Jean-François Lavigne Université Paul Valéry, Montpellier III PETITE MÉTHODOLOG
Jean-François Lavigne Université Paul Valéry, Montpellier III PETITE MÉTHODOLOGIE POUR LE COMMENTAIRE DE TEXTE PHILOSOPHIQUE Règle d'or du Commentaire de texte philosophique : Le but d'un commentaire de texte est de servir le texte, c'est-à-dire d'aider un lecteur à apercevoir, de façon clairement compréhensible, et exacte, le sens qui est le sien. La simple énonciation de cet idéal indique déjà plusieurs présupposés, qui ne vont pas de soi, et qu'il est donc utile d'expliciter. La tâche du commentaire de texte présuppose : 1° Que le texte proposé a un sens ; c'est-à-dire, qu'il ne déclare pas n'importe quoi, au hasard, ou pour des motifs purement esthétiques (belle langue, plaisir du texte, etc.) : un texte philosophique a un sens, signifie qu'il est animé par une intention théorique : il vise à exprimer une manière de penser, une opinion ou une thèse, et à prendre position par rapport à cette pensée/opinion/thèse, ou au moins à suggérer une telle prise de position. Bref : l'auteur a une hypothèse ou thèse, ou un jugement à communiquer à son lecteur, et le texte est orienté vers (d'où l'idée de « sens ») la communication de ce jugement/cette thèse/ cette hypothèse. 2° Que le sens que recèle le texte est bien le sien, c'est-à-dire n'est pas un effet d'illusion dû à l'effet que le texte produit sur moi, son lecteur1. Il peut en effet arriver que, en fonction des convictions ou des préjugés qui sont les miens, je sois porté à attribuer au texte telle ou telle signification. Pour ne pas être ainsi aveuglé par ses opinions personnelles, le bon commentateur commence par faire abstraction de ses convictions personnelles Remarque : Cette règle d'or est très précieuse, parce qu'elle offre l'occasion et le moyen d'une libération de l'intelligence. Notre intelligence, en effet, lorsqu'elle s'accoutume à juger régulièrement en fonction des mêmes principes, est menacée par le risque de la routine intellectuelle, qui aboutit très vite au dogmatisme et à la passivité de l'esprit. Pour posséder véritablement des convictions propres, il faut pouvoir en rendre compte, à soi-même et aux autres, en explicitant les raisons bien fondées qui nous les font adopter et garder ; et pour cela, il est nécessaire de se les réapproprier régulièrement, en les confrontant à d'autres modes de pensée et d'autres jugements (théoriques ou moraux). Cette même règle est aussi libératrice socialement : car en m'obligeant à m'ouvrir à la compréhension d'une manière de juger et de raisonner qui ne sont pas les miens, ou qui vont même à l'encontre de mes convictions propres, elle me protège contre le danger du dogmatisme, qui est le fondement intellectuel de l'intolérance et du sectarisme. Le bon commentateur se donnera donc d'abord pour règle d'adopter une attitude d'esprit impartiale : il cherche à comprendre le texte tel qu'il est, sans y ajouter d'éléments qu'il ne contient pas, 1 Si par exemple je lis un extrait de la première section de la « Dialectique transcendantale » de la Critique de la raison pure, qui s'intitule « Les paralogismes de la raison pure », (où Kant défend l'idée qu'on ne peut démontrer par un pur raisonnement fondé sur le constat du « je pense » – le célèbre « cogito, ergo sum » de Descartes – la réalité substantielle, c'est-à-dire subsistante par elle-même, d'une « âme » du sujet pensant), et que ce texte me semble aussitôt être une négation matérialiste de toute âme ou principe spirituel dans l'homme, je dois d'abord me demander si cette intention est bel et bien inscrite ou indiquée dans le texte lui-même, ou si ce n'est pas, peut-être, une illusion de lecture, due à ce que, étant moi- même d'une opinion opposée (si je crois que tout homme est non seulement corporel, mais aussi doté d'une « âme » immatérielle, et en conséquence immortelle) je réagis spontanément à toute critique de la compréhension traditionnelle de la notion d'« âme » en y voyant la menace d'une négation pure et simple. mais sans non plus rien laisser de côté de ceux qu'il contient. La règle pourrait s'énoncer, en résumé, ainsi : Déterminer le sens du texte avec le maximum d'objectivité ; et pour cela, se laisser guider uniquement par le texte, et par tout le texte. Application : Ce principe d'objectivité – la neutralisation des présupposés personnels – doit s'appliquer à chacune des deux étapes de l'exercice. En effet, le commentaire de texte s'élabore en deux temps : 1° Lecture : Il s'agit de comprendre clairement la structure logique du texte. 2° Rédaction de l'interprétation-commentaire : il s'agit de trouver les mots, expressions et formules qui pourront le mieux faire comprendre à mon lecteur le sens que j'ai aperçu. 