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21/12/2017 15(23 Histoire des idées et didactique Page 1 sur 9 http://philo.pourtous.free.fr/Articles/A.Perrin/histoiredidact.htm Retour à l'accueil - Atelier philosophique - Le don - Sentences, aphorismes et brèves remarques - Lectures - Cours et conférences - Visages de la pensée - Liens et contacts Retour au menu Textes & Articles L'histoire des idées et la didactique : deux dangers pour l'enseignement philosophique (Ce texte est la version revue et corrigée sur des points de détail d’un article paru en octobre-novembre 1996 dans la revue Les temps modernes 52ème année, N° 590) Il s’agira ici d’évoquer les menaces qui pèsent actuellement sur l’enseignement de la philosophie. Que l’enseignement de la philosophie soit menacé, voilà, dira- 21/12/2017 15(23 Histoire des idées et didactique Page 2 sur 9 http://philo.pourtous.free.fr/Articles/A.Perrin/histoiredidact.htm de la philosophie. Que l’enseignement de la philosophie soit menacé, voilà, dira- t-on, qui n’est guère nouveau : ne l’a-t-il pas toujours été ? Sans doute. Cependant les dangers qui le guettent aujourd’hui semblent d’une tout autre nature que ceux auxquels il a dû s’affronter dans le passé. Les projets n’ont pas manqué qui visaient, sinon à le supprimer, du moins à réduire son influence, soit en diminuant ses horaires, soit en le rendant facultatif, mais ces tentatives étaient le fait ou bien de politiques qui, à tort ou à raison, attribuaient à notre discipline des vertus subversives, ou bien de sociologues jaloux du privilège que constituait, à leurs yeux, un enseignement de la philosophie obligatoire dans toutes les classes terminales et peut-être un peu mécontents que la philosophie conservât un certain prestige à une époque où, selon eux, les progrès des sciences sociales auraient dû avoir pour effet de la reléguer à une place plus modeste. Dans un cas comme dans l’autre le danger venait, si l’on peut dire, de l’extérieur, et ce danger ne portait pas sur l’essence de l’enseignement de la philosophie, mais sur son existence dans l’enseignement secondaire. Aujourd’hui en revanche, c’est à l’intérieur même de la communauté des professeurs de philosophie que se dessinent des orientations qui mettent en péril la nature de notre enseignement : orientation « didactique » d’un côté, orientation « historique » de l’autre. On se proposera de montrer ici que ces deux orientations, quelque différentes et même opposées qu’elles soient quant aux principes dont elles se réclament, se rejoignent dans leurs conséquences. Remarquons d’abord qu’elles ont une commune origine : le constat de la difficulté qu’il y a à enseigner la philosophie à ce qu’on appelle les « nouveaux publics » et, enracinée dans ce constat, la volonté de déterminer la nature de l’enseignement philosophique en fonction de l’examen et de l’évaluation à l’examen. Le raisonnement est à peu près le suivant : puisque les élèves échouent à l’épreuve de philosophie du baccalauréat, il faut repenser le programme et la façon de l’enseigner en fonction d’une épreuve à laquelle ils pourront réussir. À partir de là deux orientations sont possibles : 1 – L’orientation didactique qu’on pourrait caractériser en disant qu’elle tend à éliminer le contenu au profit de la forme. Pour ce faire, on commence volontiers par invoquer la formule de Kant selon laquelle on ne peut apprendre la philosophie, mais seulement à philosopher, puis on réduit le « philosopher » à un triple processus de conceptualisation, de problématisation et d’argumentation, comme si ces opérations étaient proprement philosophiques, comme s’il ne fallait pas conceptualiser pour faire de la biologie, problématiser pour faire de l’économie, argumenter pour faire du commerce. À partir de là on s’efforce de promouvoir toutes sortes d’exercices qui sont censés développer la capacité de philosopher ainsi entendue. Par exemple l’induction guidée par contrastes. On donne aux élèves une liste de questions du type : Y a-t-il des usages légitimes de la violence ? Pourquoi le TGV va-t-il plus vite que le train corail ? L’art est-il utile ? Peut-on donner son sang une fois par semaine sans être affaibli ? Et on leur demande de distinguer les questions philosophiques des questions non philosophiques, espérant leur faire former ainsi le concept de la philosophie. Ou encore l’approche métaphorique du concept, inspirée du questionnaire de Marcel Proust. On demande aux élèves : si le bonheur était un végétal, ce serait … ? L’élève peut répondre que ce serait une fleur parce qu’elle est fragile, et il a ainsi découvert que le bonheur est fragile. S’il répond que ce serait une baleine parce que la baleine est rare, il sait maintenant que le bonheur est non seulement fragile mais rare. Et si c’était un métier ? L’élève qui trouve que ce serait celui de journaliste parce que celui-ci est dynamique s’est élevé d’un