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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Yvon Gauthier Philosophiques, vol. 32, n° 2, 2005, p. 357-368. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/011872ar DOI: 10.7202/011872ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 20 février 2014 06:00 « Moment cinétique et syllogistique dynamique chez Hegel » Moment cinétique et syllogistique dynamique chez Hegel YVON GAUTHIER Université de Montréal yvon.gauthier@umontreal.ca RÉSUMÉ. — Le terme de moment est omniprésent dans l’œuvre de Hegel, et les commentateurs n’ont pas suffisamment insisté sur le sens dynamique du « Moment » hégélien qui n’a rien de temporel, mais dénote plutôt le momentum ou moment cinétique de la mécanique newtonienne. Hegel a donné vie à ce concept de moment et en a fait le moteur de sa dialectique qu’on interprète ici comme une syllogistique dynamique de la sursomption des moments du procès de la conscience et du devenir de l’esprit. Une logique dynamique pourrait récupérer avantageusement cette dialectique des concepts. Mais la lecture cri- tique de Hegel veut montrer comment un concept physique est transformé en notion métaphysique et comment une science de la logique « Wissenschaft der Logik » est dévoyée dans une ontologie où c’est une philosophie de la nature qui devient mécanique en assujettissant la physique à un idéalisme objectif supra- physique. Un épilogue sur le vocabulaire hégélien termine l’article. ABSTRACT. — The readers of Hegel fail invariably to notice that the ubiquitous term “Moment” in Hegel’s works does not refer to a temporal process, but to a dynamics of motion which has its origin in the Newtonian definition of momentum for material bodies. Hegel’s notion of Moment is rather the momentum of a Spirit which is the driving force of a dialectical process described here as dyna- mical syllogistics. The dynamical logic of concepts could salvage what is still alive in Hegelian dialectics. Finally, critical reading of Hegel’s philosophy shows how a physical concept is endowed with metaphysical meaning and how a science of logic “Wissenschaft der Logik” is transformed into ontology. Here it is a philosophy of nature which is substituted to the science of mechanics in the transformation of physics into a supraphysical objective idealism. The paper ends with an epilogue on Hegel’s vocabulary. Introduction 1. Le concept de moment Pour le logicien et le philosophe des sciences contemporain, la logique et la philosophie de la nature de Hegel offrent peu d’intérêt sur le plan formel. Si la philosophie de la nature de Hegel n’est plus qu’une curiosité historique aux yeux du philosophe des sciences, la logique de Hegel peut être réhabilitée non pas comme logique dialectique au sens que la tradition marxiste a voulu donner à ce mot, mais comme ce que j’appellerai la syllogistique dynamique ou logique dynamique au sens où on l’entend maintenant en informatique théorique et en théorie de l’intelligence artificielle. « Intelligence artificielle » peut sembler détonner dans un contexte hégélien. Mais Hegel lui-même n’a PHILOSOPHIQUES 32/2 — Automne 2005, p. 357-368 358 . Philosophiques / Automne 2005 pas manqué de noter que la philosophie a besoin d’une langue artificielle « Kunstsprache » pour rendre les déterminations réflexives « reflektierte Bes- timmungen », comme il dit dans la Science de la logique1. Et Hegel d’ajouter que le latin, à défaut de la langue maternelle, fournit souvent la terminologie nécessaire à la conceptualisation philosophique. J’en veux pour exemple le terme de « Moment », un des termes les plus courants dans le texte de Hegel. Ce n’est pas le sens temporel du terme qui prédomine chez Hegel, mais le sens physique ou « dynamique » du latin « momentum » qui signifie, comme chacun sait, quantité de mouvement en physique classique et en mécanique newtonienne. Il est significatif à cet égard que Hegel emploie presque toujours le neutre « das Moment » pour signifier l’aspect dynamique du moment ou momentum, et il n’y pratiquement pas d’occurrences du terme dans le texte hégélien où ce sens serait absent. Hegel connaissait évidemment le sens physique du « momentum » ou moment cinétique chez Newton aussi bien que le Kant de la Critique de la raison pure qui le définit dans la deuxième analogie de l’expérience