14 Défi mathématique, guide d’enseignement, 1er cycle, 2 LES SECRETS DE L’APPRE

14 Défi mathématique, guide d’enseignement, 1er cycle, 2 LES SECRETS DE L’APPRENTISSAGE Reproduction interdite © Les Éditions de la Chenelière inc. LES APPROCHES DIDACTIQUES Considérons que la didactique touche les aspects techniques de l’apprentis- sage alors que la pédagogie traite des relations humaines entre l’élève et l’en- seignante ou l’enseignant. Ainsi, la motivation relève de la pédagogie, et le contenu disciplinaire découle de la didactique. De la même façon, les déci- sions relatives à l’importance des exercices, à la place des explications et à la recherche personnelle sont de nature didactique. Tout comme les mathématiques, la didactique est une création du cerveau humain. Dans ce domaine aussi, il ne sera donc pas surprenant de retrouver les manifestations des diverses phases du fonctionnement cérébral : en fait, selon la conception que nous avons à la fois de l’apprentissage et des mathé- matiques, nous construisons la théorie didactique que nous voulons utiliser. On peut regrouper les didactiques en trois types distincts : la didactique sen- sorielle, la didactique discursive et la didactique heuristique. LA DIDACTIQUE SENSORIELLE C’est la plus ancienne : elle existait en Chine et en Grèce il y a plus de deux millénaires. C’est celle qu’utilisaient les corporations professionnelles du Moyen Âge lorsque des apprentis se voyaient confiés aux soins d’un maître, celle qui a régné sans rivale dans toutes nos écoles jusqu’au milieu du XXe siècle. La conception sur laquelle repose cette didactique affirme que les sens sont les outils privilégiés de l’apprentissage. Tout doit passer par les sens pour atteindre le cerveau, et le rôle premier de celui-ci consiste à enregistrer ce que les sens perçoivent. Dans ce but, l’élève doit imiter les gestes de l’en- seignante ou de l’enseignant jusqu’au moment où il peut les reproduire de façon presque mécanique. En fait, vu de cette façon, le cerveau humain est d’abord et avant tout un magnétophone ou un magnétoscope. L’enseignante ou l’enseignant devra donc tenter d’impressionner les sens au maximum. En plus d’utiliser la parole pour transmettre leurs connaissances, des enseignantes et des enseignants utilisent des moyens visuels, et d’autres encore emploient la manipulation d’objets divers. Les réglettes Cuisenaire, où les nombres sont illustrés par des bâtonnets de couleurs et de longueurs différentes, et le matériel Montessori révèlent clairement ce besoin de stimuler les sens. Il ne faudrait cependant pas conclure que la manipulation caractérise essentiellement l’approche sen- sorielle ; ce serait inexact : quelle que soit l’approche didactique, la manipu- lation et la représentation par un dessin constituent des outils aussi indis- pensables que la parole. Comme c’est la conception que l’on a du travail du cerveau qui détermine avant tout un choix didactique, en didactique sensorielle, le travail de l’élève et de l’enseignante ou de l’enseignant est essentiellement axé sur la repro- duction des connaissances. Les outils d’évaluation traduisent de façon très cohérente cette orientation : ce sont des tests écrits ou des récitations orales. Mais qu’en est-il des phases du fonctionnement cérébral au cours desquelles l’information est traitée et modifiée de façon logique ou analogique ? La didactique sensorielle a été élaborée parce qu’on voulait former de la main- Le cerveau est vu comme une machine qui enregistre ce que les sens perçoivent. 15 LES SECRETS DE L’APPRENTISSAGE Défi mathématique, guide d’enseignement, 1er cycle, 2 Reproduction interdite © Les Éditions de la Chenelière inc. d’œuvre technique, pas des penseurs. À une époque où les techniques étaient primitives, l’humanité avait peu de temps à consacrer à la réflexion et aux loisirs : subvenir aux besoins essentiels occupait un grand nombre d’heures chaque jour. Certes, les didactiques de l’époque ne niaient pas la capacité de penser, en plus de celles de mémoriser et de reproduire, mais cela ne pouvait être envisagé comme la base du travail scolaire. En fait, on concevait que des élèves plus doués allaient faire par eux-mêmes le travail de réflexion ; ceux- là étaient appelés à sortir des rangs, à devenir les leaders de la société. C’est donc sur une sorte de sélection naturelle que l’on comptait, et non sur le tra- vail systématique de l’école, pour développer la compréhension et le raison- nement chez les élèves. Considérer que la maîtrise du calcul et la mémorisation de définitions et de formules constituent la base des mathématiques est le signe sinon d’une adhé- sion à l’approche sensorielle, au moins de son influence. L’enseignement de trucs, de techniques, la mémorisation des tables et la multiplication d’exer- cices écrits visant l’efficacité, alors que la compréhension et la logique des concepts sous-jacents ne sont