Hegel et la tragédie Bibliographie : George Steiner, Les Antigones, Gallimard,

Hegel et la tragédie Bibliographie : George Steiner, Les Antigones, Gallimard, 1986. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Tel, Gallimard, 1979. Jacques Derrida, Glas, Paris, 1974. Janicaud, Hegel et le destin de la Grèce, Vrin, 1975 : le destin grec comme ennemi de la conscience de soi (68) ; la tragédie dans l’article sur « Le droit naturel » (95-97) ; la tragédie d’Antigone (177) ; la tragédie (202) ; conclusion : anamnèse et destin (317). Peter Szondi, « Le concept du tragique chez Schelling, Hölderlin et Hegel », in Poésie et poétique de l’idéalisme allemand, Tel, p. 9-25. Hegel : L’esprit du christianisme et son destin (trad. J. Martin, Vrin, 1967 ; il existe aussi de ce texte une excellente édition par Franck Fischbach, Presses Pocket, 1992). Le Droit naturel, chap. III ; « Tragédie et comédie comme représentation du monde éthique », trad. André Kaan, Gallimard, p. 130-134. Principes de la philosophie du droit, § 166, Derathé, Vrin, p. 204-205. Phénoménologie de l’esprit, trad. Hyppolite, Aubier, « L’esprit vrai, l’ordre éthique » (II, 14-49) ; la tragédie et la comédie (II, 246-257). Leçons sur la philosophie de la religion, IIème partie. La Religion indéterminée, trad. Gibelin, Vrin, 1972, p. 126-127 (cité par Steiner, Les Antigones, p. 40-41). Esthétique, trad. Jankélévitch, IV, p. 224 à la fin : « La poésie dramatique » (surtout III : la tragédie, p. 261 à la fin). *** La réflexion sur la tragédie accompagne, en son entier développement, la pensée de Hegel. Elle est implicitement présente dès L’Esprit du christianisme et son destin, un écrit des années 1798-1800, par une longue méditation sur le sens du destin ; elle est explicitement présente dans l’article sur le droit naturel (« Sur les manières scientifiques de traiter du droit naturel », paru en 1802-03 dans le Journal critique de philosophie) où il est traité non seulement de la tragédie mais encore de la comédie, ancienne et moderne ; elle est l’objet de longs développement dans La Phénoménologie de l’esprit, dans le chapitre consacré à « l’ordre éthique », qui propose une interprétation approfondie de la tragédie de Sophocle Antigone, sans pourtant jamais la nommer ; mais encore dans le chapitre intitulé « La religion esthétique », essentiellement consacré au divin chez les Grecs, par les deux derniers paragraphes, qui traite l’un de la tragédie et l’autre de la comédie. On retrouve enfin vingt ans plus tard une longue analyse de la tragédie, de la comédie et du drame dans le chapitre consacré à « La poésie dramatique » qui clôt les leçons sur la philosophie esthétique. Si le thème tragique est ainsi l’objet d’une perpétuelle reprise, des œuvres de jeunesse jusqu’à la fin, c’est parce qu’il représente, en tant que figure esthétique et non en tant que développement dialectique, le nécessaire déchirement sans lequel l’esprit demeurerait dans un état de repos, « le sérieux, la douleur, la patience et le travail du négatif » sans lesquels la vie de l’Esprit « s’abaisserait jusqu’à l’édification et même la fadeur » (Phg, préface, § 2, I, 18). La philosophie est la contradiction pensée comme moteur du négatif dans l’histoire de l’esprit ; la tragédie montre, représente, la contradiction vécue dans la souffrance et dans la mort. Elle est une philosophie en action, envisagée du point de vue de la conscience individuelle dont le destin exige l’anéantissement, du fait de sa partialité même. Et la reconnaissance (anagnôrisis) qui, selon Aristote, doit conclure le parcours dramatique est aussi le moment du dépassement des contradictions par l’avènement d’un ordre nouveau qui réconcilie un temps la conscience avec l’esprit du monde objectif. Pour Hegel, le heurt violent des actes contraires doit nécessairement se résoudre dans l’identité, et la tragédie doit s’achever sur le retour à l’équilibre dans ce que la Phénoménologie nomme le « Zeus simple » (II, p. 252). A l’inverse de Schelling, Hegel conçoit donc le conflit tragique comme quelque chose qui doit être dépassé. La contradiction qui apparaît sur la scène tragique du fait que l’idéalité doit sortir d’elle-même et devenir effective, se réaliser par l’action individuellement revendiquée, est la contradiction de la substance elle- 1 même (non de caractères particuliers, car en ce cas nous serions sur une scène comique, non tragique), et doit donc être résolue dans l’élément de la vérité et de la totalité. La tragédie n’est qu’un moment de l’histoire de l’esprit, elle n’est pas son destin. La tragédie naît ainsi du conflit des devoirs objectivement déterminés, conflit qui met à jour