QUE SAIS-JE ? La philosophie morale MONIQUE CANTO-SPERBER RUWEN OGIEN Quatrièle

QUE SAIS-JE ? La philosophie morale MONIQUE CANTO-SPERBER RUWEN OGIEN Quatrièle édition 11e mille Introduction es individus se posent constamment, à propos des choses les plus triviales comme les plus graves, des questions du type : Que dois-je faire ? Qu’aurais- je dû faire ? Quelles sont les limites de mes actions ? Jusqu’où puis-je aller ? N’aurais-je pas mieux fait de... ? Il est difficile de concevoir une délibération, une réflexion, une décision, un jugement même, pour peu qu’ils entretiennent un rapport même éloigné avec l’action humaine, qui ne soient guidés par ce genre de questionnement. Lorsque nous agissons, que nous délibérons sur nos actions, que nous prenons des décisions, nous sommes en quête de justifications, nous cherchons à montrer que c’était la meilleure chose à faire, en tout cas la moins mauvaise. De telles justifications prennent évidemment en compte les fins de ces actions (ce que nous voulons faire, ce qui leur donne de la valeur), les moyens appropriés à ces fins et les voies que nous pourrions utiliser pour les atteindre. Lorsque les finalités de nos actions ainsi que les moyens que nous avons de les réaliser deviennent les objets de ce questionnement, lorsque la délibération suppose la capacité psychologique de prendre une certaine distance par rapport à la situation où nous nous trouvons, d’adopter un recul critique à l’égard des besoins et désirs les plus immédiats, ce questionnement devient moral. Par exemple : est-ce bien la fin souhaitable, est-ce que les moyens sont légitimes, quelles sont les conséquences, est-ce que je remplis l’obligation particulière que j’ai à l’égard de cette personne ? Ces questions prennent sens par rapport à l’existence présumée de règles communes. Ces règles peuvent ne pas être explicites, ne pas être universelles. Elles peuvent rester non formulées, simplement générales, correspondre à ce qui se passe le plus souvent, elles peuvent être aussi plurielles. Mais, même ainsi, leur présence structure l’espace des actions possibles, car de telles règles permettent de discriminer entre ce qui est et n’est pas légitime, justifié L et moral, entre ce qui est plus ou moins légitime. Quel que soit le contenu qu’on donne à la moralité et même si l’on veut qu’elle soit un artifice, il est difficile de nier que toute vie humaine socialisée suppose l’existence de ce genre de règles, appelées normes : l’homme est un être normatif. Mais l’homme est aussi un être qui évalue. Dans les plus simples conversations, nous ne nous contentons jamais de transmettre simplement des informations, nous ne nous contentons pas d’exprimer des croyances sur les choses, les événements ou les personnes, mais nous exprimons, implicitement ou explicitement, nos façons de sentir, considérer, apprécier les faits ou les opinions que nous rapportons. Nos jugements moraux se présentent sous ces deux aspects : normatif et évaluatif. Sans cette possibilité de juger, on ne pourrait justifier ce qui motive et justifie l’emploi d’un vocabulaire moral lorsque nous disons que certaines actions, situations ou personnes sont bonnes ou mauvaises, justes, injustes. On ne pourrait expliquer non plus que nous ressentions de la culpabilité ou de l’indignation au vu de certaines actions ou que nous considérions comme légitime de les approuver ou de les désapprouver. Peu importe à ce stade quel est le contenu de ces normes ou évaluations et ce qui les justifie, peu importe qu’elles soient les mêmes pour tous ou qu’elles puissent être en conflit. On peut comprendre une grande partie du comportement humain comme l’expression de cette relation aux normes et aux valeurs. L’intériorisation des normes et des valeurs implique l’adoption d’une sorte d’attitude interne (laquelle consiste à reconnaître la valeur, éprouver les sentiments appropriés, ressentir la réprobation). Une telle disposition ne signifie pas un manque d’autonomie. La raison en est que la norme à laquelle se rapporte tel ou tel acte donne souvent une ressource rationnelle pour évaluer cet acte, l’accepter de façon autonome et lui reconnaître une valeur propre. I - Morale, éthique, déontologie La morale est constituée, pour l’essentiel, de principes ou de normes relatives au bien et au mal, qui permettent de qualifier et de juger les actions humaines. Ces normes peuvent être des lois universelles qui s’appliquent à tous les êtres humains et contraignent leur comportement. Il s’agit, par exemple, du respect dû à l’être humain en tant qu’homme, de l’obligation de traiter les individus de manière égale, du refus absolu de la souffrance infligée sans raison. De telles normes constituent le socle commun des cultures démocratiques libérales. Certaines d’entre elles ont été codifiées dans des systèmes juridiques, elles ont été traduites dans des