comme l’opération continue et uniforme de la causalité : eine kontinuierliche Handlung der Kausalität, welche, sofern sie gleichformig ist, ein Moment heisst (« l’action continue de la causalité s’appelle moment dans la mesure où elle est uni- forme2 »). Kant dit alors que le changement n’est pas constitué de moments, mais qu’il est causé par l’effet de ces moments. Ce sens n’est pas étranger à Hegel qui avait bien lu Newton avant de le critiquer pour son mécanisme, mais il transforme le sens physique initial pour lui donner une autre dimension séman- tique, celle de moments dans l’auto-mouvement de l’esprit. C’est ici précisément que l’on pourrait dire que Hegel transmue la physique newtonienne en une métaphysique cinétique de l’esprit dans son idéalisme objectif. Peu de commentateurs ont noté que l’allemand « Moment » a le sens de « momentum » que Hegel a tiré de sa lecture de Newton. Je rappelle que Newton définit les moments de quantités (physiques) : Momenta quantitatum sunt ipsarum principia generantia vel alterantia fluxo continuo (« Les moments des quantités sont les principes de génération ou d’altération de ces mêmes quantités dans un flux continu3 »). La seconde loi de Newton définit le moment newtonien comme le pro- duit de la masse et de la vitesse : p = mv et la célèbre formule de Newton pour la force donne : F = ma où a est l’accélération. 1. Wissenschaft der Logik [7] p. 94-95 2. Kant, Critique de la raison pure. Voir 14, B. 254. 3. Hegel, 15, vol. VI, 192. Or Hegel, qui multiplie les emplois de « Moment » comme dans les expressions « Momente des Prozesses », « Momente des Werdens » ou « Momente des Begriffs », y réfère toujours en termes d’un principe générateur ou modificateur d’un mouvement ou d’un flux continu dans la terminologie de Newton — notons ici que c’est chez Newton que « momentum » acquiert son sens plein de principe du mouvement, plutôt que de quantité de mouve- ment comme l’avaient conçu ses prédécesseurs, en particulier Descartes à qui l’on doit la première formulation du concept. Cet usage est encore plus net dans l’exemple du levier « Hebel » que Hegel utilise comme véritable para- digme ou modèle dynamique de la « sursomption », ma traduction pour « Aufhebung ». Dans la Science de la logique, il nous dit : Etwas ist nur insofern aufgehoben als es in die Einheit mit seinen Entgegen- gesetzten getreten ist ; in diesen nähern Bestimmung als ein Reflektiertes kann es passend Moment genannt werden4 (« Quelque chose n’est sursumée que dans la mesure où elle est unie à son contraire ; en tant que réfléchie dans cette détermination plus précise, elle peut être appelée moment. ») La sursomption est opérée comme momentum dans l’unité des con- traires, c’est-à-dire comme ce mouvement même de la réconciliation des forces opposées. Hegel donne tout de suite après ce passage l’exemple du levier où moment cinétique angulaire, ou encore moment d’un couple de forces sont les moteurs d’une dialectique à la fois concrète et abstraite. Le moment angulaire a la formule : L = rp r pour le rayon et p pour le moment cinétique. Mais c’est dans la mécanique de la philosophie de la nature de Iéna qu’on trouve les passages les plus explicites sur la sursomption des moments dans le modèle du levier : Im Hebel sind alle Momente der Bewegung als einer aufgehobenen und sie als solche realisiert5 (« dans le levier sont réalisés tous les moments du mouvement comme sursumés dans la sursomption même du mouvement »). On connaît l’effort spéculatif de Hegel pour élever le processus méca- nique du levier à la dignité de l’auto-mouvement du concept « die Selbst- bewegung des Begriffs », mais il nous suffit de dire que le levier a été pour Hegel le modèle canonique de la sursomption dialectique du mouvement dans l’unité de ses moments. C’est à une véritable dynamique de l’esprit plutôt qu’à une cinétique des corps en mouvement que Hegel a voulu consacrer l’essentiel de sa logique. C’est ce que je veux essayer de montrer maintenant en mettant l’accent sur ce que j’appelle la syllogistique dynamique. Doit-on réévaluer la logique dialectique à la lumière des développements récents en logique philosophique après les résultats négatifs de [3] et [4] du 4. uploads/Philosophie/ moment-cinetique-et-syllogistique-dynamique-selon-hegel 2 .pdf

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