cran décisif dans l’abstraction : il a compris que le bonheur était à la fois rare, fragile et dynamique 21/12/2017 15(23 Histoire des idées et didactique Page 3 sur 9 http://philo.pourtous.free.fr/Articles/A.Perrin/histoiredidact.htm … Ne dispose-t-il pas dorénavant d’un concept du bonheur beaucoup plus riche que s’il avait médité, avec l’aide de son professeur, sur les premières ou les dernières pages de l’Éthique à Nicomaque ? S’il s’agit maintenant d’apprendre à problématiser, plutôt que de mettre l’élève en contact avec un texte de Platon, comme si un texte de Platon pouvait poser le moindre problème philosophique, on lui assignera la tâche suivante : trouver des réponses différentes à une question philosophique donnée. Par exemple, y a-t-il une vie après la mort ? Ma réponse : non, la mort c’est le néant. Réponses différentes : oui, par la réincarnation ; oui, par la résurrection. Reformulation de la question : la mort, est-ce le néant ou une nouvelle vie ? Les exercices destinés à développer la capacité d’argumenter ne sont pas moins dénués de tout enjeu philosophique : on demande aux élèves de contredire un argument par un argument du même type, de contredire un argument par un argument d’un autre ordre, de changer l’argumentation de plan, de trouver un argument plus fort, de classer des arguments à partir d’un « stock d’arguments », etc. Les didacticiens proposent encore toutes sortes d’exercices (le « photolangage », l’approche d’un concept par le « Q-sort », le « théâtre-forum », les questionnaires d’adhésion) qui font aussi peu de place à l’histoire de la philosophie. Non qu’ils aillent jusqu’à prohiber l’étude des textes philosophiques, mais ils croient pouvoir s’appuyer sur les instructions de 1925, qui mettent en garde contre les exposés doctrinaux, pour leur assigner un « caractère strictement instrumental »[i], les réduisant ainsi au rang de « prétexte »[ii] et de « support didactique »[iii]. Le risque est alors grand de voir les textes philosophiques, arrachés à tout contexte, ravalés au rang de simples supports d’opérations mentales, réduits à des outils indifférents si ce n’est étrangers à l’activité qu’ils permettent d’exercer, simples moyens interchangeables de faire acquérir des « compétences ». C’est du reste dans ce sens que vont les propositions des didacticiens en matière d’évaluation : des questionnaires à choix multiple pour l’évaluation dite « formative » en cours d’année[iv] et des grilles d’évaluation pour la dissertation au baccalauréat. 2 – L’orientation historique qu’on pourrait caractériser en disant qu’elle tend au contraire à privilégier le contenu aux dépens de la forme et de la formation. Cette orientation est essentiellement celle de Luc Ferry, connu pour ses travaux de philosophie politique et actuellement président du conseil national des programmes. Dans une interview accordée en septembre 1994 au Monde de l’Éducation, Luc Ferry déclare que « le programme de philosophie présente un tel degré de généralité qu’il équivaut à une absence de programme »[v]. Il propose donc d’introduire, à côté des notions, un programme d’histoire de la philosophie (Qu’est-ce que le nominalisme ? Qu’est-ce que l’empirisme ? Qu’est-ce que la cosmologie grecque ? ) qui aurait, à ses yeux, l’avantage de permettre une évaluation plus objective. « En effet, explique-t-il, je me sens parfaitement capable de noter l’explication d’un texte de Rousseau, de Kant ou de Platon. Je sais si l’élève a compris ce qu’il a lu. Mais, je le déclare solennellement, je suis incapable de noter une dissertation sur la mémoire ou sur le temps. Pour la simple raison qu’à la question : « Qu’est-ce que le temps ? » je ne peux pas répondre »[vi]. Remarquons au passage qu’en toute logique, s’il est réellement impossible de noter une dissertation sur le temps, on ne doit pas demander d’adjoindre un programme d’histoire de la philosophie au programme de notions, mais de supprimer celui-ci purement et simplement. Il est donc curieux que dans sa réponse à la lettre ouverte que lui avait adressée le président 21/12/2017 15(23 Histoire des idées et didactique Page 4 sur 9 http://philo.pourtous.free.fr/Articles/A.Perrin/histoiredidact.htm de l’association des professeurs de philosophie de l’enseignement public, Luc Ferry écrive et souligne que cet enseignement d’histoire de la philosophie « n’exclurait en rien celui qui porte sur les notions générales mais viendrait le compléter »[vii]. Il y a fort à craindre que l’introduction de ce prétendu complément ouvre la porte à un alignement sur la façon dont la philosophie est enseignée dans les pays européens où elle existe dans l’enseignement uploads/Philosophie/ perrin-histoire-des-idees-et-didactique-pdf.pdf
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- Publié le Nov 18, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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