Jean-Pierre Descles Catherine Fuchs Linguistique et mathématique In: L'Homme, 1

Jean-Pierre Descles Catherine Fuchs Linguistique et mathématique In: L'Homme, 1969, tome 9 n°3. pp. 93-99. Citer ce document / Cite this document : Descles Jean-Pierre, Fuchs Catherine. Linguistique et mathématique. In: L'Homme, 1969, tome 9 n°3. pp. 93-99. doi : 10.3406/hom.1969.367056 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1969_num_9_3_367056 NOTES ET COMMENTAIRES LINGUISTIQUE ET MATHÉMATIQUE A propos d'un séminaire international de linguistique formelle par JEAN-PIERRE DESCLES et CATHERINE FUCHS Sur l'initiative du Séminaire de Linguistique formelle de l'École normale supérieure et du Centre de Linguistique quantitative de la Faculté des Sciences de Paris, s'est tenu en septembre 1968 à Aiguilles (Hautes- Alpes) un séminaire de linguistique formelle. Il réunissait des linguistes, des mathématiciens et des logiciens, venus de nombreux pays : Bulgarie, Danemark, États-Unis, France, Hongrie, Pologne, Roumanie, Suisse, Tchécoslovaquie. Nous présentons, regroupés selon leurs affinités conceptuelles, les différents thèmes qui furent abordés. Il est bon de rappeler, à la suite du linguiste et mathématicien roumain S. Marcus, les quelques définitions suivantes. La linguistique structurale dégage ses unités à l'aide de méthodes structurales, issues des travaux de Saussure, Hjelmslev... La linguistique mathématique reste un terme fortement ambigu, que nous allons tenter d'éclairer. La mathématique, depuis Hilbert et Bourbaki, se donne pour objet d'isoler et de définir des structures. La linguistique mathé matique structurale traite les unités dégagées par la linguistique structurale. La linguistique algébrique, définie, pour la première fois sans doute, à Venise par Bar-Hillel en i960, regroupe les travaux sur les grammaires formelles et les auto mates (Kleene, Chomsky) ou sur la théorie, plus algébrique, des monoïdes (Schut- zenberger) : c'est la linguistique algébrique generative ; il existe également une linguistique algébrique analytique (travaux de l'Europe de l'Est...). La linguis tique cybernétique (dite aussi quelquefois quantitative ou encore probabiliste) s'occupe de compter et de dénombrer des unités tirées d'un corpus, de calculer la probabilité de certaines séquences et d'en déduire l'information apportée par telle ou telle suite de symboles. La linguistique automatique s'appuie souvent sur des recherches mathématiques mais s'intéresse surtout aux applications de la linguistique aux langages de programmation. La linguistique transformationnelle, issue des travaux de Harris et de Chomsky, s'oppose, à tort sans doute, à la li nguistique structurale ; elle n'a cependant pas encore reçu de formalisation mathé- mathique satisfaisante. La linguistique appliquée désigne l'ensemble des recherches 94 JEAN-PIERRE DESCLES ET CATHERINE FUCHS effectuées en vue de l'enseignement, de la documentation, de la traduction automatique ; c'est donc un terme très général qui ne fait référence à aucune méthode particulière. Peut-on actuellement parler de linguistique mathématique ? Et si oui, que doit-on entendre par ce terme ? La confrontation entre spécialistes aux horizons divers et aux préoccupations différentes peut présenter un certain nombre de dangers ; un premier danger est celui de la juxtaposition de monologues entre initiés ; un second danger : établir des ponts artificiels, sans assez de précautions épistémologiques, entre deux domaines de recherche. Un troisième danger appar aît lorsqu'une discipline comme la linguistique ou la mathématique, qui tendent toutes deux à l'hégémonie, exerce son pouvoir de fascination sur les spécialistes des autres disciplines. La confrontation entre linguistique et mathématique présente toujours l'immense intérêt de voir réagir l'une sur l'autre deux sciences considérées comme « pilotes ». La linguistique a pour tâche de rendre compte des faits de langage attestés par l'observation des langues. En cela, elle est semblable à la physique qui, elle aussi, est contrainte par le fait physique ; la physique en effet veut expli quer l'observation issue de l'expérience et comporte une branche particulière, la physique mathématique, où les concepts et unités issus des théories physiques (e. g., la masse, la force, l'énergie...) viennent se couler dans les formes mathé matiques sur lesquelles se font les calculs et les déductions (voire prévisions d'autres faits non encore enregistrés qui, ainsi, confirmeront ou infirmeront les théories). Il est donc légitime a priori de parler d'une linguistique mathémat ique, qui caractérisera et traitera mathématiquement les concepts et unités dégagés par l'expérience, l'observation et la théorisation du linguiste. Si depuis plus de quatre siècles, on a constitué et développé une certaine mathématique pour prendre en charge toutes les unités physiques (équations différentielles par exemple), une autre mathématique peut également se constituer afin de se charger de toutes les unités linguistiques. Avant même de voir comment constituer cette mathématique, il