9/5/2001 LA PHILOSOPHIE DES VALEURS NEGATIVES DE LA VIE DE GEORGES CANGUILHEM G
9/5/2001 LA PHILOSOPHIE DES VALEURS NEGATIVES DE LA VIE DE GEORGES CANGUILHEM Georges Canguilhem, qui est mort en 1995, a largement renouvelé, au XXe siècle, la philosophie des sciences de la vie en publiant en 1943 un Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique qu’il a repris vingt ans plus tard sous le titre Le normal et le pathologique, complèté par de "Nouvelles réflexions" qui avaient pour objet d’élargir son étude du strict plan des normes vitales à celui des normes sociales. L’Essai de 1943 était une thèse de médecine, présentée devant la Faculté de Strasbourg alors repliée à Clermont-Ferrand. Canguilhem, qui était né en 1904, avait suivi un cursus d’études en philosophie, - ancien élève d’Alain au Lycée Heury-IV, il était entré à l’Ecole Normale Supérieure dans la même promotion que Sartre, Lagache et Aron -, puis s’était engagé, après avoir été reçu à l’agrégation de philosophie, dans une carrière d’enseignant du secondaire qui l’avait conduit en 1936 à Toulouse : c’est là que, intéressé depuis toujours par les problèmes de la vie et désireux de se spécialiser en histoire des sciences, ce qui nécessitait une formation scientifique appropriée, il a décidé, en vue d’acquérir cette formation, de s’inscrire, non à la Faculté des Sciences en vue d’y étudier la biologie, mais à la Faculté de Médecine, devant laquelle, malgré les aléas de la guerre - Canguilhem, qui avait démissionné de l’enseignement en 1940 parce qu’il ne voulait pas prêter au régime de Vichy le serment requis des fonctionnaires, s’était engagé dans la résistance auvergnate où, aux côtés du docteur Ingrand, il a joué un rôle important -, il a effectivement soutenu sa thèse sept ans plus tard, ouvrant ainsi la tradition française des agrégés de philosophie docteurs en médecine qui a été ensuite reprise par M. François Dagognet et Mme Anne Fagot-Largeau. Toutefois, à l’exception d’une très brève période durant laquelle il a été médecin du maquis du Mont-Mouchet, et a été à cette occasion en relations avec L. Bonnafé à l’hopital psychiatrique de Saint-Alban, il n’a jamais exercé la médecine. Après la guerre, Canguilhem a exercé les fonctions d’Inspecteur Général de philosophie, puis a préparé une thèse de philosophie et d’histoire des sciences sur L’histoire du concept de réflexe sous la direction de G. Bachelard, qu’il a remplacé dans sa chaire à la Sorbonne et à la direction de l’Institut d’Histoire des Sciences : après 1960, son oeuvre a commencé à être largement connue, et il a exercé une notable influence sur la nouvelle génération de philosophes français préoccupés des problèmes généraux du savoir considéré dans son rapport à son histoire et à son contexte social, en particulier M. Foucault dont il a dirigé la thèse sur L’histoire de la folie ; ce dernier lui a consacré, sous le titre "La vie : l’expérience et la science", un très beau texte, probablement la plus importante étude consacrée à la pensée de Canguilhem à l’occasion de la publication aux Etats-Unis d’un recueil de ses écrits. La décision de suivre des études de médecine répondait de la part de Canguilhem à une intention bien précise. Son propos était en effet de consacrer aux problèmes de la vie, non pas un regard objectif, artificiellement neutralisé par les conditions du travail en laboratoire telles que celles-ci avaient été exemplairement fixées au XIXe siècle par Cl. Bernard, regard qui, en vue de mieux la connaître, tue en quelque sorte la vie, mais une attention concrète, donc en situation, du type précisément de celle offerte par la clinique médicale, donc un "art" animé par le souci pratique de guérir, de restaurer la vie, et non une "science" uniquement préoccupée de connaître. Or, ceci est l’idée directrice de l’Essai de 1943, le biologiste et le médecin ont à l’égard de la vie des attitudes bien différentes et à la limite inverses l’une de l’autre, comme l’atteste la manière dont ils considèrent le rapport du normal et du pathologique. Pour le biologiste, c’est le normal, posé complètement dans l’abstrait comme un modèle idéal, qui constitue l’objet de son étude, par rapport auquel il mesure des marges de variation ou des écarts qui, au-delà de certaines limites statistiquement déterminées définissent le pathologique, ainsi mesuré en fonction du normal, lui-même identifié à une moyenne, comme un dépassement ou une transgression de ses règles. Alors que, pour le médecin, qui a devant lui, non pas une entité rationnelle abstraite déterminée par des paramètres stables, mais un être vivant qui, étant malade, est porteur d’une demande d’intervention thérapeutique dont la forme très concrète