© Philopsis – Bruno Ambroise 1 Le langage J.L. Austin et le langage : ce que la
© Philopsis – Bruno Ambroise 1 Le langage J.L. Austin et le langage : ce que la parole fait Bruno Ambroise1 Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Le langage semble être l’objet privilégié de la philosophie déployée par J. L. Austin. Connu pour être l’inventeur du concept de « performatif » et avoir pratiqué une « philosophie du langage ordinaire », il semble logique de voir avant tout en lui un philosophe du langage. Pourtant, l’analyse du langage n’était pas une fin en soi pour Austin : rappelons, à titre de premiers indices, qu’il occupait à l’Université d’Oxford une chaire de philosophie morale et qu’il a toujours déclaré vouloir bâtir, en analysant l’efficacité du langage, une « théorie générale de l’action ». C’est un préalable si l’on veut bien comprendre les analyses qu’il offre du langage dans son œuvre. En réalité, pour lui, comme pour nombre de ses contemporains, la philosophie du langage joue le rôle de philosophie première, en tant qu'elle permet de repérer ce que l'on peut dire à propos de ce qui est et, dès lors, de déterminer ce que l'on peut penser2. 1 CNRS, CURAPP-ESS, UMR 7319 : CNRS/UPJV Ce texte inédit s’appuie en partie sur mon article « La conception austinienne de la parole comme acte : les différents sens en lesquels la parole agit et leurs conditions », à paraître dans le prochain numéro des Recherches sur la philosophie et le langage (PLC - Université Pierre Mendès France / Vrin), coordonné par A. Krol. Une première version en a été présentée lors de la journée de formation sur le langage organisée par le Rectorat de Lille le 11 décembre 2014. Je remercie S. Djigo, N. Righi et D. Vernant pour leurs remarques et commentaires. 2. Voir B. Ambroise, « J. L. Austin : de la philosophie du langage ordinaire à la conception de la parole comme action », in S. Laugier & S. Plaud, éd., Lectures de la Philosophie analytique, Paris : Ellipses, 2011, pp. 179-196. © Philopsis – Bruno Ambroise 2 Rappelons ainsi que, né en 1912, c'est après une éducation « classique » qu'Austin est devenu philosophe à l'Université d'Oxford, où il a participé (avec J. Cook Wilson et G. Ryle, notamment3) au mouvement de la philosophie oxonienne, dite également « philosophie du langage ordinaire »4. Austin ne s'inscrivait donc pas d'emblée dans le mouvement de ce qui allait devenir la philosophie analytique : le positivisme logique ; on peut d'ailleurs lire nombre de ses contributions comme des critiques acérées de thèses défendues par ce mouvement. Austin semble avoir plutôt revendiqué l'héritage antique de Platon et Aristote, même si sa pensée a clairement été marquée par les réflexions de ses prédécesseurs immédiats, tels Prichard ou Cook Wilson5. Et, dans ce qui allait devenir la tradition analytique, Frege, qu’il a traduit en anglais en 1950, l’a fortement marqué, mais plutôt comme une sorte de contre-point. Une idée majeure, qu’il a probablement développée sous l’influence conjuguée de Frege et de Prichard, est celle selon laquelle « dire consiste à faire »6. D’abord identifiée par le terme de « performatif », cette idée se trouve développée plus avant avec le concept « d’acte de parole », qui est désormais devenu d’usage courant en linguistique pragmatique7. Cette idée consiste à considérer que l'usage de la parole ne consiste pas (seulement) à dire des choses mais aussi à en faire. Si l'idée peut sembler, telle quelle, remonter au moins jusqu'à Aristote et sa caractérisation des effets rhétoriques, il convient de souligner qu'Austin l'a redécouverte dans les années 1940 au cours d'un travail commun avec un philosophe du droit : H. L. A. Hart (auteur de The Concept of Law8). Et on verra qu'en rendant compte des énoncés dits « performatifs », Austin opère bien une petite révolution dans l'appréhension du langage en conduisant à y repérer les effets propres qu'il produit, du fait même qu'il dit quelque chose, ou en disant – voire, parfois, en faisant ce qu'il dit. Cela le conduira aussi, en conséquence, à traiter de manière nouvelle la question de la vérité. Nous nous proposons ici de rendre compte de cette nouvelle approche du langage, en comprenant d’abord ce que veut dire l’idée que la parole agit, en quoi elle s’oppose aux conceptions classiques du langage, et comment elle ouvre un nouvel horizon pour penser des phénomènes comme la promesse et la vérité. 3. Voir le volume dirigé par Ch. Al-Saleh & S. Laugier, La philosophie du langage ordinaire, Hildesheim : Olms, à paraître. 