Cahiers de Fontenay Spinozisme et panthéisme Pierre-François Moreau Citer ce do
Cahiers de Fontenay Spinozisme et panthéisme Pierre-François Moreau Citer ce document / Cite this document : Moreau Pierre-François. Spinozisme et panthéisme. In: Cahiers de Fontenay, n°36-38, 1985. Spinoza entre Lumières et romantisme. pp. 207-213; doi : https://doi.org/10.3406/cafon.1985.1335 https://www.persee.fr/doc/cafon_0395-8418_1985_num_36_1_1335 Fichier pdf généré le 03/03/2022 Abstract Spinoza was a key issue in the philosophical struggles of nineteenth century France. To such an extent that Victor Cousin and his school, which for a long while dominated French university circles, were accused of being ’pantheists’. To defend themselves, they translated and studied Spinoza’s works, which had the incidental effect of introducing themes extending quite beyond the philosophical field. Résumé Le nom de Spinoza constitue un enjeu dans les luttes philosophiques du XIXe siècle en France : Victor Cousin et son école qui dominent longtemps la scène universitaire française, sont accusés d’être «panthéistes». Pour se défendre, ils traduisent et étudient Spinoza. Par ailleurs ces controverses mettent en circulation des thèmes qui s’étendent bien au-delà du champ philosophique. Zusammenfassung Der Name Spinoza ist im 19. Jahrhundert in Frankreich in Philosophenkreisen ein Streitpunkt. Victor Cousin und seine Schule, die lange Zeit die Denkrichtung der französischen Universität beherrschen, werden des Pantheismus beschuldigt. Zu ihrer Verteidigung übersetzen und erforschen sie Spinoza. Außerdem bringen diese Kontroversen Themen in Umlauf, die weit über den philosophischen Bereich hinausgehen. Resumen El nombre de Spinoza constituye un terreno de lucha en la filosofía francesa del XIX : se acusa de 'panteístas' a Victor Cousin y su escuela, quienes dominan el espacio universitario francés durante mucho tiempo. Para defenderse, traducen y estudian a Spinoza ; además dichas controversias hacen circular temas que van más alia de lo filosófico. SPINOZISME ET PANTHEISME Pierre -François MOREAU J’ai choisi ce titre pour présenter quelques aspects de la philosophie française de la première moitié du 19e siècle : principalement ce qui concerne Victor Cousin et son école, ainsi que les polémiques qui ont opposé cette école à ses adversaires — polémiques où l’on retrouve toujours et le terme de «panthéisme» et la figure de Spinoza (il faudra déterminer où). J’essaierai aussi de montrer que les arguments qui se reprennent et s’élaborent dans ces doctrines et ces polémiques finissent par former une espèce de culture commune, de réservoir à idées, ou à préjugés, où chacun pour longtemps viendra puiser — et cela d’autant plus facilement que le processus de leur élaboration a associé ces idées à toute une série d’autres thèmes favoris du XIXe siècle. Trois remarques avant de commencer : a) Nous ne disposons pas pour le 19e siècle d’un équivalent du grand ouvrage que P. Vernière a consacré à l’influence du spinozisme en France aux deux siècles précédents. Ce n’est pas un hasard : longtemps, l’histoire philosophique française du XIXe siècle (et surtout avant 1850) a été négligée. On commence maintenant à la redécouvrir, et surtout à analyser ses liens avec d’autres histoires : histoire religieuse, histoire littéraire, histoire des institutions universitaires — histoire politique enfin, car il s’agit après tout d’une philosophie qui revendiquait un sens politique («Quelle est aujourd’hui la véritable question sociale ? Ce n’est ni l’organisation du travail, ni la réforme politique ; (...) la première question partout et toujours, mais là surtout où la liberté est proclamée en fait et en droit, c’est l’éducation, et l’éducation, c’est la philosophie» écrit J. Simon en 1843). b) II est vrai que c’est en quelque sorte une philosophie sans philosophie : chez Cousin, scs disciples, ses adversaires, la rhétorique compte souvent plus que la force des idées. C'est pourquoi il est souvent plus intéressant d’étudier les polémiques où ils échangent, reprennent, corrigent leurs arguments, que de chercher à reconstruire la cohérence de tel ou tel «système». 