Methodos Savoirs et textes 16 | 2016 La notion d'Intelligence (nous-noein) dans
Methodos Savoirs et textes 16 | 2016 La notion d'Intelligence (nous-noein) dans la Grèce antique La notion d'Intelligence (nous-noein) dans la Grèce antique Phantasia et nous pathêtikos La formation des figures géométriques dans le néoplatonisme tardif Phantasia and nous pathêtikos. Geometrical figures formation in late neoplatonism Milan Otal https://doi.org/10.4000/methodos.4487 Résumés Français English Dans le cadre de sa théorie de la production des figures géométriques par projection des raisons innées, Proclus est le premier à assimiler la phantasia (imagination) au nous pathetikos (intellect passif) évoqué furtivement par Aristote en De Anima III,5. Tout en maintenant cette assimilation, Ammonius (ré)intègrera la notion d’ epinoia dans le processus d’abstraction, statut de la chose abstraite du monde sensible. L’introduction de cette notion provoquera une certaine confusion chez les commentateurs ultérieurs qui, tout en gardant l’assimilation de Proclus, n’hésiteront pas à faire de la phantasia la faculté intellective permettant d’abstraire les formes de la matière en étroite collaboration avec l’intellect actif, de séparer les accidents d’un substrat et de composer des êtres et formes sans substrat. Proclus, in his theory of projection of the geometrical figures, is the first one to assimilate the phantasia (imagination) with the nous pathêtikos (passive intellect) evoked furtively by Aristote in De anima III, 5. While maintaining this assimilation, Ammonius will integrate the notion of epinoia into the process of abstraction, status of the thing abstracted from the sensitive world. The introduction of this notion will cause a certain confusion at the later commentators who, while keeping the assimilation of Proclus, will not hesitate to make of the phantasia the intellective faculty allowing to abstract the forms of the material in collaboration with the active intellect, to separate the accidents of a substratum and to make up beings and forms without substratum. Entrées d’index Mots-clés : noétique, géométrie, intellect, phantasia, epinoia, néoplatonisme, métaphysique, empirisme, recollection, Ammonius, Proclus, Philopon, Pseudo-Philopon, Elias, Pseudo-Elias, David Keywords: noetic, mathematics, intellect, phantasia, epinoia, neoplatonism, metaphysics, empirism, Ammonius, Proclus, Philoponus, ‘Philoponus’, Elias, ‘Elias’, David. Notes de l’auteur Nous tenons à remercier chaleureusement K. Ierodiakonou et B. Pérez pour leurs remarques et conseils, ainsi que les deux relecteurs anonymes de la revue Methodos. Texte intégral I. La phantasia, matière intelligible des figures de l’âme En psychologie comme dans les autres domaines de la philosophie, le néoplatonisme a tenté de réunir les conceptions platoniciennes et celles d’Aristote. Platon posait une séparation dualiste de l’homme en corps et âme ; Aristote détaillait sa psychologie dans le De anima, en particulier les points concernant l’aisthêsis (sensation), la phantasia (imagination) et le nous (intellect). Pour ce dernier, la division entre une partie irrationnelle de l’âme, liée au corps, et une partie rationnelle, capable d’un détachement du corps, apparaissait fondamentale : la perception du monde physique appartenait à la partie irrationnelle, et l’intellection à la partie rationnelle. Quant à la phantasia, elle avait le rôle d’une union de l’âme, comme intermédiaire entre les parties rationnelles et irrationnelles. C’est dans le dernier chapitre des Seconds Analytiques qu’Aristote s’oppose le plus radicalement à la théorie de la recollection (anamnêsis) des concepts exprimée par la fameuse formule platonicienne ‘apprendre c’est se souvenir’. Selon le Stagirite, on ne connaît pas les principes scientifiques de manière innée mais plutôt, les concepts se forment par le biais de la sensation, de la mémoire, et de l’expérience. En bref, Aristote oppose à l’innéisme platonicien un empirisme gnoséologique. 1 Les commentateurs de l’antiquité tardive se poseront néanmoins plusieurs questions quant à la valeur de cette théorie : comment la perception répétée de sensibles imparfaits permet-elle de concevoir des figures aussi parfaites que les figures géométriques ? Comment ne pas alors souscrire à la tentation de voir en celles-ci des figures innées ? Leurs réponses tenteront par des voies différentes de réunir les deux conceptions platonicienne et aristotélicienne. Ainsi de Proclus qui, héritant d’une tradition qualifiée par Ian Mueller1 de « projectionniste », soutiendra que les sensibles ne permettent pas la formation de figures parfaites, mais que ces dernières prennent forme dans la matière intelligible de la phantasia par projection des raisons innées (logoi) contenues dans l’âme. Une autre conception, dite « abstractionniste »2, soutenue par nombre des philosophes alexandrins commentant les traités aristotéliciens et porphyriens, rangera sous le terme epinoia l’ensemble des activités d’abstraction se déroulant dans la pensée – ainsi de l’abstraction des formes de la matière, de la suppression des accidents d’un substrat ou encore de la composition d’êtres sans substrats, autant d’activités impliquant selon les interprètes la faculté irrationnelle de la phantasia ou la faculté rationnelle de la dianoia. Sur ce point, Min Jun Hun soulève un aspect intéressant dans un article concernant les emplois du terme imaginatio dans les commentaires de Boèce. Boèce, élève de Proclus et commentateur d’Aristote, traduira par le terme imaginatio à la fois les mots grecs phantasia et la plupart des aspects du mot epinoia3. Il s’agira ici d’examiner quel rôle ces deux facultés joueront chez les commentateurs grecs, de Proclus aux derniers commentateurs néoplatoniciens tels qu’Elias et David en passant par le grand philosophe alexandrin Ammonius. 