POINCARÉ VERSUS RUSSELL SUR LE RÔLE DE LA LOGIQUE DANS LES MATHÉMATIQUES Michae
POINCARÉ VERSUS RUSSELL SUR LE RÔLE DE LA LOGIQUE DANS LES MATHÉMATIQUES Michael Detlefsen Presses Universitaires de France | Les Études philosophiques 2011/2 - n° 97 pages 153 à 178 ISSN 0014-2166 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2011-2-page-153.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Detlefsen Michael, « Poincaré versus Russell sur le rôle de la logique dans les mathématiques », Les Études philosophiques, 2011/2 n° 97, p. 153-178. DOI : 10.3917/leph.112.0153 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 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Ceci, bien évidemment, rendait son opposition générale à la conception logiciste du raisonnement mathéma- tique inévitable, dans la mesure où les logicistes voyaient ce type de rai- sonnement comme une succession d’étapes de même nature que celles du raisonnement logique – étapes que Kant aurait décrites comme étant de nature analytique. Frege lui aussi considérait l’inférence logique comme étant de nature analytique, et ainsi, en plaidant pour le caractère logique du raisonnement mathématique, il en vint lui-même à promouvoir une approche fortement antikantienne. De fait, l’une des pièces maîtresses du credo logiciste consistait à réfuter Kant sur ce point précisément3. En conséquence, Poincaré voyait juste lorsqu’il considérait que sa conception kantienne du raisonnement mathématique constituait le point focal de son désaccord avec les logicistes. Il y a cependant quelque chose d’étrange dans l’échange entre Russell et Poincaré, et c’est par cette étrangeté que nous allons débuter notre enquête. L’étrangeté consiste en ceci qu’il y a un apparent manque d’engagement des deux côtés. Russell attaquait les conceptions kantiennes en se fondant sur le fait que les développements modernes en mathématiques et en logique 1. Les œuvres dans lesquelles ce débat a pris place sont, du côté de Poincaré, [1906 a], [1906 b] et [1909]. Du côté de Russell, elles incluent [1905], [1906 a], [1906 b] et [1910]. 2. Cf. Poincaré [1908], livre II, chap. 3, section 1. 3. Cf. Russell [1903], p. 4, 158, 259, 454, 456-61. Cf. également Poincaré [1908], livre II, chap. 3, section 1. Les Études philosophiques, n° 2/2011, p. 153-178 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 08/02/2015 12h13. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 08/02/2015 12h13. © Presses Universitaires de France 154 Michael Detlefsen manifestaient l’invraisemblance d’un tel point de vue1. Mais, suggérer que Poincaré, un des plus grands esprits mathématiques de tous les temps, ignorait ces développements (spécialement le travail de Dedekind et de Weierstrass en analyse !) ou qu’il n’avait pas réussi à percevoir leur potentiel réduction- niste, défe toute vraisemblance. De fait, il est clair que ce n’était pas le cas. Il semble donc que Poincaré et Russell étaient simplement en désaccord sur la manière appropriée d’évaluer la portée de ces développements pour la phi- losophie kantienne des mathématiques. De plus, comme nous le montrerons plus bas, ce désaccord semble s’être fondé sur un désaccord plus fondamental portant sur ce que requerrait une réfutation de la conception kantienne. Ce qui est étrange, c’est qu’il semble que cela n’ait jamais été identifé comme étant le point focal de leur désaccord – ce qui a eu pour conséquence que Poincaré et Russell ne parvinrent jamais à pointer les diférences qui les sépa- raient aussi clairement qu’ils auraient pu le faire. Une autre étrangeté du même genre est la divergence non explici- tée de leurs interprétations de la notion clé du synthétique. Poincaré, de façon cohérente, développait son objection contre Russell en faisant valoir le caractère synthétique du raisonnement mathématique, suggérant par là que Russell défendait une conception analytique de l’inférence mathéma- tique. Ce que tout le monde bien entendu sait, c’est que Russell lui-même afrmait (y compris dans le compte rendu de Poincaré [1903], cf. p. 414) qu’il considérait l’inférence mathématique, comme l’inférence logique sur laquelle il pensait qu’elle était basée, comme étant de nature synthétique. Pourquoi, dès lors, Poincaré présentait-il son désaccord avec Russell comme un désaccord portant sur la