1 PIERRE HAOUR* LE CONCEPT DE VIDE D’APRES HENRI MALDINEY ET LA PENSEE TAOÏSTE

1 PIERRE HAOUR* LE CONCEPT DE VIDE D’APRES HENRI MALDINEY ET LA PENSEE TAOÏSTE (En référence au texte d’Henri Maldiney Le vide téléchargeable sur le site dans la rubrique Articles de la Bibliographie) J’ai commencé à pénétrer les concepts qui ponctuent la phénoménologie, après ma rencontre avec Henri Maldiney à l’hôpital du Vinatier à Lyon. Il venait étudier avec ses élèves la création artistique de patients psychiatriques, créativité qu’il refusait d’appeler « art pathologique ». J’ai eu dans la suite une ouverture privilégiée grâce à son amitié et au vécu avec lui d’une phénoménologie en quelque sorte de ” terrain”. Nous nous retrouvions souvent dans des lieux très divers et c’est en marchant ensemble que se sont fait fréquemment nos échanges. Je voudrais évoquer en premier les marches de grand matin, autour de l’abbaye de Sénanque, abbaye où nous assistions à des rencontres organisées par Emmanuel Muheim, où participaient des personnalités enrichissantes : Roland Kuhn, Jacques Schotte, François Cheng, Georges Duby, Salomon Resnik, ainsi que les élèves de Henri Maldiney qui savaient si bien transcrire sa pensée et qui sont à l’origine de son association. Bien d’autres lieux nous ont vu parcourir ensemble : les ruelles de Venise à l’occasion des rencontre de la Cini, les carrières de Bibémus, devant la Sainte Victoire avec un exposé d’Henri Maldiney sur Cézanne, pour France Culture, ainsi que des promenades en compagnie de Tal Coat sur le plateau de Dormont. Cependant le ”terrain” se trouvait vraiment à Vézelin, propriété des Maldiney où j’allais faire des séjours et où je pouvais apprécier, la façon dont Henri Maldiney faisait exister le quotidien à l’intérieur comme à l’extérieur dans une ouverture sans cesse renouvelée. Nous bénéficions aussi d’exposés que Henri Maldiney faisait à Paris pour nous et j’ai retenu surtout celui qu’il a fait sur le ”concept de vide” et son importance. En 2 effet dans cet exposé il dit que : « Non seulement cette question du vide est à l’origine de la philosophie, mais elle en constitue l’origine». Dans ses textes il convoque souvent les penseurs chinois et tout particulièrement la pensée taoïste pour illustrer et préciser ses idées. C’est que le thème du ʺ″videʺ″, dans la philosophie orientale et tout particulièrement dans le taoïsme, occupe une importance majeure et qu’il existe un parallélisme évident entre la pensée phénoménologique et les conceptions taoïstes, dans cette ʺ″recherche à l’impossible.ʺ″ Heidegger dès le début de sa carrière s’était intéressé au taoïsme et avait même établi avec l’aide d’un chinois un traduction allemande du livre de Lao Tseu (Tao Te King). Aussi explique-t-il très clairement ce qu’il faut comprendre par Tao et cela en rapport avec les origines et de ce fait avec le vide. Heidegger et le Tao « Le mot clé, dans la pensée poétique de Lao Tseu, est le mot Tao qui, à proprement parler, signifie authentiquent ʺ″la Voieʺ″. Mais parce que nous avons tendance à penser à une voie de façon superficielle, comme assurant un trajet entre deux endroits, ce mot ʺ″Voieʺ″ a été considéré comme trop superficiel, ne convenant pas à ce que signifie vraiment le mot Tao. De ce fait, le mot Tao a été représenté par des termes multiples, tel que : esprit, raison, et même logos, en tant que principe le plus élevé. À vrai dire, le Tao pourrait être la Voie qui permet toutes les voies: la véritable source du pouvoir de penser. Peut être que le mystère des mystères de l’expression se dissimule sous l’expression de voie : si seulement nous voulons laisser ce mot retourner au non exprimable : tout est voie. » On retrouve chez Lao Tseu le terme de mystère, ʺ″le mystère de l’origineʺ″. « Ce qui n’a pas de nom est à l’origine de toute chose, du ciel et de la terre. Le nom est la mère de toute chose. » Et il ajoute « si vous acceptez ce paradoxe qu’est la nature de l’existence, vous allez pouvoir contempler son mystère. » Le mot mystère en caractère chinois s’écrit ʺ″femme et enfantʺ″ : peut être un autre mystère… 3 L’être et le vide Mais pour revenir à la pensée de la philosophie occidentale : évoquer le vide c’est évoquer le plein, et en même temps retrouver une question familière. « Comment ce fait il qu’il y est quelque chose et non pas rien ? ». Et c’est reprendre la question de ce ʺ″quelque choseʺ″, de ce qu’est l’être, comme le fait Maldiney dans son exposé sur le vide, en citant l’opinion des