1 MODELES URBAINS ALTERNATIFS AUX MODELES NEOLIBERAUX Marc Gossé, professeur à
1 MODELES URBAINS ALTERNATIFS AUX MODELES NEOLIBERAUX Marc Gossé, professeur à l’Institut d’architecture LA CAMBRE, Bruxelles MODELES URBAINS DOMINANTS Les formes d’urbanisation diffuses contemporaines affectant les centres urbains, les périphéries et les campagnes font de ces territoires un nouvel enjeu fondamental du développement urbain. Ces territoires connaissent des processus de transformation qui sont largement l’expression du néo-libéralisme contemporain: éclatement, étalement, disneyification, gentryficaton, tertairisation, privatisation, etc conduisent à la conformation d’un espace urbain aux réalités sociales, économiques et culturelles multiples et nouvelles, mais dont le caractère ségrégationniste, d’exclusion et de domination interne et/ou exogène est problématique. Dans la vision néolibérale, les dynamiques qui affectent ces transformations spatiales ne s’inscrivent plus à l’intérieur d’un rapport d’opposition ville – campagne, ou centre – périphérie, mais à l’intérieur de réseaux à l’échelle d’un vaste territoire englobant ces réalités. Maints exemples concrets en attestent, tout autant que les nombreuses théories qui tentent de saisir et d’expliquer ces phénomènes ou de les rencontrer du point de vue des pratiques disciplinaires (la « ville générique » de R. Koolhaas, la « ville diffuse » de M. Weber ou B. Secchi, l’ « after- sprawl » de X. De Geyter, etc). Une nouvelle fois, les modèles -les théories, les outils et les pratiques- du Nord (en particulier le Nord américain), s’imposent au Sud, n’épargnant pas non plus l’Europe. Sur le continent européen, les modèles dominants de consommation territoriale, de déqualification des centres historiques (voués au tourisme), de mythification de la périphérie (le pavillonnaire villas-quatre- façades) et de la mobilité (de plus en plus problématique), se substituent aux modèles locaux traditionnels ou modernes de la ville compacte, dense (que ce soit sous la forme de la ville-rue aux édifices mitoyens, de la cité-jardin ou de la ville à immeubles isolés en hauteur sur fond d’espaces verts), en somme de la distinction ville-campagne, pourtant plus conformes à la notion de développement durable. Au Sud, les modèles locaux sont également en crise (après les modèles coloniaux et un bref engouement post-indépendance pour les traditions 2 locales) et ce sont les nouveaux modèles du Nord, parmi ceux cités plus haut, qui sont prônés, voir même interprétés à partir de situations locales totalement dérégulées et transformées par la puissance-même d’un développement néo-libéral forcené (cfr. Lagos proposé comme modèle urbain à l’ensemble du monde par R. Koolhaas 1 ). Nulle place sérieuse n’est plus faite à la référence urbaine historique locale, comme les médinas du monde arabe ou d’autres modèles sino- japonais, entre autres, ou même à la référence moderniste, comme les multiples villes nouvelles d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie (comme Brasilia ou Chandigarh, par exemple), ni même aux particularités culturelles et formelles de l’habitat illégal ou irrégulier aujourd’hui en phase de maturité et « durcifié», susceptibles de constituer des alternatives endogènes. La domination des modèles néolibéraux contemporains va même jusqu’à contester la pertinence de champs disciplinaires comme l’urbanisme (malgré ses multiples formes d’évolution récentes), au profit de nouvelles “disciplines” nées avec la ville diffuse, comme le paysagisme (dans le champs « formel »), la bonne gouvernance ou la gestion participative (dans le champs socio-économique et politique), dont l’importance est grandissante dans la recherche, la pratique professionnelle ou l’enseignement. ENJEUX DE LA DIVERSITE CULTURELLE « Ce n’est pas parce que le caméléon est hypocrite qu’il change de couleur; c’est parce la nature a horreur de l’uniformité » Hamadou Hampâté Bâ L’architecture et l’urbanisme sont des disciplines fondamentalement culturelles ; elles mettent en jeu le caractère anthropologique de nos spatialités et les processus de conception et de production qui les matérialisent. Les cultures ne sont pas des « donnés » de l’histoire des sociétés mais le processus-même de leur histoire. Les cultures se livrent une lutte d’identités permanente qui s’exprime non seulement par des références au passé, mais surtout par des processus récurrents d’auto-détermination et de projection dans l’avenir, à partir 1 Voir notre article « Koolhaas l’africain » dans la revue Urbanisme, juin 2001 3 d’un présent où coexistent traces du passé et projets potentiels de modernité. A l’heure de la mondialisation-globalisation néolibérale de ce début de siècle, la question de la diversité culturelle est centrale –comme le montre le débat autour de l’ « exception culturelle » à l’OMC- et constitue un enjeu non seulement économique mais de civilisation. Il s’agit de savoir, comme le posait déjà Senghor, si nous allons vers une civilisation universelle –c’est à dire la domination planétaire d’une civilisation particulière (sans doute nord-américaine)- ou vers une civilisation de l’universel, qui reconnaisse à la fois la valeur