l’insuffisante détermination de la totalité comme telle. Le conflit tragique, que Schelling pense dans l’Absolu, comme l’éternel combat du sujet et de l’objet par lequel l’un et l’autre se maintiennent vivants, présents, Hegel le pense au contraire dans l’Histoire : sa nécessité provient d’une insuffisante détermination de la totalité qui se résout en des moments particuliers opposés et conflictuels. La tragédie est un moment du combat nécessaire du concept avec lui-même : aussi le conflit n’est tragique que pour les héros qui, chacun incarnant un moment particulier, s’affrontent sur la scène ; mais pour le philosophe, Hegel lui-même, qui démonte la nécessité dialectique du conflit, il n’y a pas de tragédie, mais la rigueur d’une phénoménologie de l’Esprit absolu. L’esprit de Hegel, ordonnateur et metteur en scène du drame conceptuel de la dialectique, s’élève donc au-dessus des buts nécessairement particuliers que poursuivent les combattants de la scène tragique : il devient lui-même scène tragique, le lieu d’un combat du concept avec lui-même qui est aussi l’histoire de la réalisation de l’Absolu. Hegel l’écrit lui-même dans un texte assez extraordinaire, dans l’introduction aux Leçons sur la philosophie de la religion : « Par la pensée, je monte vers l’Absolu et me dresse au-dessus de toute finalité ; je suis conscience illimitée et en même temps conscience de soi finie, et cela en accord avec la totalité de ma constitution présente empirique. Les deux côtés se recherchent et se fuient en même temps. Je suis, et il y a en moi et pour moi, ce conflit mutuel et cette unité. Je suis le combat. Je ne suis pas l’un des combattants. Je suis au contraire les deux combattants et le combat lui-même » (cité par George Steiner, p. 23-24). Pour Schelling, la lutte entre la liberté et la nécessité est éternelle : elle se situe dans l’intemporalité de l’allégorie et du mythe, et c’est pourquoi seul le mythe est digne de la tragédie ; pour Hegel en revanche, le destin n’est pas une force intemporelle contre laquelle et par laquelle l’homme est appelé à affirmer son existence. Il est donc faux de définir la situation tragique selon Hegel par le conflit des devoirs : dans la tragédie, les deux termes du conflit finissent nécessairement par se résoudre dans l’universel, cad par supprimer les volontés particulières des protagonistes qui s’identifient à un moment, et à un seul, de la manifestation du vrai. Le conflit tragique n’est donc qu’apparent et doit nécessairement s’apaiser avec le dénouement – même si cette paix est cruelle pour les individus qui se sont engagés dans l’action toujours partielle, et partiale. En revanche, c’est sur la scène comique, que l’absolu ne réussit plus à faire l’unité avec lui-même, et que le conflit des devoirs, qui ne sont plus ici que des lubies ou des manies, demeure dans la contradiction : « Comique est la collision des devoirs parce qu’elle exprime la contradiction, précisément celle d’un absolu en opposition ; elle exprime donc l’absolu, et immédiatement la nullité de ce qui est ainsi nommé absolu ou devoir » (Phg, II, 31). La contradiction tragique, à l’inverse du quiproquo comique, n’est donc jamais indépassable. Selon une note assez énigmatique de L’Esprit du christianisme et son destin, le destin n’est que la conscience de soi-même mais perçue comme conscience d’un ennemi (Esprit du christianisme, éd. Fischbach, 92 note 1). Il suffit donc que la conscience s’élève à l’intelligence de son ennemi comme d’un moment nécessaire de son propre développement, pour que cesse aussitôt le conflit tragique, les deux partis se trouvant alors réconciliés dans l’identité de la substance. Citons ce texte difficile : « C’est ainsi que le destin n’est rien d’étranger, contrairement au châtiment ; non pas quelque chose d’effectif et fixement déterminé, comme la mauvaise action dans la conscience morale ; la destin est la conscience de soi-même, mais comme d’un ennemi ; l’amitié peut restaurer en elle-même le Tout, il peut faire retour à sa pure vie par l’amour ; et ainsi sa conscience redevient foi en soi-même, son intuition de lui-même est devenue autre et le destin est réconcilié ». Ce texte est commenté par Dominique Janicaud, dans son ouvrage Hegel et le destin de la Grèce, p. 68 sq. 2 En opposant le destin au châtiment, Hegel, comme le montre le contexte, entend surtout opposer l’hellénisme au judaïsme. La loi juive exprime la certitude subjective de la conscience de soi (non sa vérité effective), en tant qu’elle perçoit en elle-même le divin ou l’Absolu, en tant qu’elle se uploads/Philosophie/ hegel-et-la-tragedie.pdf

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