207 c) Il se trouve que la question de Spinoza, et la forme où elle est alors immédiatement tra¬ duite — la question du panthéisme — est un des enjeux cruciaux de cette histoire. Il ne s’agit nullement d’une simple question d’historiographie philosophique — ou plutôt : avec Cousin et son école, l’historiographie philosophique devient un lieu de lutte immédiate dans la philosophie, avec ses enjeux privilégiés : l’Ecole d’Alexandrie, Descartes, Spinoza. I. De quoi héritent les philosophes français du XIXe siècle ? Pour se forger une représentation du spinozisme, ils héritent 1) D’une tradition de polémique :1a lecture de Spinoza en France aux 17e et 18e siècles a été surtout réfutation. On a retenu du TTP d’une part l’apologie de la liberté de conscience (et on traduit : le droit de n’avoir aucune religion) dont on assure qu’elle mène droit à la destruction de la société ; d’autre part la critique historique de la Bible, qui ébranle l’éxégèse traditionnelle. On met ces thèmes en relation avec la substance unique de Y Ethique et on en déduit que le système est un athéisme dissimulé sous le masque de la démarche mathématique ; c’est une telle manœuvre qu’on appellera durablement le panthéisme : mettre Dieu en tout pour qu’il ne soit plus rien. On se sert même au besoin de Spinoza pour discréditer Descartes, en cherchant par exemple chez ce dernier les sources de la notion spinozienne de substance, ou en reprochant à l’un comme à l’autre de faire trop confiance à la raison ; face à ces accusations, les cartésiens se défendent et attaquent à leur tour l’impie — d’où le long débat : Cartesius eversor ou au contraire archi¬ tectus spinozismi ? 2) Du renouveau allemand : pour rompre avec le sensualisme, les spiritualistes français se tournent vers l’étranger, et en particulier, dans le cas de Cousin, vers l’Allemagne. Cf. Janet, dans la biographie qu’il a consacrée à son maître : «Recueillir à la source et de la bouche même des maîtres des idées neuves alors, et que personne ne connaissait en France : l’apologie discrète, mais convaincue, du spinozisme, le rapprochement de Spinoza et de Platon, l’idée d’une immor¬ talité impersonnelle, la non-étendue de la matière, tout cela devait être, pour le disciple de Royer-Collard, une surprise et une fascination» ( Victor Cousin et son œuvre , p. 42). Or l’image de l’Allemagne en France à l’époque, c’est justement celle du panthéisme — un panthéisme qui est cette fois tout autre chose qu’un athéisme masqué, plutôt un mélange de mysticisme, de philosophie de la nature et du dépassement de l’individuel dans l’impersonnel. Voir par exemple ce qu’écrit Lebre, dans un article de 1843 intitulé «Crise actuelle de la philo¬ sophie allemande» : «II faut qu’il y ait aujourd’hui un attrait puissant vers le panthéisme, car il est le grand événement de la pensée contemporaine. On est assez peu surpris de le trouver chez nos voisins. Leur génie impersonnel et abstrait, une sorte de tendresse pour la nature, l’instinct de l’infini facilement égaré vers ce monde, tout dans leur pensée et leur imagination les y pré¬ dispose. Les forêts de la Souabe et du Harz ont vu, comme celles de l’Inde, plus d’un enthou¬ siaste rêveur se perdre dans leur secrète nuit pour y chercher Dieu» (Revue des deux Mondes, 1843, p. 16). Voilà de quoi renouveler et les prises de position philosophiques (de quoi sortir du dilemme : sensualisme, matérialisme d’un côté, orthodoxie chrétienne de l’autre) et en même temps indis¬ sociablement, de quoi transformer la figure ici reçue de Spinoza. 3) Le troisième héritage, si l’on peut dire, c’est celui d’une absence : absence des textes, des instruments historiographiques, des instruments conceptuels. La polémique anti-spinoziste avait mis en circulation des thèmes de discussion (ce qui du point de vue historiographique n’est pas forcément une mauvaise chose) ; elle ne leur avait pas donné le moyen de se confronter à la 208 réalité rigoureuse du système. II. Thèses en présence et enjeux Cousin et les siens voient le paysage philosophique comme un champ de bataille ; non pas entre individus, mais entre tendances (philosophiques, mais aussi religieuses et politiques) ; non pas entre deux tendances, mais trois (puisqu’ils se représentent eux-mêmes comme le juste milieu entre les deux périls extrêmes). Dessinons à leur suite ce paysage dans la France de la Restaura¬ tion et de la Monarchie de Juillet. 1) La première tendance, c’est celle que J. Simon appellera «la philosophie du clergé» : philo¬ sophiquement, elle ne voit de salut que dans la croyance à la Création et à la Révélation, elle dénonce le rationalisme comme un danger qui mène au naturalisme ; de fait, elle ne fait pas de différence entre les deux autres tendances ; elle les réunit volontiers sous le terme «panthéiste», à qui elle donne encore le sens ancien d’athée déguisé. La théorie est mise au point par l’abbé Bautain, qui fait soutenir par Goschler une thèse précisément intitulée Du Panthéisme , où l’on peut lire : «Le but de cette dissertation est de démontrer, par le fait, en consultant l’histoire de la philosophie et ses œuvres, que, hors la doctrine fondée sur le texte sacré, hors le mosaïsme dans l’Antiquité et le Christianisme dans l’ère moderne, tous les systèmes métaphysiques, quelques profonds, quelques brillants qu’ils soient, ont erré sur la première des uploads/Philosophie/ moreau-spinozisme-et-pantheisme.pdf
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- Publié le Mai 27, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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