universelle de toutes les cultures, dans leur diversité, et le partage d’universaux comme l’équité, la liberté ou le respect de la nature, pour ne citer que ceux qui correspondent à la sensibilité contemporaine… Parce que la mondialisation néo-libérale, dans ses formes actuelles, entraîne la destruction de la diversité culturelle, de l’environnement et du lien social, nous posons l’acte de conception architecturale comme un moment crucial de responsabilité politique, éthique et culturelle. Bien sûr, l’architecte n’est pas habilité à établir seul les besoins ou les aspirations de la société et de ses membres; son rôle et sa responsabilité consistent à proposer les transformations spatiales nécessaires -ce que Andreas Ruby a appelé de la « protoarchitecture », avec la participation des acteurs sociaux, les plus cohérentes et appropriées, en les confrontant à la rationalité intrinsèque et la « durabilité » du projet, au sens du concept de développement durable. Mais en amont ou complémentairement au processus participatif nécessaire, dans le temps de l’action et de la conception, il faut se rappeler les processus anthropologiques à l’œuvre dans la longue durée. Emmanuel Todd, nous indique par l’ensemble de son travail, à quel point les valeurs anthropologiques se transmettent avec constance à travers la structure familiale, démonstration dont Marx et Engels avaient déjà eu l’intuition. Todd, à nos yeux, a grandement clarifié les bases anthropologiques de la question domestique, son travail étant fondé sur les structures et valeurs anthropologiques familiales, dont le cadre d’expression est principalement la « maison » 2. 2 voir notre article « L’hypothèse anthropologique » in Arch & Life, Liège 1990 4 Mais la même démarche pourrait s’appliquer à la question des modèles urbains. FONDEMENTS ANTHROPOLOGIQUES DES MODELES URBAINS E. Todd a vérifié l'hypothèse selon laquelle les sociétés, leurs idéologies et leurs systèmes politiques, comme expressions de rapports sociétaux, sont à l'image des rapports tissés au sein de la famille, des systèmes de parenté et d'héritage chers aux anthropologues. Ces rapports changent très lentement, car ils s'acquièrent à travers l'éducation familiale, de manière implicite. Il établit une typologie de la famille telle que la livre une riche couverture d'études anthropologiques et ethniques des populations diverses de la planète et en établit la cartographie. Cette typologie (cfr. schéma 1) peut se définir par rapport à deux axes croisés signifiant des valeurs fondamentales par rapport auxquelles se définit chaque société et chaque individu, par l'éducation qu'il y a acquise: l'autorité et la liberté, l'égalité et l'inégalité. Autorité et liberté se réfèrent aux parents et en particuler au père, mais aussi règlent les rapports conjugaux; égalité et inégalité caractérisent le statut des enfants, entre frères et soeurs, dans les règles d'héritage comme dans la vie quotidienne. 5 Selon E. Todd, il y a quatre grands types de familles : les familles nucléaire-égalitaire (A), nucléaire-abosolue (D), communautaire (B) et autoritaire ou "souche"(C). Elles se caractérisent par rapport aux axes liberté/autorité et égalité/inégalité. Ainsi la famille nucléaire-égalitaire se caractérise par des rapports familiaux de liberté et d'égalité, la famille communautaire par des rapports d'autorité et d'égalité, etc … La cartographie de ces typologies révèle des ensembles de régions et de populations dont les systèmes politiques et la société civile correspondent étonnamment aux caractéristiques typologiques décrites (schéma 2). Le schéma 3 exprime l'idée que les familles nuléaires-égalitaires (A) et communautaires (B) ont une tendance à accepter un certain collectivisme, des mécanismes de solidarité où les systèmes "socialistes" trouvent un terrain propice, tandis que les familles nulaires-absolues (D) et autoritaires (C) penchent vers l'individualisme et les systèmes "libéraux". Cette répartition bipolaire est tempérée par une tendance aux systèmes à pouvoir fort pour les familles communautaires (B) et autoritaires (C) et une tendance à la prééminance de la société civile à pouvoirs faibles pour les familles nucléaires-égalitaires (A) et nucléaires-absolues (D). L'anthropologie de l'espace 3 nous apprend que ces répartitions correspondent également à des caractéristiques spatiales dominantes (schéma 4). 1) - Systèmes à limites fortes en A et B - Systèmes à limites faibles en C et D 2) - Systèmes en réseaux en A et D - Systèmes en arbres en B et C La question de la limite est essentielle tant au niveau du moi que de la relation interpersonnelle 4 ou collective (le groupe d'habitation comme hameau, voisinage, rue, village ou ville …) à l'espace. 3 Voir "L'anthropologie de l'espace", F. Levy et M. Ségaud, Editions Centre Pompidou, Paris, 1983. 4 "La dimension cachée", Ed. Hall. Seuil 1977 6 Celle de la répartition spatiale ou structurelle, en séries répétitives (réseaux) ou par systèmes hiérarchisés (arbres) est tout aussi uploads/Philosophie/ marc-gosse-medina-modele-alternatif.pdf
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- Publié le Mai 23, 2021
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