4. A ce moment-là, la philosophie d'Oxford se distinguait clairement de sa rivale, la philosophie inspirée par Wittgenstein qui se développait alors à Cambridge. 5. Voir H. A. Prichard, « The Obligation to Keep a Promise » (1940), in Moral Writings, Oxford : Oxford University Press, 2002 ; J. Cook Wilson, Statement and Inference (1926), Bristol : Thoemmes Press, 2002. Plusieurs problématiques austiniennes sont directement inspirées des réflexions de ces auteurs. 6. Voir les deux textes consacrés à cette question : J. L. Austin, How To Do Things With Words, Oxford : Oxford University Press, 1975 ; trad. fr. de G. Lane (à partir du texte anglais de 1962), Quand dire c’est faire, Paris : Seuil, 1970 – désormais cité HTD ; & J. L. Austin, « Performative Utterances » (1956), in Philosophical Papers, Oxford : Oxford University Press, 1979, pp. 234-252 ; trad. fr. de B. Ambroise, « Les énoncés performatifs », in B. Ambroise & S. Laugier, éd., Textes clés de philosophie du langage, Vol. 2, Paris : Vrin, 2011, pp. 233-259. 7. Voir M. Sbisà & K. Turner, eds., Pragmatics of Speech Actions, Berlin : Mouton De Gruyter, 2013. 8. H. L. A. Hart, The Concept of Law (1961), Oxford : Oxford University Press, 1994. © Philopsis – Bruno Ambroise 3 1. Une critique de la conception représentationnaliste classique du langage : la découverte des performatifs. C’est en déployant sa méthode d’attention scrupuleuse aux faits de langue qu’Austin va être conduit à récuser l'analyse représentationnaliste du fonctionnement du langage pour proposer d'y voir à la place un outil permettant d'agir, non pas seulement dans le monde, mais aussi sur le monde. Cette idée, comme nous l'avons dit, lui est apparue clairement au cours d'un travail réalisée en philosophie du droit : car, en droit, les énoncés ne servent pas (seulement) à décrire, les choses, mais bien à les faire ou les produire. Pensons aux jugements d'un juge, ou même à un acte d'huissier9 : ils modifient le réel. Par ailleurs, Austin avait probablement retenu de Frege l’idée qu’un énoncé vrai ne l’était qu’au terme de l’exercice d’un jugement, autrement dit d’une action : c’est ce que Frege soulignait quand il posait la nécessité de poser un signe d'assertion pour rendre compte de l'activité judicative permettant aux assertions de dire le vrai10. Ce faisant, Austin en venait à prendre radicalement position contre la thèse devenue orthodoxe en philosophie anglo-saxonne : l’idée que le langage sert (avant tout) à représenter le monde. 1.1. L'analyse véri-conditionnelle de la signification et la réduction du langage à sa fonction descriptive. En règle générale, l'analyse du langage pose qu'il convient d'étudier les relations entre trois éléments : les sons ou/et les mots, les états d'esprit du locuteur et les états du monde. Déjà Aristote écrivait : Les sons émis par la voix sont les symboles des états de l'âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par la voix. Et de même que l'écriture n'est pas la même chez tous les hommes, les mots parlés ne sont pas non plus les mêmes, bien que les états de l'âme dont ces expressions sont les signes immédiats soient identiques chez tous, comme sont identiques aussi les choses dont ces états sont les images11. Le langage est ainsi censé être le porteur d'une pensée, qui est elle- même l'image de l'état du monde. On pense ainsi une sorte de correspondance entre le monde et des représentations de deux statuts différents (mentale et linguistique), dont le caractère représentatif garantit précisément le caractère signifiant. Si l'on prend l'état du monde où le ciel est bleu, la pensée que le ciel est bleu a le contenu qu'elle a (porte sur l'état du 9. Voir B. Fraenkel, D. Pontille, D. Collard & G. Deharo, Le travail des huissiers, transformations d’un métier de l’écrit, Toulouse : Octarès, 2010. 10. Voir G. Frege, Recherches logiques, trad. Fr. de Cl. Imbert, Paris : Seuil, 1971. Voir aussi D. Vernant, Discours et vérité: analyses pragmatique, dialogique et praxéologique de la vérité, Paris : Vrin, 2009. 11. Aristote, De l'interprétation, 1, 16a 3-10 (trad. fr. de J. Tricot, Paris, Vrin, 2004). © Philopsis – Bruno Ambroise 4 monde) parce qu'elle correspond, d'une manière « formelle » ou idéale, à l'état réel du monde uploads/Philosophie/langage-austin-ambroise-pdf.pdf
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- Publié le Apv 06, 2022
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