question du caractère synthétique du raisonne- ment mathématique ? N’étant que la résultante d’une diférence verbale facile à identifer entre Russell et Poincaré concernant la signifcation du terme « raisonnement syn- thétique », cette étrangeté n’est, à un premier niveau, pas très intéressante. Ce qu’elle indique a néanmoins une importance bien plus considérable. Car elle indique la présence de deux conceptions très diférentes de l’inférence synthétique dans deux philosophies rivales ; or ceci est, nous semble-t-il, d’une importance cruciale pour toute tentative de comprendre et d’évaluer le confit entre elles. Tournons-nous donc vers ces deux conceptions pour en donner un rapide aperçu. Nous trouvons une description de la conception de Russell dans le compte rendu cité plus haut. Il y tente de faire passer pour dénué de tout véritable enjeu ce que Poincaré, suivant Kant, présentait comme le premier problème de la philosophie des mathématiques, c’est-à-dire le problème de savoir comment les mathématiques, qui sont à la fois rigoureuses et non tautologiques, peuvent être rigoureuses tout en étant non déductives, et 1. Cf. [1903], p. 4, 456-61 pour un jugement sur l’importance du progrès en logique et p. 158, 259 pour une appréciation de l’importance des progrès dans « l’arithmétisation » des mathématiques en ce qui concerne la réfutation du point de vue kantien. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 08/02/2015 12h13. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 08/02/2015 12h13. © Presses Universitaires de France 155 non tautologiques tout en étant déductives. Ce que Russell fait, en réalité, consiste à passer de la conception kantienne du raisonnement synthétique selon laquelle la progression des prémisses à la conclusion implique une syn- thèse des prémisses par une certaine faculté de l’esprit (et non pas une simple analyse des prémisses), à une conception selon laquelle cette progression est conçue comme une extraction analytique à partir des prémisses d’une pro- position distincte (propositionnellement parlant) de celles-ci1. Ce change- ment opéré, il continue en observant que même l’inférence syllogistique la plus élémentaire satisfait la condition posée dans cette défnition. Il conclut ainsi que l’inférence logique possède la même caractéristique essentielle que celle qui, selon Poincaré, singularise les cas paradigmatiques de raisonne- ment mathématique, comme l’induction mathématique, et que, ceci étant le cas, l’usage de l’inférence non logique (comme l’induction mathématique) dans le raisonnement mathématique peut être perçu comme inessentiel dans l’explication des deux données fondamentales de la philosophie mathémati- que mises en avant par Poincaré dans sa discussion du logicisme – à savoir, le fait que les mathématiques sont plus qu’une « vaste tautologie » et le fait qu’on trouve plus dans les théorèmes des mathématiques que dans les axio- mes2. En d’autres mots, le raisonnement mathématique, bien qu’il soit logi- que, n’en est pas moins pour autant « synthétique » et informatif3. Les écrits de Poincaré, en revanche, montrent très clairement qu’il aurait rejeté la caractérisation du synthétique utilisée par Russell dans son argument. Pour lui, comme pour Kant avant lui, le raisonnement synthétique était considérablement plus que simplement une inférence valide dans laquelle les prémisses et la conclusion sont des propositions distinctes. Il impliquait, de surcroît, l’usage de ce que Poincaré appelait « intuition » – à savoir une connaissance valide non neutre et non globale utilisée pour enjamber la 1. Il dit la chose suivante : « M. Poincaré ne donne aucun élément en faveur de la conception selon laquelle cette déduction ne peut jamais donner de nouvelles vérités. Le fait est que les principes généraux de la déduction sont analogues, sous ce point de vue, à ce qu’il considère être l’induction mathématique ; à savoir, ils conduisent à des conclusions qui sont diférentes d’elles-mêmes, de sorte qu’ils sont, en ce sens, synthétiques. Nous conclurons uploads/Philosophie/ poincare-versus-russell-sur-le-role-de-la-logique-dans-les-mathematiques.pdf
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- Publié le Mai 31, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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