est sa souffrance, c’est le pathologique qui est premier, sinon logiquement, du moins existentiellement: et ceci dans la mesure où c’est lui, le pathologique, qui donne son point de départ à la formulation d’une exigence de normalité à laquelle la maladie offre avec force l’occasion de s’exprimer. Le malade est ainsi cet être qui affirme son identité comme étant perturbée par la souffrance, mais qui, sans cette souffrance, n’aurait pas de raison valable d’affirmer cette identité qui resterait tacite. De là la notion de "valeurs négatives" qui est à la base de toute la philosophie de la vie de Canguilhem, et qu’il justifie de la façon suivante : "Il est exact qu’en médecine l’état normal du corps humain est l’état qu’on souhaite rétablir. Mais est-ce parce qu’il est visé comme fin bonne à obtenir par la thérapeutique qu’on doit le dire normal, ou bien est-ce parce qu’il est tenu pour normal par l’intéressé, c’est-à-dire le malade, que la thérapeutique le vise ? Nous professons que c’est la seconde relation qui est vraie. Nous pensons que la médecine existe comme art de la vie parce que le vivant humain qualifie lui-même comme pathologiques, donc comme devant être évités ou corrigés, certains états ou comportements appréhendés, relativement à la polarité dynamique de la vie, sous forme de valeur négative ." ( G. Canguilhem, Le normal et le pathologique , éd. PUF, 1966, coll. Quadrige, p. 77). La vie est position de valeurs, et c’est ce qui la distingue sur le fond de tous les autres phénomènes naturels qui suivent des règles sans avoir à revendiquer des préférences, ni a fortiori à opérer des choix ; mais la vie, qui dans son fonctionnement normal n’a aucune raison d’y penser et les relègue au dernier plan de son attention, la santé étant, suivant la formule de R. Leriche souvent citée par Canguilhem, "la vie dans le silence des organes", ne pose ses valeurs au grand jour que lorsqu’elles sont contrariées par des événements qui en perturbent le cours et qu’elle ressent profondément comme intolérables : ainsi, c’est parce qu’il refuse sa souffrance que le vivant est amené à manifester son identité de vivant porteur de préférences qui sont l’expression de sa qualité propre de vivant. Au fond, cette thèse était déjà celle que Bichat avait formulée au début du XIXe siècle : la vie est l’ensemble des forces qui s’opposent à la mort, et en dehors de cette opposition elle n’a aucun moyen d’exprimer, de faire connaître et de se faire connaître à elle-même, les valeurs qui lui sont attachées. Cette thèse à première vue paradoxale suppose que la notion de maladie soit reprise et remaniée sur le fond. L’histoire de cette notion pourrait être ramenée à l’opposition entre deux grandes conceptions : l’une, sans doute la plus ancienne, et d’inspiration en dernière instance magique, voit dans la maladie l’intrusion d’une force étrangère, maligne, qui prend possession du malade et que la guérison s’efforce d’expulser en restituant à l’organisme sa pureté originelle ; l’autre, plus récente, et qui correspond en gros à l’avènement de la science positive, la ramène à une atteinte qui altère un aspect précisément identifiable du fonctionnement de l’organisme, sur lequel se concentre l’attention du thérapeute, qui a ainsi affaire à un coeur malade, à un foie malade ou à un cerveau malade dont il doit traiter par des moyens appropriés les affections spécifiques en ramenant ces organes à leur jeu normal, dont la normalité est susceptible d’une mesure précise. L’alternative entre ces deux conceptions se présente de façon parfaitement tranchée dans le cas d’une médecine purement somatique, qui accède à la positivité, ou du moins estime le faire, en découpant le corps en organes distincts, sur le modèle de ce que fait le biologiste dans son laboratoire où il parvient à isoler des foies, des coeurs ou des cerveaux considérés comme des entités autonomes obéissant chacune à sa loi ou norme de fonctionnement propre : le regard médical sur le corps souffrant s’impose alors une neutralité, une objectivité qui le plus souvent ont pour effet d’évacuer la considération de la souffrance et de l’identité de l’individu qui en est porteur, individu qu’il s’agit en quelque sorte de soigner à son insu, voire éventuellement malgré lui, conformément à la logique de l’opération qui a conduit à faire de lui quelque chose qui, pour des raison précises, se trouve en état de dysfonctionnement, donc une chose malade. Mais ceci ne va plus du tout de uploads/Philosophie/ macherey-philosophie-des-valeurs-negatives-canguilhem.pdf
Documents similaires










-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 24, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1663MB