lois ou principes juridiques dont la base est clairement morale. D’autres ont gardé leur nature propre de règles morales. Ce qui distingue ces dernières des lois juridiques proprement dites est le fait qu’elles sont non pas tant publiques et consignées dans des codes que connues de tous et intériorisées. La contrainte qu’exerce la morale se traduit par le fait que la violation de ses règles suscite le trouble de la conscience, la désapprobation ou le jugement moral négatif, plutôt que des sanctions publiques administrées par des corps organisés. Le caractère relativement stabilisé de ce système de normes morales ne doit toutefois pas faire ignorer que, s’il correspond pour une part à l’aspiration universelle des êtres humains à discriminer entre les comportements moralement admissibles et ceux qui ne le sont pas, il résulte aussi de l’histoire. Notre rapport moral au monde provient de la superposition de plusieurs traditions morales qui informent encore la manière dont nous évaluons les réalités et les actions. Les valeurs héritées du monde antique, et surtout du stoïcisme, sont encore parmi nous. Leur influence se traduit par le prix que nous accordons à l’autonomie rationnelle, à la vie intellectuelle, à la recherche de la perfection et à la réussite de la vie personnelle. L’héritage du christianisme façonne lui aussi profondément notre existence morale. L’exigence d’égalité morale entre les êtres humains, indépendamment de leur naissance ou de leurs talents, la reconnaissance de la valeur immense accordée à la vie humaine en résultent. Les morales du devoir, que la philosophie de Kant a incarnées de manière excellente, ont mis au premier plan le caractère impératif des commandements moraux, et l’importance des principes d’universalité et d’impartialité. Elles sont déterminantes de notre vision du monde. Les morales utilitaristes ont elles aussi contribué à former en nous une exigence d’attention aux conséquences, qui est au cœur des éthiques modernes de la responsabilité. Ces différents héritages coexistent dans la morale contemporaine. Ils forment une culture commune dans laquelle des engagements, comme le respect de l’homme, l’égalité entre les humains, l’impartialité et le caractère universel des jugements sont premiers. Mais dans notre culture morale commune figurent aussi des évaluations morales inspirées des idées de perfection et de réussite de la vie (héritées des morales antiques), ainsi que le souci général d’une responsabilité humaine en face des autres hommes et du monde. Pareille pluralité de valeurs ne compromet aucunement le caractère commun et partagé de notre expérience morale. Par rapport à cette définition générale, les sens des termes « morale » et « éthique » tendent à se confondre. Il est vrai que, dans l’usage qui en est fait aujourd’hui, une différence d’accent s’est peu à peu établie entrer ces deux expressions. La morale désigne le plus souvent l’héritage commun des valeurs universelles qui s’appliquent aux actions des hommes. D’où la connotation un peu traditionaliste qui reste attachée à ce terme. Par contraste, le terme « éthique » est plus souvent employé pour désigner le domaine plus restreint des actions liées à la vie humaine. En ce sens, il demeure indemne des reproches de conformisme ou de « moralisation » portés contre le terme « morale ». Mais il ne faut pas exagérer la différence de sens entre ces termes qui peuvent être dans la plupart des cas employés indifféremment. Le fait que morale et éthique associent règles universelles d’actions et normes du comportement individuel, le fait aussi qu’il existe une part de la réflexion éthique relative à l’accomplissement de la vie personnelle ne doivent toutefois en aucun cas laisser penser que la morale et l’éthique sont une affaire de préférences individuelles. Elles ne relèvent pas non plus d’une conception strictement personnelle de ce qui est bien ou mal. Elles ne consistent aucunement à laisser chacun se forger son propre système de valeurs ou de principes qu’il serait alors en droit de qualifier légitimement d’éthique. L’éthique n’est pas le lieu de l’arbitraire de chacun. L’éthique se formule à partir de principes universels, de règles communes, de référents partagées qui forment la base solide et collective des évaluations et des jugements. Toutefois, dans tout domaine d’activité spécifique, ces règles et valeurs prennent souvent une expression particulière. À la morale commune est ainsi associée une morale professionnelle. Qu’il existe une morale propre à une profession paraît une évidence dès qu’on considère que les pratiques poursuivent un bien particulier. Dans le cas de la magistrature, ce bien consiste, en principe, en l’exercice de la justice (il s’agirait de la santé pour uploads/Philosophie/ manual-para-elaboracao-de-artigos.pdf

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