Gerhard Krüger et Heidegger: Pour une autre histoire de la métaphysique Author(

Gerhard Krüger et Heidegger: Pour une autre histoire de la métaphysique Author(s): JEAN GRONDIN Source: Archives de Philosophie , JANVIER - MARS 2011, Vol. 74, No. 1, Gerhard Krüger (1902-1972) (JANVIER - MARS 2011), pp. 109-127 Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43038735 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de Philosophie This content downloaded from 89.223.99.197 on Fri, 02 Jul 2021 10:08:02 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Archives de Philosophie 74, 2011, 109-127 Gerhard Krüger et Heidegger Pour une autre histoire de la métaphysique JEAN GRONDIN Université de Montréal « Philosopher veut dire avoir du temps pour l'éternité 1 ». Gerhard Krüger fait partie avec Hans-Georg Gadamer de cette cohorte d'élèves brillants de Nicolai Hartmann qui furent subjugués par le charisme de Heidegger lorsqu'il arriva à Marbourg à l'automne 1923. Ils ont délaissé leur premier maître pour se rallier à la pensée de Heidegger, dont il était évi- dent qu'il était le philosophe de l'heure et sans doute le plus grand depuis Hegel. Non seulement présentait-il une lecture de l'histoire de la philoso- phie plus étoffée et plus visionnaire que celle des néokantiens, mais son « her- méneutique de la facticité » saisissait mieux que d'autres l'air du temps - et sa détresse - tout en promettant de retourner aux questions vitales de la phi- losophie, oubliées depuis Platon et Aristote. Ces élèves, et plus particulière- ment Gerhard Krüger, n'étaient pas pour autant des inconditionnels de Heidegger. Dès leurs premiers contacts et tout au long de leur œuvre, ils ont suivi avec trépidation l'évolution de sa pensée en lui adressant des questions critiques, en partie héritées de leur première formation néo-kantienne 2. Si Heidegger a pu dire que nul n'échappe à ses premières origines {Herkunft ist Zukunft , « l'origine est aussi avenir »), cela est vrai de ses premiers élèves (outre Krüger et Gadamer, on pensera à Hannah Arendt, Karl Löwith et Leo Strauss), qui auront peut-être été ses plus productifs. Né à Berlin en 1902, Gerhard Krüger a étudié la philosophie et la théo- logie protestante à Tübingen, mais surtout à Marbourg, où il suivit les cours de Paul Natorp et fit sa thèse de doctorat en 1925, sous la direction de Nicolai Hartmann, sur La doctrine kantienne de l'affection sensible , mal- heureusement non publiée. Ce thème était dicté par une thématique chère 1. G. Krüger, dernière phrase de sa conférence (inédite) donnée à Marbourg en jan- vier 1930, « Le problème de l'éthique philosophique et la théologie ». 2. bur les elements néo-kantiens dans la pensée de Gadamer, voir mon étude « The Neo- Kantian Heritage in Gadamer », in R. A. Makkreel and S. Luft (dir.), Neo- Kantianism in Contemporary Philosophy , Bloomington, Indiana University Press, 2010, p. 92-110. This content downloaded from 89.223.99.197 on Fri, 02 Jul 2021 10:08:02 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 110 Jean Grondin à l'ontologie de Hartmann, celle de la r contre le subjectivisme de l'école de connaissance incarne une pure constru soi a toujours fasciné Krüger et l'amèn gner la supériorité des Anciens, vo Modernes, si envoûtés par le sujet qu'i de sa coquille. Lorsqu'il débarque à Mar aussi que la question fondamentale de montre de manière éblouissante que l des assises ontologiques anciennes (la p trouvant nouvellement reconnue au co infiniment plus subtile et convainc Heidegger séduisait d'autant plus qu'elle théologiques, hérités d'Augustin, Luth arrimer la question de l'être - et sa pr Dasein son propre être : si la question d temps refoulée, c'est que chacun se tro quant à son être, ici et maintenant. Si Krüger l'a mieux perçu que d'autre un ami du grand théologien de Marbou même été si renversé par la force de la article sur sa pensée dans une encyclop à toutes fins utiles un texte que Heidegge 31 décembre 1927 3). Bultmann était con Zeit jetait les bases d'une ontologie ex puyer la théologie dans son explicitation celle-ci consiste dans une transformation de Bultmann s'inscrivait pour sa part d lectique qui avait commencé avec le cé Romains de Karl Barth, lui-même puis Il exhortait à voir dans le texte sacré humain pouvant faire l'objet de recherch tendre la parole de Dieu lui-même appe cale. Même si ses sources étaient kierk philosophie, et se méfierait beaucoup d simplement humain. Bultmann ne par envers