propos de l’origine économique et sociale des concepts de la philosophie grecque (Ibid., p. 38.), mais il y a des correspondances plus patentes entre les deux textes. Ainsi, la mise en évidence de la fonction originairement picturale des mots, dépistée dans les symboles religieux, et l’explication du divorce tardif de la poésie et de la science (Ibid., p. 34-35) se retrouvent dans les théories vichiennes de l’évolution du langage. De même, l’explication de la raison comme radicalisation d’une terreur mythique initiale n’est pas sans rappeler la doctrine de Vico du déploiement de la raison humaine à partir des fables religieuses constituées autour de la panique primordiale provoquée par la foudre jovienne. 3. Ibid., p. 94 Labyrinthe, n° 34 94 La Science Nouvelle (1744)4 de Giambattista Vico contient le projet d’une organisation générale des connaissances humaines et d’un diction- naire des idées produites par l’humanité depuis ses premiers balbutie- ments. Formées dans le cadre d’une science érudite des lois, et de la passion pour les belles lettres, les idées de Vico vont à l’encontre de la future Encyclopédie française. D’une part, son objet est principalement le monde civil des institutions sociales et politiques. D’autre part, la reconstitution du devenir humain impose des méthodes étrangères à l’esprit des Lumières transalpines : Vico conteste l’utilité de l’explica- tion analytique, incapable de saisir la force générative des concepts et de surprendre le cours de l’histoire. Selon lui, la raison synthétique doit surpasser l’illusion d’un arrêt de l’évolution de la nature, qui pourrait être soumis à une anatomie savante. Par conséquent, ses investigations sur l’ordre des savoirs ne s’accomplissent pas dans une Mappemonde des sciences. La cartographie épistémologique de d’Alembert est ainsi concurrencée par une chronologie de l’esprit humain. La systématisation des données est assurée par une vision historique et philosophique du droit. La science des lois et des coutumes semble destituer la métaphysique de son rôle organisateur et fondateur des bran- ches du savoir humain. Les difficultés du lecteur contemporain sont liées à l’accouchement difficile des sciences sociales d’une critique radicale du modèle des sciences de la nature. Accusant la partialité des savants qui se sont penchés seulement sur la réalité opaque des choses naturelles, Vico met en premier plan la transparence des institutions créées par l’homme5. À ses yeux, les différents systèmes de la nature et les métaphysiques correspondantes ne sont que des produits récents de l’esprit humain. À la recherche des œuvres originaires de l’humanité, à savoir les formes de la sociabilité, Vico s’empare ainsi du terrain réservé à l’érudition de la science juridique. Les ambiguïtés du texte proviennent de l’occultation de la transformation d’un savoir destiné à soutenir l’autorité par la formation des magistrats et la distribution de la justice dans une histoire critique de la légitimité du pouvoir. Détenant le critère du juste et de l’injuste, 4. Les Principes d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations, dont une première version, La Science nouvelle en forme négative (1724), a été perdue, voient le jour 1725. En 1730 Vico retire à son éditeur vénitien une nouvelle version et l’édition définitive ne sort des presses qu’en 1744, l’année de la mort de l’auteur. 5. Dans le même sens, cf. l’urgence et la nécessité d’un progrès de la science pratique dans Réflexions sur les réformes dans l’administration de la justice (1788) dans le texte de Déborah Cohen, p. 67-68. 95 Le droit est un poème encyclopédique la science nouvelle nous révèle les rapports de forces dans la société à chaque étape de l’histoire. L’œuvre maîtresse de Vico développe l’idée d’un système du droit naturel des peuples qui organise une théologie civile et rationnelle de la Providence, une philosophie de l’autorité, une histoire des idées humaines, un art critique de la genèse des notions et une science des principes de l’histoire6. L’ambition de présenter les principes d’une mise en ordre complète des connaissances humaines, qui anime la Science Nouvelle, est anticipée par des écrits antérieurs qui visaient une réforme de l’enseignement autour d’un « système unique de toutes les disciplines7 ». Plus tard, dans le prologue de son Droit Universel, Vico est toujours à la recherche des fondements d’une « encyclopédie »8. Si le terme est abandonné, l’idée d’un savoir complet reste constante dans l’évolution de la pensée vichienne. La question qui nous conduira à travers les dédales de la Science Nouvelle est donc celle de l’ordre des connaissances humaines, décrypté à partir des principes du système juridique universel de Vico. Ce savoir nouveau de l’univers humain organise la synthèse entre la conceptuali- sation philosophique et la recherche historico-philologique. Il réclame une nouvelle logique capable de rendre compte des articulations de la poésie et du mythe. Dans son Autobiographie, Giambattista Vico réécrit le processus de la constitution de son système. Premièrement, il éclaircit l’horizon de sa vision. Il admire l’effort théorique sublime des Grecs, qui ont légué à l’hu- manité les plus fins instruments conceptuels. Mais, pour lui, la métaphy- sique hellène trouve son couronnement dans la culture historico-juridique latine. La tentative de trouver dans la philosophie première d’Aristote, puis dans celle de Platon, les bases de l’éthique, éveille en lui, « sans s’en rendre compte9 », l’intention de concevoir « un droit idéel éternel10 », propre à régner sur une cité universelle. La pratique de la métaphysique 6. Le rôle du droit comme « principe architectonique » de la Science Nouvelle est souligné par Jean-Paul Larthomas dans « La "Scienza Nova" comme philosophie du droit », dans Noesis, Nº 8, 2005, p. 178. 7. De nostri temporis studiorum ratione (1708), xiv, dans Giambattista Vico Opere i, Bari, Laterza, éd. Giovanni Gentile et Fausto Nicolini, 1914, p. 119. 8. De universi iuris. (1720) De opera proloquium, V, 38, dans Giambattista Vico, Opere ii-i, Bari, Laterza, éd. Fausto Nicolini, 1936. 9. Autobiografia, in Giambattista Vico Opere V, Bari, Laterza, éd. Benedetto Croce et Fausto Nicolini, 1929, p. 12. 10. Ibid. Labyrinthe, n° 34 96 éloigne le penseur de la géométrie et de la logique, disciplines qui consis- tent dans l’observation attentive des « menues choses11 », préoccupation qui fait perdre de vue les catégories de l’être. Contrairement aux esprits analytiques, l’amateur de métaphysique trouvera ainsi satisfaction dans la lecture des orateurs, des historiens et des poètes, qui saisissent la raison commune sans céder à l’abstraction. Par conséquent, si Vico doit au platonisme l’idée d’un droit universel, il cherchera son accomplissement plutôt du côté de la jurisprudence romaine. Deuxièmement, Vico place dans cette perspective les œuvres qui font naître en lui l’idée d’un savoir insolite. Les héros de la formation de l’œuvre vichienne sont Platon et Tacite. Plus tard, ils seront rejoints par Bacon et Grotius. Chacun incarne une idée qui sera développée ultérieurement dans la pensée de Vico. Si Platon est la personnification de la sagesse conceptuelle de la tradition grecque, Tacite représente l’esprit métaphysique qui sait voir dans la réalité les genres philosophiques. Le disciple de Socrate nous expose une morale normative, celle de l’homme tel qu’il devrait être. L’historien latin uploads/Philosophie/ le-droit-est-un-poeme-encyclopedique.pdf
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- Publié le Oct 02, 2022
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