penseurs de la Grèce (Anaximandre, Héraclite, Parménide) et leur façon connue d’envisager l’être. Maldiney va ensuite faire mention de la situation de différents concepts par rapport au vide, ainsi que leur corrélation entre eux : ʺ″dualité entre l’être et le rien, dualité entre l’étant et le néantʺ″. Maldiney soulignant à ce sujet la confusion qui est faite entre être et étant, l’être est ce par où l’étant est étant. « On découvre une première opposition étant-néant qui est d’ordre ontique, et le rapport de l’être à l’étant qui est un rapport ontologique, puisque l’être fonde l’étant, en tant que tel. » Il existe donc une corrélation active entre les concepts précédents; mais dans la dualité, être et rien, pour mettre en valeur ce concept de rien par rapport au vide il faut, dit Maldiney, s’adresser à la pensée chinoise et à sa terminologie. Le vide que les chinois appellent ʺ″Hsuʺ″ a un équivalent dans l’antithèse ʺ″y avoir-ne pas y avoirʺ″ : cet équivalent est dans l’expression ʺ″ne pas y avoirʺ″ que les chinois appellent ʺ″wuʺ″. Par opposition ʺ″y avoirʺ″ est appelé ʺ″yuʺ″. Le vide alors apparaît figuré, dans une antithèse plus familière ʺ″le vide et le pleinʺ″. On voit donc que l’on arrive ainsi à mettre en avant le rôle essentiel du vide. Mais pour aller plus loin dans ce qui émane de cette notion de vide dans le taoïsme, il faut se référer à ce que dit clairement François Cheng dans son ouvrage ʺ″le vide et le plein.ʺ″ Aspect nouménal et phénoménal du vide. Le vide doit être envisagé dans le Taoïsme comme se manifestant sous deux aspects différents. « D’une part il représente l’état originel où doit tendre tout être ». On retrouve en même temps la démarche permanente de la pensée 4 phénoménologique dirigée vers l’origine, origine associée au ʺ″videʺ″ et aussi au ʺ″rienʺ″. La tension vers l’origine étant animée par ʺ″l’ouvertʺ″ (Fu) dans la pensée Taoïste. Cette tension vers l’origine ne peut être vécue profondément et créativement que si l’on demeure dans l’ouvert, lequel est associé à ʺ″l’espaceʺ″, l’espace sans limite (Apeiron). Demeurer dans l’ouvert exige un état de disponibilité ainsi que le ʺ″sentirʺ″, comme le dit Maldiney :« le sentir humain est simultanément ouverture et recueil. L’ouverture et le recueil sont les moments conjugués de notre être au monde. » Les chinois parlent du ʺ″non-agirʺ″ (wou wei). ʺ″Le non êtreʺ″ (Wou) qui est aussi visé dans le retour à l’origine (Fu). Il faudrait aussi citer les penseurs de l’Inde avec les techniques de méditation du Vedanta. Mais à côté de cette représentation du vide dite ʺ″nouménaleʺ″ par F. Cheng, le vide doit être considéré comme participant aussi du monde ʺ″phénoménalʺ″, qui comme tel est en substance lui-même. C’est ainsi que Lao Tseu énonce une évocation poétique bien connu « trente rayons convergent au moyeu, mais c’est le vide du moyeu qui fait avancer le char » « avec une motte de glaise on façonne un vase, mais c’est avec le vide qui en permet l’usage ». Comme le dit Maldiney, « cela va apparaître encore davantage en admirant les vases de la grande période chinoise ». « Il y a là une appréhension de la réalité qui est antérieure à la connaissance objectivante « l’action précède la représentation objectivante » : l’homme est d’abord sur les choses, avant de les avoir en face de lui et il cite Heidegger dans l’opposition qu’il fait entre ce qui est à la main, sur quoi on est en prise et ce qui est devant la main. Et en final il ajoute « c’est à partir du vide que se donne comme réel ʺ″ce qu’il y aʺ″, à savoir selon le Tao ʺ″les dix mille êtres et avant eux l’Un, ou l’y avoirʺ″. » Ainsi c’est par le vide qui apporte une nouvelle dimension à l’appréhension de la réalité que s’ouvre une possibilité de retrouver une voie de retour à l’origine. Différents aspects du vide. Un autre exemple du rôle du vide vis-à-vis de la réalité est celui qu’il joue au 5 niveau de l’activité artistique picturale. F. Cheng, à travers le langage pictural chinois, va citer la manière d’opérer de nombreux peintres chinois et du côté des peintres occidentaux, Maldiney va étudier particulièrement les œuvres de Cézanne et de Tal Coat. On va alors découvrir que se manifeste à cette occasion plusieurs états du vide : un vide primordial, un vide terminal, ainsi qu’un vide médian : vide primordial et vide terminal participent de l’origine. Quant au vide médian, uploads/Philosophie/ p-haour-le-concept-de-vide-mis-en-page 1 .pdf

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