pas acquises, sont des pratiques qui découlent du choix de la didactique sensorielle ; de longs tests écrits où l’on tente de mesurer chaque connaissance et chaque technique en sont une autre. LA DIDACTIQUE DISCURSIVE À l’étape suivante, l’école, influencée par les nouveaux besoins de la société, s’oriente vers le développement de la pensée plutôt que vers l’acquisition d’habiletés d’exécution. Toutefois, on distingue encore mal les aspects analogiques et logiques de la pensée : sans le savoir, on développera surtout les fonctions logiques au détriment de l’analogie, qui permet d’associer les mathématiques à la réalité. L’outil privilégié d’enseignement sera ici l’explication. Celle-ci sollicitera de diverses façons l’intervention des élèves, que l’on questionnera pendant l’ex- plication ou seulement à la fin de celle-ci. Les élèves ne devront pas répéter ce qu’ils ont entendu, vu ou manipulé, mais plutôt le justifier dans leurs pro- pres mots. Ainsi, il ne leur suffira pas d’utiliser l’emprunt en soustraction, mais ils devront prouver, à partir de lois et de principes mathématiques, que la technique utilisée est correcte. C’est sans aucun doute l’introduction de l’enseignement basé sur la théorie des ensembles qui concrétise le mieux la didactique discursive. Avant cela, il suffisait de savoir additionner ; maintenant, il faut justifier chaque étape d’une addition au moyen des propriétés de cette opération. Par exemple, l’addition étant commutative, 3 + 5 = 5 + 3 ; par ailleurs, si 4 + 0 = 4, c’est parce que le zéro est neutre en addition. L’enseignante ou l’enseignant qui utilise la didactique discursive met énor- mément de temps à préparer ses cours : il faut tenter de tout prévoir et struc- turer les explications comme s’il s’agissait de théorèmes géométriques. Il s’agit de former des « têtes bien faites » plutôt que des « têtes bien pleines ». L’enseignement discursif nécessite pour l’ensemble des élèves un chemine- ment presque commun. Par conséquent, l’enseignante ou l’enseignant réus- sit à obtenir un certain succès chez quelques élèves, celles et ceux qui ne sont ni forts ni faibles. En effet, les faibles décrochent vite, car ils ne suivent plus, alors que, pour les « rapides », les indispensables retours en arrière au cours d’une explication constituent du temps perdu. En didactique sensorielle, la compréhension et le raisonnement sont reservés à l’élite. L’explication est l’outil privilégié d’enseignement en didactique discursive. 16 Défi mathématique, guide d’enseignement, 1er cycle, 2 LES SECRETS DE L’APPRENTISSAGE Reproduction interdite © Les Éditions de la Chenelière inc. Les failles de la didactique discursive Mais est-ce que la didactique discursive atteint son but, développe-t-elle la compréhension, le raisonnement et l’efficacité ? Dans les faits, les résultats sont décevants par rapport aux objectifs visés. Il semble y avoir deux raisons à cela. La première est en quelque sorte un malentendu causé par l’omniprésence de l’approche sensorielle, très bien connue des enseignantes et des enseignants comme des parents : n’est-ce pas ainsi qu’on a appris ? Certes, mais on a aussi beaucoup appris en dehors de l’école ! Et les enseignantes et les enseignants qui utilisent un tant soit peu l’approche discursive constatent très souvent que c’est en enseignant, c’est- à-dire en préparant leurs cours et en tentant de diverses façons de faire avancer les élèves en difficulté, qu’on réussit vraiment à maîtriser la matière. Car tel est l’un des drames de la didactique discursive, c’est l’apprentissage de l’enseignante ou de l’enseignant qu’elle favorise le plus. La seconde raison pour laquelle la didactique discursive n’atteint pas ses nobles objectifs est la confusion qu’elle trahit entre la compréhension et le raisonnement. Ainsi, lorsqu’une ou un élève ne comprend pas comment résoudre un problème écrit ou « raisonné », on dira que c’est parce que l’élève n’est pas logique ; en réalité, la difficulté est très souvent de nature analogique, l’élève ne parvenant pas à se faire une image globale du pro- blème : par exemple, faut-il additionner ou soustraire ? Qu’est-ce qui relie les données du problème à la question posée ? À cause de ce mauvais diagnostic, les efforts de l’enseignement porteront sur l’étude de structures logiques plutôt que sur la compréhension des données d’un problème. C’est un peu comme si, ayant constaté que des élèves éprou- vent des difficultés en compréhension de textes, on décidait de travailler exclusivement la grammaire ! Il ne faut donc pas se surprendre de constater que, dans les manuels d’en- seignement ensembliste, les contextes qui situent les données d’un problème disparaissent ou, au mieux, sont vus à la fin comme des applications des lois démontrées et, ensuite, mémorisées. La uploads/Philosophie/ les-approches-didactiques 2 .pdf

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