L'IMAGINAIRE POLITIQUE DE LA THÉORIE DE L'ÉNONCIATION François Provenzano Éditi
L'IMAGINAIRE POLITIQUE DE LA THÉORIE DE L'ÉNONCIATION François Provenzano Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société » 2014/1 n° 147 | pages 133 à 150 ISSN 0181-4095 ISBN 9782735116089 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2014-1-page-133.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de la Maison des sciences de l'homme. © Éditions de la Maison des sciences de l'homme. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il s’ins- crit sur le terrain de l’histoire et de l’épistémologie de la linguistique par le biais de l’hypothèse suivante : le discours de la linguistique, comme d’ailleurs celui des autres disciplines scientifiques, est traversé par un imaginaire qui se lit dans les mots des linguistes. Ces mots sont envisagés ainsi dans la puissance de leur signifiant, et non uniquement comme des concepts bâtissant une théorie1. Nous reviendrons plus loin sur cette hypothèse et sur son application au cas de la linguistique de l’énonciation ; il nous faut d’abord contextualiser rapidement l’objet de cette étude. Dans l’histoire des idées linguistiques, le tournant des années 1960- 1970 est marqué en France par le paradigme structuraliste saussurien, indexé, notamment par l’avant-garde Tel Quel (Jenny, 2008 : 181 s.), sur la théorie marxiste pour servir une critique de l’ordre social bourgeois. Cette articulation du structuralisme et du marxisme, parfois problématique 1. Ce terrain est, en ce qui nous concerne, relativement neuf. Nous l’abordons depuis peu avec deux autres collègues de l’Université de Liège, Sémir Badir et Stéphane Polis, avec qui nous formons le collectif « Lttr13 » (voir bibliographie en fin d’article). Certaines idées de cette contribution ont donc une genèse collective ; cela dit, il va de soi que nous assumons personnellement l’hypothèse qui sera développée ici. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 94.239.53.253 - 13/04/2020 15:05 - © Éditions de la Maison des sciences de l'homme Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 94.239.53.253 - 13/04/2020 15:05 - © Éditions de la Maison des sciences de l'homme / FRANÇOIS PROVENZANO 134 et mouvementée, est une question déjà bien explorée, tant du point de vue strictement théorique (depuis les contemporains comme Louis Althusser et Lucien Sebag, jusqu’aux travaux de Thomas Pavel) que du point de vue socio-historique adopté par exemple par François Dosse ou Frédérique Matonti dans plusieurs travaux récents (voir bibliographie en fin d’article). Nous ne nous attarderons pas ici sur ces questions, qui nous servent plutôt de contrepoint pour porter notre attention sur l’émergence, dans les mêmes années, d’un autre paradigme, celui de la linguistique de l’énonciation, et interroger son articulation au politique. Attaché principalement aux deux figures fondatrices d’Émile Benveniste et d’Antoine Culioli, ce paradigme se trouve actuellement au centre de nombreux travaux qui, non seulement s’en revendiquent, mais aussi en interrogent les fondements et les filiations. Le présent tra- vail s’inscrit dans cette démarche génétique, mais tentera d’apporter sur ce moment de l’histoire des idées linguistiques un éclairage particulier, en postulant un lien imaginaire entre épistémologie et politique, plus particulièrement entre le projet de connaissance qui caractérise la linguis- tique énonciative (la manière dont il se formule) et le nouveau rapport au pouvoir tel qu’il traverse le discours social de la France de mai 1968. 1. Le terme et son imaginaire Qu’entend-on exactement par lien imaginaire ? Et qu’est-ce que la prise en compte de l’imaginaire peut apporter à l’histoire des idées linguis- tiques ? Au sein du collectif Lttr13, nous avons entrepris une enquête rhétorique sur la genèse et l’expansion de quelques termes phares de la discipline linguistique récente (énonciation, subjectivité, intersubjectivité) et proposons d’englober sous l’étiquette d’imaginaire d’un terme, sous bénéfice d’un inventaire plus raisonné, tout ce qui, parallèlement à son usage théorique, a trait aux valeurs connotatives ou rhétoriques (argu- mentatives, esthétiques, éthiques, sociologiques) qui peuvent aider à son émergence et à sa reconnaissance, et qui contribuent aussi, finalement, à son déclin et à son rejet. Ce qui nous intéresse ici c’est donc la puis- sance d’un Signifiant : puissance interne que peut déceler une recherche étymologique (en ce compris l’étymologie populaire), génétique (sur la « lignée » terminologique à laquelle il appartient), morpho-syntaxique (sur la dérivation, les constructions et collocations lexicales qu’il per- met), etc. Puissance également externe selon les cercles de notoriété et de diffusion auxquels il accède. Le Signifiant n’est pas roi pour autant. Il est évident que le terme demeure tributaire d’une conceptualisation et que son signifié conserve une prégnance première. Cependant, au lieu Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 94.239.53.253 - 13/04/2020 15:05 - © Éditions de la Maison des sciences de l'homme Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 94.239.53.253 - 13/04/2020 15:05 - © Éditions de la Maison des sciences de l'homme L’IMAGINAIRE POLITIQUE DE LA THÉORIE DE L’ÉNONCIATION / 135 de penser selon une généalogie des concepts, nous proposons de penser une génétique rhétorique des termes qui, même si bien sûr elle ne dira pas le fin mot sur la fortune d’un terme, n’en constitue pas moins une approche possible, selon nous trop peu considérée. L’emploi de ce concept d’imaginaire fait inévitablement penser aux travaux menés depuis la fin des années 1970 par Anne-Marie Houdebine et auxquels est attaché le concept d’Imaginaire linguistique2. Centré dans un premier temps sur le rapport entretenu par les sujets parlants avec leur langue, ce concept s’est élargi aux constructions théoriques elles-mêmes, ce qui fait dire à Houdebine : « la version qu’on donnera de la langue n’est que faite d’imaginaire. Cela même dans les travaux supposés scientifiques des linguistes. » (Houdebine-Gravaud, 2002 : 14)3 Nous souscrivons entièrement à ce postulat capital, en lui donnant cependant une orienta- tion particulière. Tandis que le concept d’Houdebine invite à considérer l’interaction d’une série de normes, qui trouvent elles-mêmes leur genèse dans un imaginaire social particulier, nous centrons notre attention sur des termes et, plus particulièrement, sur ce qui, dans ces termes, relie la conceptualisation linguistique à un imaginaire politique. Celui-ci ne se traduit pas nécessairement en normes d’appréciation linguistique ; nous dirons plutôt que c’est la théorie linguistique qui peut à nos yeux être reconduite à des principes de vision de la société et des rapports entre l’individu et la société. Plusieurs raisons nous font croire qu’une telle approche est particuliè- rement indiquée pour le cas du terme énonciation. Sans pouvoir en faire l’exposé ici, rappelons simplement que ce terme ne se laisse pas ramener aujourd’hui à un simple désignant. Dès Benveniste, il essaime dans le tra- vail du linguiste comme s’il rencontrait à chaque fois des conceptuali- sations en cours, pas forcément abouties, non pour baliser fermement ces conceptualisations, mais plutôt pour favoriser leur ouverture à des significations autres que conceptuelles. C’est ce travail terminologique particulier que nous appelons les fonctions imaginaires du terme. Parmi celles-ci, c’est donc la fonction politique qui va nous retenir ici, c’est-à-dire la rencontre entre le terme et, par le biais de ses constellations terminologiques, un air du temps qui lui permet de trouver une incidence inattendue, qui le fait, au sein de la théorie, véhicule de significations socio-politiques. 2. Dès Houdebine 1979 et jusqu’à Houdebine-Gravaud (dir.) 2002. 3. Cette veine d’investigation sur l’imaginaire linguistique des linguistes a notamment été exploitée dans les travaux de Ferenc Fodor sur Antoine Meillet (voir par exemple Fodor 1996). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 94.239.53.253 - 13/04/2020 15:05 - © Éditions de la Maison des sciences de l'homme Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 94.239.53.253 - 13/04/2020 15:05 - © Éditions de la Maison des sciences de l'homme / FRANÇOIS PROVENZANO 136 Une telle lecture n’a donc pour ambition ni de mettre au jour les sources textuelles de la théorie de l’énonciation pour y chercher un quel- conque substrat politique, ni de refléter les engagements politiques effectifs des théoriciens envisagés. Que Benveniste et Culioli aient affiché quelque proximité avec la pensée marxiste a finalement peu d’importance ici ; ni philologie ni sociologie, notre démarche prend pour objet la théorie comme rhétorique inscrite dans un discours uploads/Philosophie/ ls-147-0133-l-x27-imaginaire-politique-de-la-theorie-de-l-x27-enonciation.pdf
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- Publié le Mai 14, 2021
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