2 Dans la hiérarchie psychologique de Proclus, la sensation, le sens commun et la phantasia font partie de la partie irrationnelle de l’âme humaine. Contrairement aux deux premières de ces facultés, la phantasia peut recevoir, conserver et transformer les 3 « Ce qui est pris des sensibles est un phantasma et non un objet d’opinion (doxaston). Il doit rester à l’intérieur, tel qu’il a été pris à l’origine, pour ne pas devenir faux (pseudos) ou non-existant (mè on), mais il ne pourra devenir ni plus parfait ni plus précis. »5 « Platon construit l’âme à partir des formes mathématiques, la divise selon les nombres, la lie ensemble avec des proportions et des ratios harmonieux, dépose en elle les premiers principes des figures, la ligne droite et le cercle, et pose les cercles en elle en mouvant d’une manière intelligente. Tous les objets mathématiques sont donc présents dans l’âme depuis le début. »11. données. Dans la mesure où elle est en relation avec la forme et existe par et dans le corps, elle constitue un réceptacle des empreintes des objets sensibles, qu’elle peut réactiver voire combiner. En tant que faculté en lien avec le monde sensible, donc proprement irrationnelle, la phantasia reçoit du sens commun des données qu’elle conserve en elle-même. Son activité est étroitement liée à la mémoire4 en ce qu’elle conserve des impressions sensibles qui peuvent être rappelées avec les images mémorielles. 4 En effet, la phantasia a la capacité de réactiver ces données sensorielles grâce à la mémoire, mais aussi de les altérer ou de les combiner. Ces données sensibles transmises par le sens commun ne doivent pas être réactivées à moins de devenir fausses ou non-existantes. Proclus fait ici référence à la capacité reproductrice de la phantasia qui, par combinaison ou division, peut créer des êtres qui n’existent pas, vides ou fictifs, « comme lorsque nous essayons de concevoir (noein) le concept de centaure ou de bouc-cerf, ou plus encore de skindapson ou d’autre chose sans existence : de ceux-ci nous avons une certaine phantasia. »6. 5 Ainsi, la phantasia, en tant que faculté recevant les formes du monde sensible, est la faculté capable de recevoir, garder voire transformer les données des sens. Il n’est pas lieu, dans le cadre de cet article, d’aller plus avant dans la description du complexe processus de formation des concepts dans le système gnoséologique de Proclus mais il convient seulement de noter que la phantasia, en tant qu’elle conserve les empreintes des objets sensibles, peut les remodeler et produire des êtres sans substrat. L’autre aspect de cette faculté qui nous intéresse ici est relatif à l’existence des objets géométriques7. 6 Dans le Commentaire au Premier Livre des Éléments d’Euclide, Proclus soulève un problème : les objets géométriques ne sont pas des intelligibles, dans la mesure où ils ont des parties et sont étendus ; cependant ils ne sont pas des sensibles puisqu’ils représentent leurs propriétés (un cercle géométrique est vraiment rond). Proclus a besoin, pour expliquer la nature spécifique des objets géométriques, d’une troisième faculté intermédiaire entre les intelligibles et les sensibles qui garantisse l’extension des objets géométriques sans les réduire à l’imperfection des sensibles. Il emprunte pour ce faire le concept de matière intelligible à Aristote8. La seule faculté à la fois corporelle et produisant des formes est la phantasia. La phantasia n’est plus alors reproductive mais, dans le rapport qu’elle entretiendra avec la pensée discursive (dianoia), est productrice de figures9. 7 Comme nous l’avons noté en introduction, les néoplatoniciens cherchaient à savoir si les êtres mathématiques tirent leur existence par abstraction du sensible, ou si, comme le pensait Platon, ils ont une existence propre qui est antérieure au sensible. La position de Proclus est résolument platonicienne. En effet, écrit-il, si les formes mathématiques devaient exister à partir du sensible, que l’âme les construisait en elle-même après avoir perçu les formes dans la matière, les sciences mathématiques ne pourraient être exactes et irréfutables10 : il serait absurde que les vérités mathématiques puissent dériver d’une réalité uploads/Philosophie/ phantasia-et-nous-pathetikos-milan-otal-la-formation-des-figures-geometriques-dans-le-neoplatonisme-tardif-article.pdf
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- Publié le Fev 17, 2021
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