faut se demander ce que peut être un modèle de forme mathématique. Le modèle, rappel ons-le, est une construction abstraite, ce n'est pas la réalité vécue mais une représentation de cette réalité ou, mieux, une simulation de la réalité, voulue par le constructeur du modèle. Il est particulièrement difficile dans les sciences humaines de construire des modèles qui soient en accord avec ce que l'on cherche, car on ne dispose pas encore d'outils assez fins. Citons J. von Neuman et O. Mor- genstern créateurs de la théorie des jeux, c'est-à-dire d'un modèle extrêmement simple de la réalité économique : « Des modèles (tels que les jeux) sont des construc tions théoriques qui supposent une définition précise, exhaustive et pas trop compliquée : ils doivent être aussi pareils à la réalité sous tous les rapports qui importent à la recherche en cours. Pour récapituler : la définition doit être pré cise et exhaustive pour rendre un traitement mathématique possible [...] La re ssemblance avec la réalité est requise pour que le fonctionnement du modèle soit significatif, mais cette ressemblance peut être habituellement restreinte à LINGUISTIQUE ET MATHÉMATIQUE 95 quelques aspects jugés essentiels pro tempore [Theory of Games and Economic Behaviour, 1944). Toutes les sciences veulent construire des modèles. La linguistique, elle aussi, veut inventer ses modèles. M. Gross écrit : « On ne peut plus contester que l'uti lisation des modèles en grammaire est à la base du renouveau spectaculaire qui s'est opéré en linguistique au cours des dix dernières années. Nous attribuons ce résultat à la contrainte imposée par la formalisation. En effet, le linguiste est tenu de définir son modèle de manière très précise, ce qui ne peut être fait qu'en termes logico-mathématiques » (revue Langages, 1968, 9, mars). La linguistique se trouve cependant dans une situation toute particulière lorsqu'elle élabore des modèles formalisés. Elle aspire à l'universel de par son objet : tout discours humain, on le sait, s'exprime dans un langage particulier et de ce fait appartient à l'univers linguistique. Ainsi se pose pour elle un problème souvent éludé : le discours de type mathématique appartient-il à l'univers linguis tique et peut-on alors parler de « langage mathématique » ? La réponse à cette question est importante sur le plan de la méthode. En effet, les rapports entre la linguistique et les mathématiques seront différents selon qu'il s'agit de traduire les énoncés d'un langage (e. g., le langage quotidien) dans un autre type de langage (e. g., un sous-ensemble du « langage mathématique ») ou bien de faire correspondre aux lois d'un langage certaines propriétés d'un autre univers (l'univers mathé matique) différent par sa nature. L'anthropologie, la sociologie ou la psychologie ne sont pas dans cette situation : un modèle mathématique de la parenté ou un modèle mathématique d'apprentissage peuvent s'exprimer dans un type de dis cours mathématique mais, que la mathématique appartienne ou non à l'univers linguistique, il s'agira toujours, pour l'anthropologue ou le sociologue, de simuler dans un univers un fait qui appartient à un autre univers totalement différent. Quels sont donc les modèles de forme mathématique utilisés en linguistique ? Rappelons une position du logicien R. Carnap : « Nous entendons par syntaxe logique d'une langue quelconque des formes, des propositions et autres créations grammaticales de cette langue. Il s'agit de formes, autrement dit nous laissons de côté la signification des propositions aussi bien que le sens des mots qui la composent. » R. Carnap distingue trois niveaux : syntaxique, sémantique et prag matique. Pour le niveau syntaxique, on se donne un alphabet de symboles, des règles de formation, des symboles de départ : on a constitué un système combi- natoire. On se donne ensuite des règles de déduction : une proposition est déduite des symboles de départ s'il existe une suite de propositions déduites les unes des autres à l'aide des règles déductives ; la proposition déduite est dite « consé quence ». Une proposition bien formée syntaxiquement (i. e., « conséquence ») sera déclarée vraie ou fausse en la plongeant dans un monde extérieur au système formel : cette opération donnera un « sens » aux propositions et nous parlerons alors du niveau sémantique. La pragmatique concerne les conditions de valida tion du message, dans le temps par exemple, et la mise en relation des propositions avec des sujets humains. R. Carnap parle « d'une langue quelconque » mais, remarquons-le, il avait l'habitude de manier la logique mathématique et n'était pas linguiste de profession. 96 JEAN-PIERRE DESCLES ET CATHERINE FUCHS Pourtant le linguiste N. Chomsky s'inspire de ces vues et crée des grammaires formelles utilisées en linguistique contemporaine. Il distingue lui aussi un certain nombre de niveaux ou composantes du modèle (morphophonémique - syntaxique - sémantique), définis chacun comme « a set of uploads/Philosophie/ linguistique-et-mathematique-pdf.pdf

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