1ère étape, Lecture : Déterminer le plus objectivement possible le sens du texte. Le sens qui est inscrit – explicitement, mais aussi et surtout implicitement (on reviendra plus loin sur cette différence des deux niveaux de lecture) – dans le texte lui-même ne coïncide pas nécessairement avec le sens que l'auteur a lui-même voulu y mettre : le sens qu'on cherche à définir doit être son sens objectif : il est donc propre au texte, et ne se confond pas forcément avec l'intention subjective de l'auteur. Ce n'est pas une « pensée » (au sens d'un acte psychologique) de l'individu Untel que nous étudions (même si c’est Platon, Descartes ou un autre grand esprit célèbre), mais un contenu de signification, objectivement intelligible : un message philosophique. Conséquence : Les informations à caractère biographique (sur la personne de l'auteur, les épisodes de sa vie, etc.), n'ont le plus souvent aucune importance pour l'interprétation d'un texte (il peut toutefois y avoir aussi des exceptions, c'est à apprécier selon les cas). La détermination exacte du sens du texte devra donc reposer, d'abord et principalement, sur les indices que fournissent les expressions textuellement présentes dans le texte. Donc, dans le commentaire, on n'a pas à commencer par « présenter l'auteur », ou à faire précéder l'étude ordonnée du texte par des considérations historico-anecdotiques. Pour déterminer objectivement le sens d’un texte, il est recommandé de ce guide des en répondant à quelques questions méthodiques élémentaires : 1°/ de quoi s’agit-il dans ce texte : quel en est le thème général ? 2°/ Quelle est la thèse que l’auteur s’efforce de défendre ou de démontrer ? 3°/ Quelles sont les principales étapes de son raisonnement ? 4°/ Quels sont les mots-clés ou les expressions qui apparaissent comme décisifs dans ce raisonnement ? Enfin, lorsqu’on aura déterminé la réponse à ces quatre questions directrices, on pourra chercher à répondre à cette dernière : 5°/ Quels sont les présupposés — c’est-à-dire les affirmations ou opinions sous-entendues, non explicites, qui permettent à l’auteur de conduire son raisonnement comme il le fait ? À partir des réponses données à ces cinq questions, l’auteur du commentaire peut établir le plan schématique (en résumé) de la structure logique du texte : Un texte philosophique, en effet, est toujours conduit par une intention démonstrative, et il est toujours, par conséquent, ordonné selon une construction logique précise. Les phrases ne s’y succèdent pas au hasard, ni d’une façon imprévue : L’exercice de lecture consiste donc à découvrir les raisons cachées pour lesquelles l’auteur a ordonné son texte comme il l’a fait. Lorsque j’ai vu comment s’enchaînent les éléments du texte dans cette structure logique, je suis en mesure de le comprendre en profondeur ; et donc d’en faire voir la cohérence, et d’expliquer pourquoi il parvient à la conclusion qui est la sienne. 2ème étape, Rédaction du commentaire : Manifester clairement la cohérence logique du texte et les raisons de ses conclusions. Le texte de mon commentaire n’a pas nécessairement à suivre un ordre exactement parallèle à celui des énoncés qui se trouvent dans le texte commenté. Le commentateur est libre d’adopter, dans son commentaire, un ordre logique différent de celui du texte. Cela s’impose, en particulier, lorsque l’auteur ne place qu’à la fin du passage étudié un énoncé ou une expression qui est nécessaire pour comprendre le commencement de son raisonnement. Il y a en effet des textes où l’auteur ne déclare vraiment ce qui constitue son argument décisif, ou son intention finale, qu’en dernier lieu, après avoir laissé planer un certain mystère. Dans ce cas, le commentateur devra placer au début de son propre commentaire la désignation et l’explication de l’idée fondamentale, même si celle-ci n’est clairement formulée ou désignée par l’auteur que dans les dernières lignes du passage. La règle de référence pour composer, c’est-à-dire ordonner, votre commentaire, ce n’est donc pas la succession matérielle des phrases du texte commenté, mais la suite logique des étapes du raisonnement de l’auteur. Il arrive que la succession des étapes logiques du raisonnement ne se reflète pas dans la succession des phrases. À cette règle valable pour la composition du commentaire, il faut ajouter un second principe de méthode, concernant le but à rechercher : le but que doit avoir le commentateur, ce n’est jamais de redire autrement ce que l’auteur lui-même dit déjà explicitement (et uploads/Philosophie/ methodologie-du-commentaire-de-texte-philosophique.pdf
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- Publié le Sep 27, 2022
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