la philosophie et la méthode histo être mis au service d'une écoute existe 3. Voir R. Bultmann/M. Heidegger, Brief A. Grossmann und C. Landmesser, Frankfurt a. This content downloaded from 89.223.99.197 on Fri, 02 Jul 2021 10:08:02 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Krüger - Heidegger 111 La théologie et V urgence de la question de V être L'un des premiers articles que publia le jeune Krüger fut d'ailleurs un essai sur le Römerbrief de Barth, Zwischen den Zeiten , l'organe de la théologie dialectiqu dense et difficile où Krüger met en question la métho Barth (si méthode il y a) en faisant valoir qu'elle abord l'aide de catégories philosophiques reçues de Kierkegaar dont elle ne rend jamais expressément compte. Ba conscient des motifs tantôt idéalistes tantôt existentiels à il lit le texte sacré? En élève de Hartmann et Heidegger che aussi de ne pas poser la question de l'être. Lorsque Bart lectiquement » ou existentiellement les événements d chute d'Adam, la résurrection, la prédestination), rend- cité et partant à l'être de ces événements 5? Malgré son ap le « retour » de Barth au texte de Paul resterait dicté par sée idéalistes non élucidés. Krüger envoya son texte à Heidegger, lequel s'en montra un peu déçu dans une lettre qu'il adressa à Bultmann le 29 mars 1927 : « Krüger m'a envoyé son essai. Je m'attendais à plus. On ne sait pas s'il s'agit de théologie ou de philosophie, ou de ni l'une ni l'autre. Tout cela est rassemblé de manière un peu extérieure 6». Jugement sévère, dont Heidegger était coutu- mier, surtout quand il s'adressait à des tiers, mais qui se demande à bon droit si Krüger parlait au nom de la philosophie ou de la théologie (en 1933 le Privatdozent G. Krüger recevrait d'ailleurs une charge d'enseignement à l'Université de Marbourg pour les questions connexes à la philosophie et à la théologie 7). Sa formation première était en philosophie, mais ses intérêts de l'époque étaient largement théologiques et fortement imprégnés des débats au sein de la théologie protestante. Aussi est-ce dans une autre revue théologique, les Theologische Blätter , qu'il fera paraître son compte rendu de Sein und Zeit en 1929 8, où Krüger 4. G. Krüger, « Dialektische Methode und theologische Exegese. Logische Bemerkungen zu Karl Barths 'Römerbrief' », Zwischen den Zeiten , Munich 1926, p. 116-157. 5. Ibid ., 155: « parce que la conceptualité de Barth ne pose pas expressément la question de Tetre, il est impossible d'exprimer conceptuellement le 'mouvement authentique' du croyant dans sa foi ». 6. R. Bultmann/ M. Heidegger , Briefwechsel 1925-1975 , p. 24. 7. Voir J. Grondin, Hans-Georg Gadamer. Eine Biographie , Tübingen, Mohr Siebeck, 1999, p. 186. 8. G. Krüger, « Sein und Zeit. Zu Heideggers gleichnamigem Buch », dans Theologische Blätter 1929, p. 57-64, traduit dans le présent numéro des Archives de philosophie (p. 7-22). This content downloaded from 89.223.99.197 on Fri, 02 Jul 2021 10:08:02 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 112 Jean Grondin élabore une critique (théologique) de H de sa pensée. Il s'adresse alors avant t recommander la lecture d'un ouvrage e tique de l'existence chrétienne. C'est q une radicalité méthodique inouïe en p {Schuld) , de l'être-pour-la-mort, de la la temporalité et de la chute. De surcroît essentielle de l'être, vitale pour le théo question de l'être de ses objets (« quel sen d'ailleurs de se demander Bultmann da gie s'intéresse à l'être de l'homme d Gott 10), elle a tout intérêt à s'inspir Heidegger. Son ouvrage, dont Krüger mière partie d'un vaste programme (Rätsel) au théologien : c'est que Heideg faire allusion à Dieu (ohne Rücksicht au concepts portent très évidemment Kierkegaard. Heidegger refuse même t plan exclusivement ontologique. Sein und mais Krüger avait souvent entendu Heide losophie était rigoureusement a-thée. C yeux de son élève: comment le philosoph d'un « vouloir-avoir-une-conscience » e le cadre d'une anthropologie chrétienn de l'ontologie fondamentale n'oblige-t- Dasein tel que le décrit Heidegger est u seule une interprétation théologique se Heidegger à son terme. Mais Krüger lance lui-même un avertiss rait faire comme si la foi seule, découl de l'appartenance à une Église, suffisait On ne peut se contenter de recevoir la pa prendre et se comprendre soi-même davantage besoin de la philosophie uploads/Philosophie/ pour-une-autre-histoire-de-la-metaphysique.pdf

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